Jusques à quand ?
Prédication prononcée par la pasteure Florence Blondon à l'Église protestante unie de l’Étoile Le 22 novembre 2020
Psaume 13
1Au chef de chœur. Psaume de David.
2Jusques à quand, Éternel ! M’oublieras-tu sans cesse ?
Jusques à quand me cacheras-tu ta face ?
3Jusques à quand aurai-je des soucis dans mon âme,
Et chaque jour du chagrin dans mon cœur ?
Jusques à quand mon ennemi s'élèvera-t-il contre moi ?
4Regarde, réponds-moi, Éternel, mon Dieu !
Éclaire mes yeux,
Afin que je ne m'endorme pas dans la mort,
5Afin que mon ennemi ne dise pas : Je l'ai vaincu !
Et que mes adversaires ne se réjouissent, si je chancelle.
6Mais moi, j'ai confiance en ta bonté,
Mon cœur se réjouit dans ton salut ;
Je chanterai à l'Éternel, car il m'a fait du bien.
Matthieu chapitre 5
14C'est vous qui êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée. 15On n'allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais on la met sur le chandelier, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. 16Que votre lumière brille ainsi devant les hommes, afin qu'ils voient vos œuvres bonnes, et glorifient votre Père qui est dans les cieux.
Jean chapitre 12
35Jésus leur dit : La lumière est encore pour un peu de temps parmi vous. Marchez pendant que vous avez la lumière, afin que les ténèbres ne vous surprennent pas : celui qui marche dans les ténèbres ne sait pas où il va. 36Pendant que vous avez la lumière, croyez en la lumière, afin que vous deveniez des enfants de lumière. Jésus dit cela, puis il s'en alla et se cacha loin d'eux.
Prédication
Qui parmi nous n’a pas poussé ce soupir ? Particulièrement en ces temps de confinement, relâchement, reconfinement, on ne voit pas vraiment la fin de tout cela. Chacune, chacun se questionne en fonction du lieu où il est, de la situation dans laquelle il se trouve. Avec nos frustrations propres : jusques à quand les magasins seront-ils fermés ? Jusques à quand ne verrais-je plus mes proches ? Jusques à quand ne pourra-t-on pas s’embrasser ? Jusques à quand devrai-je sortir avec une attestation ? Jusques à quand serai-je malade ? À bout de souffle ? Jusques à quand serai-je épuisée sous le poids de la charge? Jusques à quand vivrons-nous avec la menace des attentats ? Jusques à quand ? Jusques à quand ?
Sans sombrer dans le pessimisme ambiant, on ne peut nier que nous vivons une époque obscure et incertaine telle que notre pays n’en a pas connue depuis bien longtemps. Il est peut-être probablement même légitime de dire : c’était mieux avant. Une lassitude mortifère semble s’installer. Elle est certainement un ennemi aussi puissant que ceux qu’affronte David dans ce psaume.
Car cette prière par ses paroles presqu’intemporelles nous rejoint aujourd’hui. La plainte, ou plutôt les plaintes de David sont encore les nôtres. Pourtant ces plaintes ne sont pas l’aboutissement de la prière. Elles n’auront pas le dernier mot. Ces Psaumes de plaintes sont littérature de résilience, véritable arme contre l’enfermement dans le malheur. Le malheur est ainsi transcendé par l’acte de prière. D’ailleurs comment ne pas s’étonner que ce livre des Psaumes qui en hébreu se dit livre de louanges (Sefer Tehillim) soit empli de supplications, de cris ? Et ce bref psaume en est l’exemple parfait. Il commence par quatre plaintes, quatre questionnements, quatre jusques à quand ?
En exprimant notre souffrance devant Dieu, en la lui déposant en quelque sorte, nous ouvrons la possibilité de la transformation. Et ici les plaintes ont trois développements :
Jusques à quand, Éternel ! M’oublieras-tu sans cesse ? Jusques à quand me cacheras-tu ta face ? Cette voix est comme un cri dirigé vers Dieu. Il faut être un peu gonflé pour s’en prendre à Dieu, vous ne trouvez pas ? Et bien les Psaumes nous disent exactement cela : tu peux tout dire à Dieu, tu peux l’interpeller, tu peux même tourner ta colère contre lui.
Jusques à quand aurai-je des soucis dans mon âme ?
Et chaque jour du chagrin dans mon cœur ?
Dans un deuxième mouvement je me tourne vers moi, je me questionne sur mon état, je cherche la voie de sortie.
Jusques à quand mon ennemi s'élèvera-t-il contre moi ? Je trouve le responsable. Oui mais voilà, est-ce suffisant ? qui sont mes ennemis ? certes ce ne sont plus ceux de David. Non pas les Philistins, non pas Saül et ses troupes. Et si l’ennemi était intérieur ? Ces forces qui agissent en moi et me laissent à ma lassitude mortifère. Cette lassitude que nous ressentons toutes et tous, cette lassitude qui nous paralyse, qui bien trop souvent se complait dans nos égoïsmes et nous coupe des autres et de Dieu. Et si en ce moment c’est bien de lassitude que nous souffrons, bien d’autres ennemis nous assaillent : la haine, le découragement….
Jusques à quand ? Ou bien Jusqu’où ?
Car dans le texte original hébreu, l’orant ne dit pas jusques à quand mais bien jusqu’où ? En effet jusqu’où irai-je dans mes entêtements, dans mes plaintes ? Jusqu’où mes ennemis vont-ils m’attaquer ? La plainte dépasse le temps et l’espace. Tant que dure la plainte, et d’où qu’elle vienne, Dieu répond car la prière, ces suppliques nous tournent vers un autre. Elles sont l’arme absolue pour ne pas ruminer, tourner en rond, nous confiner dans notre malheur. Mais attention, la plainte a aussi un risque : celui de nous enfermer, de nous laisser tourner en rond, ressasser. Chacun pour soi, nos égoïsmes triomphent. En ce moment c’est caractéristique, chacun y va de sa demande, a des arguments, souvent bons, mais qui ne tiennent absolument pas compte de l’autre, des autres. Et je suis encore plus choquée lorsque l’on réclame la réouverture des églises pour les célébrations. Certes nous le pourrions en faisant respecter les gestes barrières, la distanciation et tout …mais la question est celle de la solidarité. Comment ne pas être solidaires des soignants qui souffrent, des commerçants qui se meurent. Certes nous sommes essentiels, mais il est aussi essentiel d’être solidaires.
Comment ne pas être nous en manque, alors qu’actuellement c’est le sort de presque tout le monde ? On peut prier partout, pas besoin d’être dans un temple. On peut prier seul, la communauté n’est pas obligatoire, même si je le reconnais c’est une dimension importante dans notre existence. Et surtout on peut imaginer d’autres modes de mise en relation, nous avons tellement de moyens à notre disposition. Je trouve même des vertus à ce confinement, nous avons redécouvert que la cellule familiale pouvait être le lieu de la prière, de la lecture de la Bible, du partage de la parole de Dieu. Regarder un culte en famille sur son canapé et discuter ensuite. Et lorsque nous nous retrouverons, cela aura une saveur merveilleuse. Ce qui me manque le plus aujourd’hui, ce n’est pas le culte du dimanche matin, mais l’accueil de nos amis les plus démunis qui ne peut plus se faire, dans une période qui est bien plus difficile pour eux que pour nous.
Voilà notre défi : au lieu de se complaire dans la plainte, la jalousie, le ressentiment, soyons capables de tisser des liens d’entraide, de trouver de nouvelles formes de partage. Pour que la plainte ne nous transforme pas en geignards, elle est inscrite dans un cadre, celui de la prière. Je prie, je dépose mon mal-être mais je continue mon dialogue, parfois conflictuel avec Dieu, je l’appelle à l’aide, au secours ! La plainte ne doit pas avoir le dernier mot, elle est un moteur, car on ne peut l’ignorer sous peine qu’elle ne rejaillisse, qu’elle ne se transforme en violence contre les autres ou contre soi. En l’inscrivant dans le cadre de la prière, elle peut être dépassée.
La prière continue à travers cette demande d’intervention.
4Regarde, réponds-moi, Éternel, mon Dieu ! Éclaire mes yeux, Afin que je ne m’endorme pas 5Afin que mon ennemi ne dise pas : Je l'ai vaincu ! Et que mes adversaires ne se réjouissent, si je chancelle.
Les psaumes sont certes des prières, de la poésie, mais pourtant celui-ci est construit comme un récit. Avec un état initial, la plainte, et un état final : « je chante ». Ainsi l’orant passe de la dépression au bonheur. Et comme dans les récits il y a un élément déclencheur. C’est la demande : que se passe-t-il dans cette demande ? La demande est précise : elle est en lien avec le regard et la lumière, en opposition avec le chancellement. C’est le chaos qui domine tout le début du psaume. Lorsque tout le mal m’assaille, je suis dans le chaos. Et le verbe chanceler est la plupart du temps en lien avec cet état primitif, chaotique. Une seule voie pour sortir de ce tourment, se mettre à l’écoute comme l’exprime le psaume 15 :
« Celui qui marche dans l'intégrité, qui pratique la justice
Et qui dit la vérité selon son cœur.
Celui qui agit ainsi ne chancellera jamais. »
Et le psalmiste réclame l’arme absolue contre le tohu-bohu : la lumière dans son regard, cette lumière qui advient dès le premier jour de la création. Le chaos va s’ordonner et la lumière va jaillir. Cette lumière nous la retrouvons aussi dans les Psaumes : « L’Éternel est ma lumière et mon salut, de qui aurais-je peur ?» (Ps 27,1) Ici lumière et peur s’opposent. Et surtout ce verset 105 du Psaume 119 : « Ta parole est une lampe à mes pieds, une lumière sur mon sentier ». Et en cette période où nous nous apprêtons à fêter Noël, nous savons combien la lumière est précieuse au cœur de nos nuits. Et cette lumière, c’est le Christ qui vient, comme nous le chante l’Évangile de Jean. Il est la lumière et il nous la transmet : il nous dit : à vous de jouer ! À vous d’éclairer : «vous êtes la lumière du monde » (Mt 5,14) Il donne son esprit de lumière à ses disciples.
Et la tâche est vaste ! Être lumière, c’est s’opposer au chaos, aujourd’hui c’est s’opposer aux forces de division, c’est-à-dire aux forces diaboliques qui habitent notre quotidien. Dans cette période où nous devrions nous épauler, nous soutenir, redécouvrir le vrai sens des fraternités, je suis frappée par tous les discours, voire les actes de rejet de l’autre, par les oppositions, les stigmatisations : les urbains contre les ruraux, ceux qui courent contre ceux qui marchent, ceux qui savent (ou croient savoir) contre ceux qui ignorent, les pauvres contre les riches, les malades contre les bien-portants, les jeunes contre les vieux. Apprenons à faire « avec », au lieu de toujours faire « contre », à soutenir ceux qui en ont besoin. Pouvons-nous œuvrer pour que ces élans soient plus forts que les forces de division, que nous puissions construire sur ce qui nous relie ? L’amour qui se décline en soutien, en prières, en solidarité, en écoute, en accueil…C’est le chemin pour un monde harmonieux, lumineux. Trouver le sens de la solidarité et également le sens de l’humilité. Accepter de ne pas tout maîtriser, de ne pas tout connaître.
Nous sommes des enfants de lumière, des forces anti chaos !
Florence Blondon
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