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L'Eglise primitive des Actes des Apôtres est-elle un modèle ?

Prédication prononcée le 23 mars 2014, au temple de l'Étoile à Paris,

par le Pasteur Louis Pernot

L’Eglise primitive, telle que nous la voyons dans les Actes des Apôtres est belle, elle nous fait un peu rêver : les fidèles, ils avaient une foi extraordinaire, étaient inspirés par l’Esprit, il mettaient tout en commun cela semble merveilleux... et nous culpabilise aussi un peu sans doute.

La tentation, c’est d’aller y chercher le modèle pour l’Eglise d’aujourd’hui, de scruter les Actes pour savoir comment annoncer Jésus-Christ, comment s’organiser, quel rôle donner aux diacres, comment baptiser, évangéliser. Et finalement chercher tant que possible à imiter ce modèle, vivre comme l’Eglise primitive du don du Saint Epsrit.

Cela a été une part de la démarche des Réformateurs : Luther puis Calvin ont voulu revenir à la pureté originelle de l’Eglise Primitive, en se débarrassant de tout ce que les siècles avaient accumulé, corrompant ce modèle premier et idéal. Ils ont ainsi voulu une Eglise pauvre, simple gouvernée par l’Esprit et la Parole. Cela allait en cohérence avec le principe du sola scriptura : chercher dans l’Ecriture elle même la source de ce que l’on vit.

Mais il y a un paradoxe : Calvin tout en disant vouloir revenir à la forme première de l’Eglise a sans cesse relativisé cette même forme avec un autre principe : l’Eglise Réformée doit toujours être en réforme : Ecclesia Semper Reformanda. Ainsi écrit-t-il dans l’Institution Chrétienne (IV 10,30) « Je n’entends point d’approuver autres constitutions que celles qui sont fondées en l’autorité de Dieu, et tirées de l’Ecriture tellement qu’on les puisse totalement appeler divines... Quant à la discipline externe et aux cérémonies, il ne nous a point voulu ordonner en particulier et comme de mot à mot comme il nous faut gouverner, d’autant que cela dépendait de la diversité des temps et qu’une même forme n’eût pas été propre ni utile à tous les âges... Nous avons à conclure qu’on les peut changer et en instituer de nouvelles et abolir celles qui ont été, selon qu’il est expédient pour l’utilité de l’Eglise. ». Il dit finalement que communauté des Actes n’est pas un modèle à imiter, mais que l’Eglise doit s’adapter à son temps. Dans les Actes, il y a donc une lecture critique à faire, un tri à opérer, prendre ce qui est bon, mais ne pas chercher à appliquer tel quel.

En fait, ce qui induit dans l’erreur, c’est l’expression Sola Scriptura. Il faut préciser quelle est la source de notre religion. On dit « la Bible », mais en fait non : la source, le fondement, c’est l’Evangile, c’est Jésus Christ et sa prédication. Nous ne sommes pas des biblolâtres à moins d’être fondamentalistes. Et le christianisme n’est pas, en déplaise aux musulmans qui nous traitent ainsi, un « religion du livre », c’est une religion de la personne Jésus Christ, de l’événement christique, pas d’un texte écrit. La Bible, elle nous donne une connaissance imparfaite de cette révélation. La Bible, c’est en fait le témoignage de ce que les croyants d’une certaine époque ont compris de la révélation, pas la révélation elle-même. Ainsi les Actes des Apôtres, ne sont pas une révélation, c’est le témoignage historique de ce qu’on essayé de faire les premiers chrétiens, c’est intéressant, certes, mais pas « parole de Dieu », et il n’y a donc pas de « révélation » sur l’organisation de l’Eglise. Et c’est la même chose pour Paul. Paul n’est pas le Christ, encore moins Dieu, et ce qu’il a écrit ne témoigne que de ses propres idées sur la manière de vivre Jésus Christ, on peut en avoir un autre. Ainsi avons nous des femmes pasteur, alors que Paul a écrit qu’une femme ne devait pas parler dans une église. Nous sommes « chrétiens », pas « pauliniens ».

Le fondement de notre foi, c’est Christ, pas l’Eglise primitive. Jésus d’ailleurs n’a pas fondé de religion, il a juste invité chacun à renouveler sa foi. Ce qu’il a prêché, c’est la conversion du cœur, un changement personnel de l’intérieur. Il ne semblait même pas s’intéresser vraiment  aux formes extérieures de la vie religieuse. Il enseignait qu’un arbre donne du bon fruit que s’il est bon, et qu’on ne peut pas forcer un mauvais arbre à donner des bons fruits. Ce qu’il faut donc, c’est que chacun se convertisse le cœur pour se transformer de l’intérieur, la forme de la vie est seconde. Saint Augustin est allé dans ce sens avec son célèbre : « Dilige et quod vis fac » (« aime et fais ce que tu veux), il faut mettre les choses dans le bon sens, et commencer par avoir la foi, se soumettre à Jésus Christ, aimer, ensuite pour la façon concrète de vivre sa foi, il faut faire comme on peut, réfléchir avec intelligence et pragmatisme. Ainsi l’organisation de l’Eglise n’est-elle pas une question première.

Les premiers chrétiens, ne savaient pas très bien comment vivre concrètement leur foi en Christ, ils ont tenté une mise en œuvre, il y avait des défis pour leur époque, ils ont réagi comme ils ont pu, il n’y pas à sacraliser le résultat, mais à trouver nous mêmes quelle doit être notre réponse dans le monde qui est le nôtre : l’Eglise doit être sans cesse en réforme.

L’Eglise primitive, c’est une réponse à une situation qui était la leur, il n’y a pas à  imiter la réponse, on peut seulement admirer leur courage et leurs initiatives, réfléchir sur leur méthode, mais il n’y pas là de modèle.

La prédication du Christ concernait le « Royaume de Dieu », mais l’Eglise n’est pas le royaume de Dieu. Le danger serait même de croire que l’un serait l’autre. L’Eglise n’est pas la réalisation du Royaume de Dieu sur Terre, mais une réponse pragmatique à une époque donnée. Il faut donc accepter qu’il y ait une histoire, que le Nouveau Testament témoigne d’un temps et que notre temps soit différent. Le danger serait de sacraliser la forme de l’Eglise Primitive comme si on la confondait avec le Royaume de Dieu.

Le mot célèbre d’Alfred Loisy dit bien les choses malheureusement : « Jésus a annoncé le Royaume de Dieu et c’est l’Eglise qui est venue ! ». C’est certainement la cause de bien des dérives de l’Eglise.

Que les chrétiens soient invités à faire progresser le Royaume de Dieu sur Terre, on peut le penser, mais la question, c’est comment. Il y a deux approches possibles en fait : l’une c’est d’y travailler globalement dans le monde, en œuvrant pour plus de partage, de solidarité, de pardon, de paix et d’amour dans ce monde, l’autre, c’est de renoncer à agir globalement dans le monde, et de créer une sorte de microcosme à l’intérieur du monde qui soit plus proche du Royaume de Dieu, donc une communauté où l’Evangile serait vécu plus qu’ailleurs, entre gens de bonne volonté. L’idée peut avoir du sens, on peut même penser qu’on transformera le monde en faisant un peu partout des « nucléi » qui transformeront le monde par leur exemple. Mais il y a un grave danger dans cette démarche, c’est la dérive vers la secte. Certes, l’Eglise-Royaume de Dieu est bien agréable pour ceux qui y vivent, on y est bien, entouré d’attention et d’amour, de solidarité, on peut y vivre au chaud, à l’abri de la méchanceté du monde, mais alors on risque de se refermer, et d’avoir peur, et de se couper du monde, des autres de l’extérieur qui ne représentent que le mal, les ténèbres, la violence.

Cette dérive, on l’observe dans les Actes comme dans certaines Eglises qui prétendent imiter ce modèle, et cette peur du monde extérieur diabolisé se retrouve dans les mots de Pierre disant : « sauvez vous de cette génération perverse » (Actes 2:40)

Or Jésus n’était pas comme cela, il n’a pas formé de communauté retranchée du monde autour de lui, au contraire prie-t-il d’après Jean pour ses disciples en disant : « je ne te prie pas de les ôter du monde, mais de les garder du malin » (Jean 17 :15). Certes, il y avait le collège des Apôtres, mais c’était loin d’être une communauté idéale : avec un traître, un colérique, un lâche... et des « amis » qui le lâchent précisément quand lui se trouve dans les difficultés. Le collège des Apôtres n’a été ni un modèle de solidarité, ni de tendresse, ni de douceur ou de confiance. A un seul moment Jésus a demandé leur aide, à Gethsémané, souffrant d’angoisse, il leur demande de rester avec lui pour prier... et eux... ils s’endorment ! Si c’est ça la communauté, il ne faut pas trop compter sur elle, il faut savoir que notre espérance, elle n’est pas dans les autres, fut-ce en communauté, mais en Dieu qui est notre secours.

Cela ne veut pas dire que la communauté ne sert à rien, ensemble on peut faire plus de choses, on peut s’entraider, être plus efficaces, mutualiser bien des choses, mais attention à ne pas avoir une vision trop haute de l’Eglise qui n’est qu’une organisation humaine, et pas un substitut de la présence de Dieu.Et puis, si l’Eglise primitive avait du bon, elle comportait aussi bien des problèmes.

Le premier et pas des moindres, c’est qu’elle reposait sur une erreur théologique : les premiers chrétiens étaient persuadés que le retour du Christ et la fin du monde étaient imminents. Cela suffit à tout invalider. Evidemment que si nous n’avons plus que quelques jours ou semaines à vivre, alors cessons de travailler pour prier, et mettons tout en commun. Mais cette fin du monde n’arrivant pas, ils se sont trouvés rapidement dans une situation de misère terrible, et Paul a dû faire la quête dans tout le bassin méditerranéen pour essayer d’aider à subvenir aux besoins de ces « saints » tout à fait imprévoyants. Et le même Paul s’évertuant à dire à ses fidèles de ne surtout pas imiter leur exemple, mais de se marier et de travailler.

De toute façon, le fait de tout partager n’est pas une bonne idée durable. Toutes les tentatives dans ce sens ont toujours mené à des catastrophes humaines (à moins de n’avoir pas de famille à nourrir), à du totalitarisme et à des massacres.

L’autre problème qui lui est lié, c’est justement la dérive sectaire que nous avons pointé du doigt tout à l’heure : Annanias et Saphira que Pierre condamnent à mort parce qu’ils n’ont pas bien respecté la loi de la communauté, on touche là à l’injustifiable. Et cette Eglise Primitive est ainsi loin d’être un paradis originel, c’est même l’exemple de ce qu’il faut éviter à tout prix . Nous sommes mis en garde qu’avec des bons sentiments on peut arriver à s’opposer à tout l’Evangile qu’on voulait prêcher. Incroyable et odieuse Eglise primitive pourtant prétendument dirigée par l’Esprit.

Certes il y a de bonnes choses, et si l’on fait abstraction de ces problèmes, tout n’était pas mauvais, au contraire. En particulier, on peut admirer qu’ils aient accepté le pluralisme en leur sein : que certains judaïsent et d’autres non, ils se sont adaptés aux personnalités, en leur laissant des initiatives, chacun pouvait aller à sa manière témoigner et créer des communautés. Cette liberté est encore aujourd’hui exemplaire.

Mais il ne faudrait pas croire qu’ils aient été toujours unis... Et l’idée d’une Eglise primitive une et indivisible qui aurait été brisée par le schisme effroyable de la Réforme est un mythe. L’Eglise primitive n’était pas une, il y avait des tendances, des discussions, des dissensions, et c’est plutôt à mettre à leur actif que d’avoir su accepter ces différences et vivre ensemble avec ces différences.

Le problème dans ce sens, il est venu plus tard, vers le IVe siècle quand l’Eglise a commencé à s’institutionnaliser et laisser de moins en moins de places aux fidèles, et aux initiatives personnelles. L’Eglise devient mauvaise quand elle bloque cela en devenant un carcan limitant la créativité et la liberté de l’individu, du fidèle dans sa foi au Christ.

Ce qu’il faut, c’est se souvenir que ce qui est central dans l’Eglise, c’est le point fixe de l’Evangile, c’est que chaque fidèle se doit d’obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes, et le seul contrepouvoir aux conciles et synodes, c’est la liberté de conscience de chacun au niveau local dans son contact avec le Christ.

Il faut toujours mettre en premier l’Evangile et la conversion personnelle. C’est d’ailleurs aller dans le sens de l’Evangile du Christ. Jésus a guéri des malades, mais jamais ne leur dit d’aller vivre en communauté avec les autres, au contraire, dans cette relation individuelle qui guérit l’individu, Jésus dit à chacun de retourner chez lui, avec sa conversion personnelle. De même Jésus ne parle pas vraiment de communauté, ce qu’il dit, c’est : toi quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme ta porte, et prie ton père qui est là dans le secret. (Matt. 6,6) Là encore, c’est l’individu et Dieu, il n’est pas question de communauté pour s’interposer. Quant à l’idée de vivre idéalement dans un petit groupe protégé, on ne peut pas penser que ce soit là le fond de la prédication du Christ. Il ne dit pas de vivre les valeurs de l’Evangile de partage de solidarité et d’amour seulement avec les membres de sa communauté, mais avec tout le monde, comme si l’on devait partager dans le cadre de la paroisse, et vivre dans l’indifférence de ceux de l’extérieur.

La communauté, ça peut aider, mais elle doit toujours rester secondaire, et au service de la relation personnelle avec Dieu qui est  la base de tout.

Et peut être finalement que le message essentiel des Actes est ailleurs : l’Eglise primitive est plein d’erreurs et d’échecs, nous l’avons vu, et pourtant, elle a bien réussi. Ce n’est pas grâce à elle qu’elle a réussi, mais elle a réussi malgré ses erreurs et ses maladresses, et c’est là une bonne nouvelle. On peut même plutôt dire que l’Eglise primitive a réussi non pas seulement malgré ses échecs, mais à travers ses échecs. Ce qu’il faut voir dans les Actes, ce n’est pas une Eglise juste et bonne qui triomphe de tout, mais au contraire une Eglise faible et pécheresse qui parvient à transmettre la bonne nouvelle malgré tout.

Et c’est une bonne nouvelle pour nous, parce que nous savons que notre réussite ne dépend pas seulement de nos propres réussites, mais du fait de Dieu qui peut faire triompher la vie même au travers de la mort, et montrer sa force dans nos faiblesses. Les Actes nous montrent une sorte d’illustration de la bonne nouvelle de la résurrection : la mort du Christ qui était l’échec de sa mission n’empêche rien, au contraire, elle devient le tremplin de l’Evangile, et il en est de même de toutes nos faiblesses, de nos manquements, de nos maladresses, pourvu que nous laissions Dieu œuvrer en nous et transformer nos œuvres dérisoires en œuvre divine.

Mais encore faut-il que nous ne prétendions pas à ce que nos œuvres humaines soient divines, et que nous laissions la place à Dieu dans nos institutions et dans nos vies. C’est la meilleure chose que nous puissions faire.

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Actes 2:37-47

Après avoir entendu cela, ils eurent le cœur vivement touché, et ils dirent à Pierre et aux autres apôtres : Frères, que ferons-nous? Pierre leur dit : Repentez-vous, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ, pour le pardon de vos péchés ; et vous recevrez le don du Saint-Esprit. Car la promesse est pour vous, pour vos enfants, et pour tous ceux qui sont au loin, en aussi grand nombre que le Seigneur notre Dieu les appellera. Et, par beaucoup d'autres paroles, il rendait témoignage et les exhortait, en disant : Sauvez-vous de cette génération perverse.Ceux qui acceptèrent sa parole furent baptisés ; et en ce jour-là, furent ajoutées environ trois mille âmes. Ils persévéraient dans l'enseignement des apôtres, dans la communion fraternelle, dans la fraction du pain et dans les prières. La crainte s'emparait de chacun, et il se faisait beaucoup de prodiges et de signes par les apôtres. Tous ceux qui avaient cru étaient ensemble et avaient tout en commun. Ils vendaient leurs biens et leurs possessions, et ils en partageaient (le produit) entre tous, selon les besoins de chacun. Chaque jour avec persévérance, ils étaient au temple d'un commun accord, ils rompaient le pain dans les maisons et prenaient leur nourriture avec allégresse et simplicité de cœur ; ils louaient Dieu et obtenaient la faveur de tout le peuple. Et le Seigneur ajoutait chaque jour à l'Église ceux qui étaient sauvés.

Jean 17:1-15

 Après avoir ainsi parlé, Jésus leva les yeux au ciel et dit : Père, l'heure est venue. Glorifie ton Fils, afin que le Fils te glorifie, selon que tu lui as donné pouvoir sur toute chair, afin qu'il donne la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés. Or, la vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ...

C'est pour eux que je prie. Je ne prie pas pour le monde, mais pour ceux que tu m'as donnés, parce qu'ils sont à toi — et tout ce qui est à moi est à toi, et ce qui est à toi est à moi — et je suis glorifié en eux. Je ne suis plus dans le monde; eux sont dans le monde, et moi je vais à toi. Père saint, garde-les en ton nom, (ce nom) que tu m'as donné, afin qu'ils soient un comme nous. Lorsque j'étais avec eux, je gardais en ton nom ceux que tu m'as donnés. Je les ai préservés, et aucun d'eux ne s'est perdu, sinon le fils de perdition, afin que l'Écriture soit accomplie. Et maintenant, je vais à toi, et je parle ainsi dans le monde, afin qu'ils aient en eux ma joie parfaite. Je leur ai donné ta parole, et le monde les a haïs, parce qu'ils ne sont pas du monde, comme moi, je ne suis pas du monde. Je ne te prie pas de les ôter du monde, mais de les garder du Malin.

Actes 2:37-47, Jean 17:1-15