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56, avenue de la Grande-Armée, 75017 Paris

 

Jonas

Prédication prononcée le 22 mars 2020, au temple de l'Étoile à Paris,
par le pasteur Florence Blondon

1L'Éternel fit intervenir un grand poisson pour engloutir Jonas, et Jonas demeura dans les entrailles du poisson trois jours et trois nuits.
2Jonas, dans les entrailles du poisson, pria l'Éternel, son Dieu.
3Il dit :
Dans ma détresse, j'ai invoqué l'Éternel,
Et il m'a répondu ;
Du sein du séjour des morts
J'ai appelé au secours,
Et tu as écouté ma voix.
4Tu m'as jeté dans un bas-fond au cœur des mers,
Et les courants d'eau m'ont environné ;
Toutes tes vagues et tous tes flots ont passé sur moi.
5Et moi je disais :
Je suis chassé loin de tes yeux !
Mais je contemplerai encore ton saint temple.
6Les eaux m'ont couvert jusqu'à la gorge,
L'abîme m'a enserré,
Des joncs se sont noués autour de ma tête.
7Je suis descendu jusqu'aux ancrages des montagnes,
Les verrous de la terre m'enfermaient pour toujours ;
Mais tu m'as fait remonter vivant du gouffre,
Éternel, mon Dieu !
8Quand mon âme était abattue au-dedans de moi,
Je me suis souvenu de l'Éternel,
Et ma prière est parvenue jusqu'à toi,
Jusqu'à ton saint temple.
9Ceux qui s'attachent à de vaines idoles
Éloignent d'eux la bienveillance.
10Pour moi, je t'offrirai des sacrifices avec un cri de reconnaissance,
J'accomplirai les vœux que j'ai faits :
Le salut appartient à l'Éternel.
11L'Éternel parla au poisson qui vomit Jonas sur la terre ferme.

Prédication Jonas
Le livre de Jonas, situé dans l’Ancien Testament fait partie du recueil des 12 petits prophètes. Mais, en tant que morceau de littérature, il relève d’un genre différent. L’histoire est brève, enlevée, quatre petits chapitres lus en moins d’un quart d’heure. Alors que les livres des prophètes sont essentiellement des recueils d’oracles, Jonas nous raconte les aventures d’un prophète qui commence par se dérober à la mission qu’il a reçue de Dieu. Nous avons affaire bien plus à un récit, une « nouvelle », une sorte de conte biblique qui oscille entre la tragédie et la comédie.
Mais Jonas c’est avant tout à une histoire porteuse d’enseignement. Quelle est donc cette histoire ?
La plupart d’entre vous en connaissent le début, elle fait partie de ces histoires bibliques que l’on nous a conté, et que à notre tour nous contons aux enfants. Et, si cette histoire est connue, c’est avant tout pour le séjour de Jonas, dans le ventre de la « baleine », ou plutôt du poisson et même de la poissonne.
Mais le développement de l’histoire est souvent moins connu.
Car, la parole divine va rattraper Jonas qui avait essayé de fuir, elle va le conduire à Ninive.
Jonas est un hébreu, comme il se présente lui-même. Il est fils d’Amittaï. Son nom fait qu’on l’assimile à un prophète mentionné dans le Livre des Rois (2 Rois 14,25). Prophète qui a vécu sous le règne de Jéroboam II (entre 783 et 743 avant JC), à une époque où le royaume d’Israël, c’est-à-dire le royaume du Nord était menacé en tant qu’État et devait se battre contre son grand voisin assyrien, qui après lui avoir infligé des défaites devait prendre la ville de Samarie en 722 avant JC. Mais le déclin politique d’Israël correspondait également à un déclin religieux, et le peuple se livrait souvent à des cultes idolâtres. Qu’on assimile l’auteur du Livre de Jonas à un prophète qui lui est antérieur d’au moins 2 siècles est très significatif, car Ninive, la capitale de l’Assyrie où Jonas va être envoyé pour prophétiser est vraiment la ville d’un ennemi très ancien et très puissant. Elle symbolise à la fois l’idolâtrie, l’injustice sociale….
Il faut encore préciser, que Jonas signifie « colombe » en hébreu. La colombe évoque certes l’oiseau lâché par Noé qui revint annoncer la fin du déluge, une feuille d’olivier au bec. En cela elle est symbole de ce qui relie le ciel et la terre, et c’est exactement là le rôle du prophète mais c’est aussi un animal stupide par excellence (Os 7, 11) on voit dans son nom même inscrit une certaine ambivalence. D’autant que il est fils d’Amittaï, et ce nom signifie « Dieu est vérité. Dieu est fidélité ». Donc nous voici avec ce Jonas « colombe », fils de « Dieu est vérité ». Un homme plongé dans l’histoire difficile de son temps. Et, son histoire personnelle va l’amener à une découverte personnelle qui est ce Dieu vérité ! Comme les autres prophètes bibliques Jonas reçoit un appel et une mission à accomplir de la part de Dieu. Jonas est donc envoyé chez l’ennemi héréditaire, pour faire entendre à ses oreilles le cri de Dieu. « Car sa méchanceté est montée jusqu’à moi. » (1,2) L’ordre est bref, concis, et la fuite immédiate de Jonas nous alerte sur l’importance et la gravité de cette décision divine. La fuite de Jonas n’est pas une simple désobéissance, elle traduit un dilemme fondamental devant la Parole de Dieu. Et la désobéissance de Jonas s’accompagne de sa descente inexorable (ce n’est pas Dieu qui le fait descendre mais bien lui) pour se terminer dans le ventre dans poisson au fond de la mer. Jonas par son attitude va se retrouver au fond du fond : il descend à Jaffa, il descend au fond du bateau, puis au fond du ventre, au fond de la mer.
Il faut comprendre que Jonas prend tout à fait au sérieux la Parole de Dieu. Pour lui lorsque Dieu a parlé rien ne peut l’infléchir. Peut-être est-ce aussi le « sérieux » de cette attitude qui va être dénoncé, il est tellement attaché, collé à des images de Dieu de sa mission, qu’il est incapable de prendre du recul, et c’est donc par une dose d’humour que tout va se décoincer. Et dans notre récit l’ironie principale est dans le décalage entre la réaction du prophète et celle des païens représentés ici par les marins qui eux comprennent bien mieux que lui, le juif. (On va retrouver cela dans les évangiles !)
Le dilemme de Jonas le rendait muet devant Dieu, le portait à la fuite, le conduit même à choisir la mort plutôt qu’à assumer sa mission prophétique. Le dilemme des marins les conduit à la parole et à la prière, et comme ils choisissent la vie et non la mort ils jettent finalement Jonas à la mer. La scène se termine sur une offrande à l’Eternel, par ses païens qui demande pardon pour le geste qu’ils viennent de faire. Ce n’est qu’en désespoir de cause, et en s’adressant au Dieu de Jonas pour obtenir son absolution, qu’ils jettent finalement Jonas à la mer.
Mais, Jonas ne manque pas ici d’un certain panache. Il accepte son sort, et c’est une chance, il va découvrir le visage de Dieu. Et c’est au fond de la baleine que Jonas va crier, que Jonas va prier

Le psaume
Il peut paraître étonnant de trouver ce psaume intercalé dans notre histoire. Faites l’expérience : vous pouvez lire le récit de manière continu en faisant abstraction de ce chapitre, tout reste fluide compréhensible. Mais en réalité comme bien des choses qui dans une logique productiviste peuvent paraître superflue, voir gênante, il me semble que ce psaume, ce chant est probablement le cœur de ce petit livre prophétique, un chant qui donne une tonalité à l’ensemble de cet écrit, qui sans lui serait juste un conte humoristique (ce qu’il est aussi par ailleurs), mais pas un livre prophétique.
C’est dans le ventre de ce poisson, dans ce lieu de confinement que notre petit Jonas va faire une expérience primordiale : au cœur même du shéol, du séjour des morts, Jonas trouve la vie. Ce ventre, de tombeau se transforme en matrice, peut-être est-ce pour cela que le narrateur emploie le mot de poissonne « Jonas dans le ventre (matrice) de la poissonne pria le Seigneur. »(2,2)
La prière de Jonas s’inscrit dans la tradition de la prière biblique. Jonas se trouve dans une situation inédite, et au cœur de sa détresse il parvient à dire sa douleur dans des mots très personnels. L’aveu de son insécurité totale, coupé de ses repères cultuels et culturels, lui confère une dignité, une épaisseur qu’il n’avait pas avant et qu’il ne retrouvera plus. Il est dans la simple reconnaissance de ses limites de ses failles. C’est aussi ce psaume qui sauve Jonas dans ce récit, et par sa prière il rend la suite possible. Au fond du ventre il est coupé de tout, des autres de la vie et de Dieu, mais en priant il va rester en relation, malgré tout, contre tout, par sa supplication il dialogue avec Dieu. Et Dieu saura lui répondre. Jonas par la prière part à la rencontre de Dieu, oui, mais de quel Dieu ? Ou plutôt quelle image de Dieu a-t-il encore à la sortie du ventre ? Dieu a été compatissant pour lui, il s’est montré le Dieu de tous les retournements possibles, jusqu’où Jonas est-il capable de les accepter ? C’est un peu la question à laquelle tente de répondre l’histoire.
Jonas chapitre 3
1La parole de l'Éternel fut adressée à Jonas une seconde fois, en ces mots :
2Lève-toi, va à Ninive, la grande ville, et crie vers elle proclamation que je te dis !
3Alors Jonas se leva ; il alla à Ninive, selon la parole de l'Éternel. Or Ninive était devant Dieu une grande ville, de trois jours de marche.
4Jonas commença par faire dans la ville une journée de marche. Il criait ces mots : Encore quarante jours, et Ninive sera bouleversée !
5Les gens de Ninive crurent en Dieu ; ils proclamèrent un jeûne et se revêtirent de sacs, depuis les plus grands jusqu'aux plus petits.
6La nouvelle parvint au roi de Ninive ; il se leva de son trône, ôta son manteau, se couvrit d'un sac et s'assit sur la cendre.
7Il fit crier ceci dans Ninive : Par décision du roi et de ses grands : Que les hommes et les bêtes, le gros et le menu bétail, ne goûtent de rien, ne paissent pas et ne boivent pas d'eau !
8Que les hommes et les bêtes soient couverts de sacs, qu'ils crient à Dieu avec force, et que chacun revienne de sa mauvaise conduite et de la violence (attachée) aux paumes de ses mains !
9Qui sait si Dieu ne reviendra pas et n'aura pas de regret, et s'il ne reviendra pas de son ardente colère, en sorte que nous ne périssions pas ?
10Dieu vit qu'ils agissaient ainsi et qu'ils revenaient de leur mauvaise conduite. Alors Dieu regretta le mal qu'il avait résolu de leur faire et il ne le fit pas.

Prédication (suite)
Tout semble recommencer puisque le récit repart avec le même ordre du Seigneur, ordre auquel il avait refusé d’obéir : « debout, part pour Ninive, la grande ville ». Mais en réalité, Rien ne recommence comme avant. Car si « le diable se cache dans les détails », c’est également dans les détails que Dieu peut se dévoiler. Et le lecteur attentif peut remarquer que l’ordre adressé à Jonas est sensiblement différent : la proclamation n’est plus contre Ninive, mais vers Ninive, et le contenu de cette proclamation n’est plus indiqué ! ! !
L’histoire du grand poisson était déjà difficile à avaler. Mais alors l’épisode de la « quick » conversion des Ninivites l’est encore plus. On croit rêver ! Comment une telle histoire est-elle possible ? Quelle est sa crédibilité ? Derrière ces invraisemblances qui nous semblent presque plus relever du genre de la tragi-comédie que de la littérature biblique, se pose un questionnement profond : Qui peut se convertir ? Et ici la réponse est étonnante, ce sont bien les Ninivites, des païens, qui plus est des idolâtres, des mécréants, des étrangers qui vont reconnaitre le Dieu d’Israël comme vrai Dieu. On retrouve l’universalité du message de Dieu que nous avions déjà rencontré avec la réaction des marins qui se mettent à offrir des sacrifices. Mais ici ce sont les habitants de Ninive, jusqu’au roi qui vont faire des sacrifices. Car, en effet la conversion, ce retournement complet nécessite des « sacrifices ». On ne passe d’un système à l’autre sans dommage, sans difficulté.
Et ensuite cette histoire nous dévoile Dieu bien autrement : Qui est Dieu ?
Depuis le début du livre nous avons une image de Dieu qui est conforme à « ce Dieu de l’Ancien testament ». Il juge ! Il annonce la destruction ! Il y a même des méchants : les Ninivites, les habitants de cette grande ville de Ninive qui a été l’un des pires ennemis d’Israël : elle a écrasée la Samarie, et en a déporté la population, elle a été brutale, sanguinaire, injuste. Et lorsque nous lisons et que nous laissons prendre par l’histoire, nous attendons, nous attendons, même peut-être avec une impatience un peu malsaine les conséquences de l’annonce de Ninive, et on risque même de se réjouir d’avance des effets spéciaux et des sensations procurés par la « juste » vengeance de Dieu vis-à-vis des méchants ! Mais, n’est-ce pas là une compréhension fondamentalement inadéquate de Dieu et de ses desseins. Car si l’échec de la fuite de Jonas nous a appris que Dieu est intraitable dans l’exécution de sa volonté, nous somme en droit de penser que l’oracle porté par le prophète sera suivi d’effet. Et pourtant c’est la foi et l’inattendu qui prennent la place de l’excitation et de la violence d’une sorte de « remake de Sodome et Gomorrhe ». La réponse des Ninivites est sans précédents dans la tradition prophétique : à peine Jonas entre-t-il en ville et prononce-t-il 5 mots d’hébreu qu’il donne le signal de la réforme la plus forcenée dont on est jamais entendu parler. Dans une scène tout à la fois comique et touchante - Imaginez toute la population, jusqu’aux animaux recouverts de sacs – la ville pécheresse se met sens dessus dessous. Par Jonas Dieu a crié sur Ninive, et voici que Ninive va crier sur Dieu. Les Ninivites se sont détournés du mal et maintenant, Dieu va se détourner du mal qu’il avait prévu pour la ville. Ainsi à l’arrivée les identités sont modifiées, et le Dieu vengeur devient miséricordieux.
Mais Jonas ne peut l’accepter, c’est pire lui ne peut se convertir.
L’histoire aurait pu en rester là, et c’était très bien. Alors pourquoi rajouter ce chapitre 4, où l’on voit Jonas en pleine dépression alors qu’il aurait dû se réjouir du résultat de sa prédication ? Il faut encore que Dieu vienne le bousculer, l’enseigner. Lui faire comprendre ce qui lui manque. La foi, il l’a, mais la découverte d’un Dieu de compassion l’éprouve. Il lui faut donc apprendre que si la foi est nécessaire elle n’est pas suffisante, faut-il encore être capable de compassion, d’amour pour ses contemporains. Le livre de Jonas se termine de manière abrupte, sur une question à Jonas. Nous rappelant ainsi que Dieu nous questionne : Et, moi je n’aurai-je pas de compassion pour les habitants ? Cela n’aura de cesse de nous rejoindre tout au long de nos existences. Découvrir que Dieu aime les humains, tous les humains et nous invite à l’accepter et à faire pareillement. Sommes-nous également capables d’aimer nos prochains ? Sommes-nous prêts à mettre cette exigence au cœur de nos préoccupations ?
Amen