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La parabole du semeur

Prédication prononcée le 18 août 2019, au temple de l'Étoile à Paris,
par le pasteur Louis Pernot 

La parabole du semeur est l’une des très rares expliquée par Jésus lui-même. Elle devrait donc normalement se passer de commentaire, comment peut-on prétendre expliquer un texte mieux que le Christ lui-même ?

Pourtant, cette explication de Jésus est plutôt un problème supplémentaire. D’abord, en disant que les grains semés sont la parole, elle appauvrit le texte qui pourrait être autrement infiniment plus riche. C’est ainsi que souvent, on explique souvent aux enfants que le sens de la parabole est qu’il faut bien écouter l’enseignement du Christ (ou au pire le catéchisme), et que si on le garde bien dans son cœur, alors on peut donner des fruits excellents qui sont nos bonnes œuvres. Cette explication moralisatrice est fausse. Dans la parabole, ce qui est planté est identique à ce qui est récolté. On ne peut donc pas dire qu’on reçoit la parole pour donner des bonnes œuvres. Ou alors faudrait-il dire : il faut bien intégrer la parole pour restituer la parole. Jésus voudrait-il dire qu’il faut que les enfants écoutent bien le catéchisme pour pouvoir le réciter ? Voilà qui est douteux.

Si l’on fait donc abstraction de l’explication (sur laquelle nous reviendrons), la parabole devient universelle et magnifique. En effet, si nous sommes la terre et Dieu le semeur, que sont les graines ? Les dons de Dieu qui nous sont offerts, et ce bien plus largement que des mots à apprendre, c’est la grâce même, c’est l’amour de Dieu, son pardon, sa paix... Et nous sommes invités à recevoir tous ces dons, à nous en nourrir pour pouvoir les redistribuer au centuple autour de nous.

Et même au delà de ces dons un peu génériques de la grâce de Dieu, chacun peut dire ce qu’il a reçu de la part de Dieu, ou ce qu’il reçoit en général de la vie. Chacun a des grâces, des chances dans l’existance, et la question est de savoir ce que l’on en fait. C’est là que la parabole devient intéressante, parce qu’une parabole, ce n’est pas comme une fable de La Fontaine qui illustre une morale, c’est un texte dans lequel chacun peut entrer en apportant ce qu’il est et sa propre expérience, la parabole donnant du sens au contenu apporté par chaque lecteur à chaque instant. Les grains offerts sont donc différents pour chaque personne. Ce peut être la jeunesse, la santé, ou l’argent même, ou la présence d’amis, ou le fait d’avoir des enfants, ou peut-être même de ne pas en avoir ! Ce que nous dit notre Semeur, c’est d’abord qu’il faut accepter avec simplicité ces chances et ces grâces que nous recevons. Le grain est semé, donné à la terre, et pour qu’il puisse fructifier, il faut que la terre le mange, le digère. Il n’y a donc pas de culpabilité à avoir des chances, au contraire, la seule chose que nous avons à en faire, c’est d’abord d’en profiter pleinement, et joyeusement. Et ce qui est attendu par le semeur, c’est bien sûr que nous sachions, nourris de ces chances, en devenir des re-distributeurs. Etre joyeux, c’est bien, et rayonner de joie pour rendre joyeux son entourage, c’est tout ce que peut souhaiter le bon Dieu. Or, précisément, pour pouvoir donner de bonnes choses au monde, il faut d’abord avoir reçu afin d’avoir quelque chose à donner. Il nous faut donc nous nourrir de toutes ces chances, ces grâces qui parsèment notre route, en les acceptant joyeusement et avec simplicité. Sinon, on ne serait que comme le mauvais serviteur de la parabole des Talents qui refuse le cadeau et prétend ne rien en faire afin de le laisser intact. Il se condamne lui-même aux ténèbres du dehors.

La première chose, c’est donc de savoir reconnaître les dons de Dieu pour s’en nourrir. Et c’est à partir de ces donc, petits ou grands qu’il faut construire sa vie. Et la parabole nous donne en plus une indication importante sur la nature de ces dons. C’est qu’il n’y a aucune différence de nature entre les grains semés et les grains récoltés. Il n’y a pas les grains semés qui seraient divins, et les fruits que nous porterions qui ne seraient qu’humains. Déjà, cela nous donne une immense dignité : quand nous aimons, ou pardonnons, ou faisons un don, une grâce, nous participons de la grâce divine. Et puis peut-être que le grain qui nous est donné, il a été produit non pas par Dieu à partir de rien, mais par l’œuvre d’un frère. Ainsi Dieu peut utiliser les uns ou les autres pour être des vecteurs de ses grâces. Il n’y a donc pas à mépriser l’amour humain pour prétendre ne s’intéresser qu’à celui de Dieu, les joies terrestres peuvent être des grâces de Dieu, et l’amour du prochain n’est pas un concurrent de l’amour divin, il y participe, tant pour celui que nous recevons que pour celui que nous donnons.

Ensuite, notre parabole nous explicite d’une façon extraordinaire la manière avec laquelle Dieu donne, et ce sur deux points. Le premier, c’est l’universalité de la grâce. Le semeur sème partout, sans considération de prospective pour savoir si son don sera bien reçu ou non, utile ou non. Ainsi Dieu donne sa grâce à tous. Il ne donne pas plus au juste ou au fidèle, il ne donne pas moins à celui dont on peut penser qu’il ne ferait pas bon usage de la grâce, il donne à tous de la même manière. C’est cette même idée qui est exprimée dans le sermon sur la Montagne : « Dieu fait lever son soleil sur les justes comme sur les injustes, et il fait pleuvoir sur les bons comme sur les méchants... » (Matt. 5:45). Et puis, même si Dieu, évidemment, ne peut que souhaiter que le grain porte du fruit, il n’y a aucune condamnation pour les mauvais terrains. Ceux qui ne reçoivent pas le don ou n’en font rien ne sont pas punis, ni exclus de quoi que ce soit, juste c’est dommage qu’ils ne produisent pas de fruit, et c’est tout. Pour ça cette parabole est tout à fait unique, il n’y a pas beaucoup d’endroits dans l’Evangile où la grâce est exprimée d’une manière aussi universelle et généreuse.


Et puis vient en fin cette explication donnée par Jésus. Elle pose problème donc, d’abord parce qu’elle limite la portée de la parabole ce qui est dommage, et parce qu’elle entre en contradiction avec le passage qui l’introduit où Jésus cite Esaïe 6. Ce que Jésus explique à ce moment, c’est qu’il ne dit pas les choses en clair, parce que le sens de sa prédication n’est pas une gnose qui consisterait à donner une sorte de connaissance qu’il faudrait apprendre et à laquelle il faudrait adhérer, mais que la voie proposée par le Christ c’est de se questionner, de chercher, de se confronter au texte pour avancer par soi-même. Il faut donc ouvrir ses oreilles, agrandir ses yeux, faire travailler son intelligence. Il ne suffit pas d’entendre, il faut comprendre, il ne suffit pas de voir, il faut discerner. C'est cette démarche, cette recherche qui nous permet de nous convertir et de vivre.

Certains commentateurs contemporains, très radicalement disent que Jésus n’a certainement jamais donné cette explication, et que ce n’est qu’un ajout tardif de l’Eglise pour inciter à écouter et à transmettre rigoureusement le message enseigné. Il n’est pas nécessaire d’en arriver à une position aussi radicale, et on peut avoir une approche critique du texte tout en pensant qu’il n’est pas aussi éloigné que ça de ce qu’a été la prédication du Christ. L’idée, ce peut être que Jésus, dans notre texte, explique là parabole plus précisément pour les disciples présents : « pour vous, voici ce que signifie... » dit-il. Or si les grains sont des chances et de grâces, on peut dire que l’une des plus grandes chances de ceux qui ont suivi le Christ a été d’être des témoins directs de son enseignement, et que du coup leur responsabilité est en particulier de transmettre le plus fidèlement possible cet enseignement pour que le plus grand nombre puisse y avoir accès. On peut récupérer cette explication pour nous aussi qui avons eu la chance de connaître l’Evangile du Christ, et sans doute avons nous une responsabilité dans la transmission de ce message à d’autres. Mais c’est une des explications parmi d’autres, l’Evangile n’est pas la seule grâce qui nous soit offerte, et ce serait bien dommage de réduire la portée de cette parabole à cela.

Une autre manière de comprendre l’explication attribuée à Jésus est de considérer que la référence à la « parole » ne doit pas nous faire penser qu’il ne s’agirait que d’une leçon à apprendre et à réciter. Pour la Bible, tout est parole, et l’évangile de Jean commence bien comme cela : « au commencement était la parole, la parole était à Dieu et la parole était Dieu ». Dieu étant parole, toute son action passe par la parole et ses dons aussi. Et certainement l’amour, c’est une parole d’amour, la grâce une parole de grâce, le pardon, une parole de pardon, la paix, une parole de paix. Donc on peut très bien élargir considérablement cette notion de parole pour tous les dons de Dieu et un bon nombre des grâces qui sont les nôtres.


Et puis l’explication donnée aux disciples va encore plus loin dans le sens d’une responsabilisation : en effet, si on lit de près, on peut apercevoir qu’un déplacement curieux s’y opère. Alors qu’au départ, il semble évident que le croyant soit le terrain qui reçoit la semence, dans la suite de l’explication, le croyant devient la semence elle-même. Cela a semblé tellement incongru aux traducteurs, que tous ont corrigé le texte en faisant disparaître cette bizarrerie. Ainsi Jésus ne dit pas comme on nous le fait croire : « celui qui a reçu la semence dans les endroits pierreux... » mais il dit : « celui qui est semé dans les endroits pierreux... » Le traducteurs donc, ont trouvé que la chose était trop curieuse pour qu’ils la restituent, et pratiquement aucun commentateur ne prend cela au sérieux. Ce qu’ils disent, en général, c’est qu’il s’agit d’une anacoluthe. Peut-être... Mais sortir un mot savant n’explique pas le pourquoi de la présence ici d’une telle figure de style. Rien n’est sans raison dans l’Evangile, et on peut penser que l’auteur joue avec ce déplacement de sens pour nous faire comprendre que, d’une certaine manière, que le croyant lui-même peut se considérer comme semé dans le monde.

Et comme le grain ne peut porter du fruit s’il ne meurt, c’est en donnant sa vie (ou de sa vie) pour le monde que le croyant peut être source de fécondité pour le monde. Et comme le semeur ne regarde pas avec un a priori qui est digne ou pas de recevoir sa semence, le croyant est invité à se donner lui-même à tous sans préjuger de l’utilité ou de l’efficacité possible d’un effet escompté. Le paradigme de cette démarche, et qui la pousse à son comble, c’est évidemment le Christ qui est venu dans le monde, qui est mort pour le monde, et qui a donné sa vie pour tous, justes et pécheurs. C’est ainsi qu’il est le germe de l’humanité nouvelle qu’il inaugure.

Et c’est ainsi que nous pouvons à la fois recevoir et retransmettre, et même que nous pouvons à la suite du christ devenir les ferments d’un monde nouveau dont le croyant qui adhère au message créateur de l’Evangile est le porteur pour féconder le monde.

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Matthieu 13:4-23

4Le semeur sortit pour semer. Comme il semait, quelques (grains) tombèrent le long du chemin ; les oiseaux vinrent et les mangèrent. 5D’autres tombèrent dans les endroits pierreux, où ils n’avaient pas beaucoup de terre : ils levèrent aussitôt, parce qu’ils ne trouvèrent pas une terre profonde ; 6mais, quand le soleil se leva, ils furent brûlés et séchèrent faute de racines. 7D’autres tombèrent parmi les épines : les épines montèrent et les étouffèrent. 8D’autres tombèrent dans la bonne terre : ils donnèrent du fruit, un (grain) cent, un autre soixante, un autre trente. 9Que celui qui a des oreilles entende.
10Les disciples s’approchèrent et lui dirent : Pourquoi leur parles-tu en paraboles ? 11Jésus leur répondit : Parce qu’il vous a été donné de connaître les mystères du royaume des cieux, et qu’à eux cela n’a pas été donné. 12Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas, on ôtera même ce qu’il a. 13C’est pourquoi je leur parle en paraboles, parce qu’en voyant ils ne voient pas, et qu’en entendant ils n’entendent ni ne comprennent. 14Et pour eux s’accomplit cette prophétie d’Ésaïe :
Vous entendrez bien, et vous ne comprendrez point.
Vous regarderez bien, et vous ne verrez point.
15Car le cœur de ce peuple est devenu insensible ;
Ils se sont bouché les oreilles, et ils ont fermé les yeux,
De peur de voir de leurs yeux, d’entendre de leurs oreilles,
De comprendre de leurs cœurs,
Et de se convertir en sorte que je les guérisse.
16Mais heureux sont vos yeux, parce qu’ils voient, et vos oreilles, parce qu’elles entendent. 17En vérité je vous le dis, beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous regardez, et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez, et ne l’ont pas entendu.
18Vous donc, écoutez (ce que signifie) la parabole du semeur. 19Lorsqu’un homme écoute la parole du royaume et ne la comprend pas, le Malin vient et enlève ce qui a été semé dans son cœur : c’est celui qui a reçu la semence le long du chemin. 20Celui qui a reçu la semence dans les endroits pierreux, c’est celui qui entend la parole et la reçoit aussitôt avec joie, 21mais il n’a pas de racine en lui-même, il est l’homme d’un moment et, dès que survient une tribulation ou une persécution à cause de la parole, il y trouve une occasion de chute. 22Celui qui a reçu la semence parmi les épines, c’est celui qui entend la parole mais en qui les soucis du monde et la séduction des richesses étouffent la parole et la rendent infructueuse. 23Celui qui a reçu la semence dans la bonne terre, c’est celui qui entend la parole et la comprend ; il porte du fruit et un (grain) en donne cent, un autre soixante et un autre trente.

Esaïe 6:8-13

8J’entendis la voix du Seigneur, disant :
Qui enverrai-je
Et qui marchera pour nous ?
Je répondis : Me voici, envoie-moi.
9Il dit (alors) :
Va, tu diras à ce peuple :
Écoutez toujours,
Mais ne comprenez rien !
Regardez toujours,
Mais n’en apprenez rien !
10Rends insensible le cœur de ce peuple,
Endurcis ses oreilles
Et bouche-lui les yeux,
De peur qu’il ne voie de ses yeux,
N’entende de ses oreilles,
Ne comprenne avec son cœur,
Qu’il ne se convertisse
Et ne soit guéri.
11Je dis : Jusques à quand, Seigneur ?
Et il répondit :
Jusqu’à ce que la dévastation
Ait privé les villes d’habitants
Et les maisons d’êtres humains,
Que le sol dévasté soit une désolation ;
12Jusqu’à ce que l’Éternel ait éloigné les êtres humains
Et que le pays soit tout à fait abandonné,
13Et s’il y reste encore un dixième (des habitants),
Il repassera par l’incendie ;
(Mais), comme le térébinthe et le chêne
Conservent leur souche quand ils sont abattus,
Sa souche donnera une sainte descendance.

Cant. 2:14