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L'eau changé en vin à Cana: mosaïque de sens !
Prédication prononcée le 7 juin 2020, au temple de l'Étoile à Paris,
par les pasteurs Florence Blondon et Louis Pernot
LP
On peut avoir des doutes légitimes devant l’historicité d’un tel récit. Dieu ne peut pas contrarier ses propres lois naturelles, ni changer les atomes, pour un effet physique, il faut une cause physique. Il y a d’ailleurs de multiples explications possibles à l’épisode qui est raconté comme un miracle.
Cependant, rationaliser l’histoire totalement et ne la lire que comme une parabole serait sans doute perdre une partie de son sens. Jésus fait là quelque chose d’extraordinaire, il faut le lire comme extra-ordinaire. D’autant que c’est là le premier de ses gestes qui donne le sens de tout ce qu’il fera. Cela peut-être précisément pour dire que quand le Christ arrive quelque part, c’est de l’extra-ordinaire qui arrive, le merveilleux est convoqué, et ce qui pouvait sembler impossible devient possible.
Bien sûr, il ne faut pas se tromper sur cet « impossible », tout n’est pas possible à Dieu, l’absurde ne lui appartient pas. Mais il y a tant de choses que nos contemporains déclarent « impossibles » et qui, avec Dieu, deviennent possibles qu’il faut être méfiant. Il faut être ouvert à l’inattendu, à l’imprévisible de Dieu. Justement, ce texte nous rappelle que le monde n’est pas totalement déterminé. Même les scientifiques découvrent cela aujourd’hui : il n’y a pas de déterminisme, même en physique. Le monde est ouvert, et si tout ne peut pas advenir, beaucoup de choses peuvent arriver qu’on ne peut pas prévoir, le futur par définition n’est pas entièrement contraint par le passé.
Il faut donc ne pas écouter les rationalistes-raisonnables qui disent toujours que telle ou telle chose, « ce n’est pas possible ». Avec Dieu, beaucoup de l’impossible devient possible, il peut se passer des choses extraordinaires, totalement inattendues. Et même quand tout semble perdu, quand l’avenir semble condamné, il y a toujours une porte de sortie qu’invente Dieu et que les bons spécialistes prévisionnistes n’avaient absolument pas prévu.
Comme dit l’adage attribué à Voltaire « Candide » : « Ceux qui ne croient pas en l’impossible sont priés de ne pas déranger ceux qui sont en train de le faire ». Voilà ce premier signe de Jésus : le merveilleux peut s’inviter dans nos vies, et pour que cela soit, il faut avant tout être ouvert aux merveilles de Dieu, et reconnaître qu’au fond, le monde répond à des lois qu’on ne connaît pas totalement, et qui peut-être d’ailleurs n’existent pas en profondeur. Les prévisionnistes, les spécialistes qui prédisent l’avenir ont des discours souvent déprimants, et heureusement, ils se trompent toujours ou presque. Alors soyons ouverts à l’extraordinaire et à l’inattendu de Dieu, à l’irrationnel qui ne s’oppose pas à la raison, mais qui la dépasse ultimement pour nous faire sortir de l’inéluctable.
FB
Il y a donc un miracle, et sympathique d’ailleurs, mais c’est tout de même curieux, ce geste est fondamentalement insignifiant. Que Jésus guérisse un malade, qu’il redonne la vue à un aveugle, qu’il ressuscite un mort, d’accord, voilà quelque chose de formidable. Mais faire en sorte que des fêtards puissent continuer à s’enivrer, est-ce vraiment utile ? Et on ne comprend pas, du coup, pourquoi le texte dit que les disciples ont été absolument bouleversés par ce miracle, au point de croire ne lui comme le fils de Dieu.
Il doit y avoir quelque chose qui échappe, un sens caché...
D’ailleurs le texte ne parle pas de « miracle » littéralement, mais de « signe ». Or le propre du signe, c’est d’indiquer quelque chose au-delà de lui-même. Le signe n’a pas de sens propre, il renvoie à autre chose, ce vers quoi il pointe. Ainsi se préoccuper de l’eau transformée en vin, matériellement, serait comme l’imbécile à qui on montre la lune et qui regarde le doigt qui pointe et non pas la lune.
Que signifie donc ce texte ? Si on regarde de près, on s’aperçoit qu’il y a beaucoup d’éléments symboliques : il est dit que cela se passe le 3e jour. Déjà ce n’est pas rien, le 3e jour, c’est le jour de la résurrection, c’est le jour de Dieu qui est trine. Et si on compte tous les jours depuis le début, on s’aperçoit qu’on arrive ainsi au 7e jour après le baptême de Jean. Donc un cycle complet de création, on est là à l’accomplissement du plan de Dieu. Et puis encore on est à des noces. C’est tout une thématique qui traverse l’ensemble de la Bible que cela : depuis le Cantique des cantiques où l’amour entre Dieu et l’humanité est représenté par l’amour entre un fiancé et sa bien-aimée, en passant par les prophètes comme Osée qui demande à l’humain d’être comme une épouse fidèle à son Dieu, jusqu’à Jésus qui se présente comme l’époux, ce que confirmera tant Paul que l’Apocalypse. Il n’est donc question là pas juste de faire la fête, mais de s’unir à Dieu.
Et puis cela se passe à Cana. La localisation exacte de ce lieu n’a sans doute pas grande importance. Le verbe Qanah en hébreu signifie « acquérir », et même dans bien des cas « créer », c’est l’œuvre de Dieu dans les commencements... Il se passe donc des choses absolument essentielles et pas du tout triviales dans ces noces de Cana !
LP
Parmi ces symboles qui sont des clés de lecture, bien sûr, le plus central est celui du vin. Dans la Bible, le vin est d’abord le signe de la joie et de la fête, comme pour nous le champagne ! Et de la joie, il y en a en abondance dans ce récit.
D’abord on montre Jésus aller non pas prier au temple, mais faire la fête pour une noce avec ses amis. Cela n’est pas indifférent. Il faut comprendre que Jésus n’est pas contre la joie matérielle ni le plaisir, ni le mariage, ni la fête. Sinon il ne s’y serait pas commis ! On a dit que l’évangile de Jean luttait contre à la pensée gnostique de cette époque voyant une opposition entre le matériel et le spirituel, opposant le corps et l’esprit, comme si il fallait sacrifier le corps pour élever l’âme. Jésus n’oppose pas les deux et à aucun moment la joie terrestre n’est ni interdite, ni culpabilisée.
Et l’on voit que Jésus donne une joie plus grande encore par sa présence, une joie sans fin et sans limite. Tout cela fait un excellent commencement pour un évangile ! `Comme celui de Matthieu qui fait débuter la prédication du Christ par les béatitudes : 8 ou 9 fois « heureux ». L’évangile n’est pas pour la tristesse ou l’austérité, mais pour la joie et le bonheur !
Et avoir le Christ dans sa vie, c’est avoir avec soi une source immense de joie. Vivre avec le Christ, ça change tout, comme de partager un repas à l’eau plate ou avec un bon vin ! Cela dit, il serait faux de dire qu’il n’y a pas de joie sans le Christ. On peut vivre sans Dieu, sans foi et sans idéal élevé, et avoir des joies, bien sûr. Mais les joies terrestres sont toujours limitées, et ont une fin. On ne peut pas jouir indéfiniment et infiniment ni de sa richesse, ni de sa santé, ni de sa jeunesse. La joie spirituelle au contraire, elle n’est limitée par rien et dure toujours.
Mais on voit que le Christ ne peut offrir son excellent vin que quand le premier (qui est le vin des plaisirs terrestres) vient à manquer. Peut-être faut-il, en effet, avoir fait l’expérience de la limite des joies terrestres pour pouvoir vraiment découvrir les joies spirituelles. Ce serait pourquoi on ne voit pas le plus grand nombre de jeunes dans nos assemblées. Ils ont d’autres joies dans lesquelles ils peuvent s’enivrer. Il faut une certaine maturité, ou peut-être même avoir souffert et manqué de quelque chose pour pouvoir découvrir tout ce que peut apporter la foi.
En tout cas, quand on invite le Christ dans sa vie, on est sûr de ne jamais manquer de joie quoi qu’il arrive. Et les amis avaient bien fait de l’inviter, même si dans les premiers temps il n’avait servi à rien. Il en est de même de nos jeunes qui vont au catéchisme. S’il a été bien reçu, le Christ est présent dans leur vie, pas forcément très actif, mais il est là, il pourra agir quand ce sera le temps.
FB
De toute façon, ce texte est complexe, comme la réception de la foi est complexe. Il y a du début à la fin des glissements de sens, des quiproquos... Par exemple, ce sont les disciples qui croient, mais ils n’ont rien vu, et les serviteurs qui ont vu, eux, ne croient pas. Cela préfigure ce qui se passera à la fin de l’évangile quand Thomas voudra voir les plaies du Christ et que Jésus lui dira : « parce que tu as vu tu as cru, heureux ceux qui ont cru sans voir ». Cela n’est évidemment pas un hasard.
LP
Et puis il y a ces jarres dont on nous dit qu’elles servaient aux rites de purification des juifs... que viennent elles faire dans cette histoire ? En fait, elles renvoient à la Torah, donc à l’ancienne alliance, et on peut voir que le récit représente exactement toute l’évolution de la foi juive. Au départ en effet, il y a le vin qui coule à flot. Dans la tradition rabbinique, le vin représente la Torah. On croyait en effet, que dans les temps anciens, le Saint Esprit soufflait, que la Parole de Dieu était donnée, que ce soit à Moïse sur le mont Sinaï ou aux prophètes, Les juifs de l’époque pensaient qu’ensuite l’Esprit avait cessé de souffler, et la Parole d’être donnée. On a alors clos le Canon, fermé la Bible, plus de révélation, plus de prophètes, il ne restait que les règles et les lois à appliquer, c’est le moment où le vin manque, et il ne reste que les jarres à remplir d’eau. Puis l’on nous dit donc que quand le Christ vient, de nouveau l’Esprit souffle et une parole nouvelle est donnée, de nouveau Dieu parle. C’est donc tout le passage de l’Ancien au Nouveau Testament qui est représenté dans ce simple texte.
Et puis nous avons vu que le récit arrive 7 jours après le baptême de Jean. Cela aussi est intéressant. Dans un baptême, il est aussi question d'eau, c'est le point de départ. Et à la fin de sa vie, le Christ partagera un dernier repas avec ses disciples, et il leur donna du vin en disant : « buvez, ceci est mon sang ». Ainsi notre récit fait passer de l’eau au vin, comme le Christ du début à la fin de sa vie, c’est tout l’Évangile qui s’y trouve concentré.
Et pour nous, le baptême est ce que nous avons reçu comme signe de la grâce de Dieu. Et quand on donne le baptême à un enfant, ce que l'on peut souhaiter, c'est que cette grâce offerte et signifiés puisse pour lui se transformer un jour en une présence réelle, pleine de joie et de vie, qui est représentée par le vin de l’eucharistie. La grâce est un bon point de départ, le baptême un geste initiatique magnifique, mais encore faut-il le transformer en une présence réelle du Christ, boire son sang, s’abreuver de sa vie, de sa parole pour en vivre et y trouver sa joie.
FB
Enfin une autre étrangeté dans ce texte, et qui doit attirer l’attention : il est question de noces, mais que font les mariés ? Il n’en est pratiquement pas question. Le marié ne se préoccupe de rien et ne fait rien. Quant à la mariée, elle est tout simplement absente du texte. Peut-on penser qu’un récit de noces puisse avoir du sens sans qu’il soit question de l’épousée ?
La réponse est que bien sûr, de l’épouse il en est question dans tout le texte, c’est le lecteur, c’est nous ! Nous avons vu que dans la tradition biblique, la relation entre Dieu et l’humanité est toujours symbolisée par l’union entre un époux et sa bien-aimée. Ici, l’époux, c’est le Christ. L’ordonnateur du repas s’adresse à lui en disant qu’il sert un bon vin, or qui sert ce bon vin si ce n’est Jésus ? Ainsi dans ce même évangile de Jean, juste après notre texte, Jean-Baptiste dira explicitement que l’époux, c’est Jésus : (Jean 3 :29). Et quant à l’épouse donc, c’est nous. Paul dira ainsi : « je vous ai fiancés à un seul époux, pour vous présenter au Christ comme une vierge pure » (2 Cor 11 :2). Ainsi ce récit ne raconte pas les noces de n’importe qui qu’on ne nomme pas et dont finalement on se ficherait, il s’agit de notre propre union avec le Christ. Et il y a tout un processus compliqué permettant d’aller au bout de cette union en partageant le meilleur des vins de joie et de vie. Cela commence par le fait d’inviter le Christ à être présent et à partager notre vie, puis à réfléchir sur la nature de sa relation avec lui, (comme il le demande à sa mère : « qu’y a-t-il entre toi et moi »), enfin reconnaître son manque et savoir se tourner vers Jésus pour renouveler notre vieille eau en vin nouveau.
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Jean 2:1-11
1Trois jours après, il y eut des noces à Cana en Galilée. La mère de Jésus était là. 2Jésus fut aussi invité aux noces, ainsi que ses disciples. 3Comme le vin venait à manquer, la mère de Jésus lui dit : Ils n’ont pas de vin. 4Jésus lui dit : Femme, qu’y-a-t-il entre toi et moi ? Mon heure n’est pas encore venue. 5Sa mère dit aux serviteurs : Faites tout ce qu’il vous dira. 6Il y avait là six jarres de pierre, destinées aux purifications des Juifs et contenant chacune deux ou trois mesures. 7Jésus leur dit : Remplissez d’eau ces jarres. Et ils les remplirent jusqu’en haut. 8Puisez maintenant, leur dit-il, et portez-en à l’organisateur du repas. Et ils lui en portèrent. 9L’organisateur du repas goûta l’eau changée en vin ; il ne savait pas d’où venait ce vin, tandis que les serviteurs qui avaient puisé l’eau le savaient ; 10il appela l’époux et lui dit : Tout homme sert d’abord le bon vin, puis le moins bon après qu’on s’est enivré ; toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à présent.
11Tel fut à Cana en Galilée, le commencement des miracles que fit Jésus. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui.