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En quoi Jacob était-il parfait? (Gen. 25:27)

Prédication prononcée le 11 mars 2018, au temple de l'Étoile à Paris,

par le pasteur Louis Pernot

L’histoire de Jacob et d’Esaü est complexe et pleine de rebondissements, mais il y a un verset fort curieux qui attire l’attention : il est dit en Genèse 25:27 :« Jacob était un homme parfait ».  Voilà une affirmation surprenante, comme s’il y avait un seul homme qui puisse être parfait dans le monde ! Paul lui-même dira : « il n’y a pas un juste, pas même un seul » (Rom 3:10, Ps 14:3). Même le Christ refuse d’être appelé « bon » par le jeune homme riche disant qu’un seul est bon et c’est Dieu (Marc 10:18). D’ailleurs Jacob est la seule personne de tout l’Ancien Testament qui est qui est dite ainsi « parfaite », à part le personnage légendaire de Job. Et cela est d’autant plus surprenant que Jacob a eu toute sa vie un comportement plus que discutable. Il va extorquer à Esaü son droit d’aînesse, puis il s’emparera de la bénédiction qu’Isaac voulait donner à son aîné par une ruse et un mensonge, et il trompera aussi son oncle Laban qui l’avait reçu. Dire ainsi que Jacob est un « homme parfait » est tellement saugrenu que les traductions préfèrent corriger en écrivant que Jacob était un homme « tranquille », ou « raisonnable ». Mais c’est ne pas écouter le texte sacré : l’hébreu est clair, « TaM » signifie bien « parfait », « accompli » et rien d’autre.

Si le texte biblique use d'un terme aussi fort dans ce contexte surprenant, c’est sans doute pour attirer notre attention : le texte nous dit en quelque sorte : « attention, voici maintenant quelque chose qui est la clé de la véritable humanité. Dans l'histoire de ce Jacob vous trouverez comment avancer vers l'accomplissement de votre être ». Or ne s'agit évidemment pas d'imiter l'homme Jacob dans sa conduite discutable, il faut donc penser qu’il y a là une vérité d’un autre ordre à trouver dans le récit, un enseignement théologique et spirituel.

Or précisément, on peut voir dans la description qui est faite d’Esaü et de Jacob les archétypes de deux sorte d’humanité : Esaü représente l’animalité, il est velu, fort, aime l’action, la chasse, l’extérieur, il est soumis à ses appétits mais n’est pas très intelligent, Jacob au contraire est fin, astucieux et intelligent, et il préférait l’intérieur des tentes. Jacob c’est donc l’intériorité, c’est l’homme spirituel.

Esaü est l’image de notre nature physique, son autre nom est d’ailleurs Edom, ce qui est le même nom qu’Adam qui signifie « la terre », « le rouge », il est le terrestre, rouge comme le sang qui est la vie de nos corps.

Et Jacob vient en second, accroché au talon de son frère, parce que la dimension spirituelle n’est pas première chronologiquement dans une existence, mais vient petit-à-petit. Un petit enfant tout bébé n’est pas encore spirituel, il est simplement dans la problématique de sa survie physique, ce qu’il lui faut, c’est de manger, de dormir, d’être l’objet de soins et d’attention. La dimension spirituelle est une dimension qui vient ensuite. C’est ce qu’enseigne Paul dans sa seconde lettre aux Corinthiens : « Il y a un corps naturel, il y a aussi un corps spirituel. Le premier homme, Adam, devint un être vivant, le dernier Adam est l'Esprit qui donne la vie. Ce qui est spirituel n'est pas le premier, c'est ce qui est naturel; ce qui est spirituel vient ensuite. Le premier homme, tiré de la terre, est terrestre ; le second homme vient du ciel » (1 Corinthiens 15:42-49).

Mais donc nous sommes tous comme Rebecca qui a en elle ces deux dimensions qui sont toujours un peu en conflit. Et toute notre vie nous devons assumer ce conflit entre ces deux hommes qui sont en nous, entre notre Esaü et notre Jacob, entre égoïsme et altruisme, entre soi et les autres, entre action et paresse, engagement et soumission, idéal et mollesse. Notre vie est en tension entre ces deux natures qui sont celle qui est animale et la spirituelle, entre l’ange et la bête. On peut ainsi lire toute l’histoire de Jacob et Esaü comme un enseignement sur la manière de gérer ce conflit intérieur pour parvenir finalement à la réconciliation et à la paix.

La première chose essentielle, et Rébecca en prend conscience, c’est qu’il est important que ce soit le spirituel qui domine sur le matériel, parce que c’est lui qui est le meilleur et qui est notre avenir. Isaac, lui, passe à côté de l’essentiel : il ne voyait que par Esaü qui était l’action, la force, le terrestre, et il ne voyait pas cette autre dimension qu’était Jacob qui était, lui, l’ «  homme parfait ». Il faut dire que comme Isaac, cette dimension essentielle de notre humanité, nous avons facilité à l’oublier, elle est discrète, et peut paraître insignifiante. Et nous nous laissons aussi vite aveugler par notre vie animal, nous aimons l’activité, nous aimons produire, agir, réaliser des projets, nous aimons remplir notre vie de mille choses, et on peut aimer cette fatigue que l’on ressent après une journée bien remplie et qui nous donne une impression factice d’avoir accompli des choses importantes.

Mais justement, cette agitation matérialiste n’a pas grand avenir. Certes, nous nous engageons dans notre métier, mais qu’en reste-t-il ? Et de nos loisirs ? Tout cela peut être grisant, satisfaisant, mais ne mène pas forcément à grand chose, et ne suffit pas à notre épanouissement.

Jacbob, lui, est dit « demeurant dans des tentes ». Le verbe « demeurer » est là important, c’est cette dimension spirituelle, en effet,  qui nous donne ce qui demeure, ce qui dure dans notre vie, et ce qui peut lui donner une dimension d’éternité. Comme dans le Psaume 23 où le croyant « demeure dans la maison de l'Éternel ». Que Jacob demeure à l’intérieur nous montre aussi qu’il est de l’ordre de l’intériorité, de la profondeur de l’être. Et le thème de la tente est un thème important dans la pensée juive, en particulier, il y a la fête des tentes (ou Soukkot) où les juifs se mettent dans des abris précaires pour se rappeler que nous ne pouvons demeurer en sécurité par nous mêmes, ni donner à notre vie une dimension transcendante, une sécurité ou une éternité par nos propres forces, mais seulement en faisant confiance à Dieu. Paul reprendra ce thème en disant que notre être spirituel est ainsi comme en voyage, s’abritant temporairement dans la tente de notre corps (2 Cor. 5:1).
Jacob est cet être nouveau, cet être divin et fécond, éternel que l’Esprit fait naître en nous et le nom de Jacob signifie « Celui que Dieu protège » et aussi : « celui qui prend la place d'un autre ». C’est bien cela, dimension spirituelle qui est en nous est à la fois protégé de Dieu pour la vie éternelle et est appelé à supplanter, tôt ou tard, notre nature animale (le plus tôt sera le mieux).

Notre texte nous montre que ces deux dimensions existent en chacun de nous dès l’origine de notre vie, nous avons une double nature à la fois terrestre et divine. Le problème, c’est de savoir si ces deux dimensions pourront vivre en paix en nous, ou laquelle dominera l’autre. Jésus dira : « nul ne peut servir deux maîtres » (Matt. 6 :24), et c’est sans doute vrai, il faut choisir on ne peut pas tout ménager, l’une de ces deux dimensions devra toujours commander l’autre. Ensuite, cela ne veut pas dire qu’il faille éliminer totalement l’une ou l’autre. Sacrifier le spirituel serait dramatique, comme Caïn qui tue Abel, et il ne faut pas non plus que Jacob tue Esaü, un ascétisme pur serait aussi une erreur, l’esprit peut avoir la première place sans nier la chair, il faut trouve modus vivendi permettant à la fois d’être dans la bonne direction en laissant Jacob dominer, mais d’être aussi efficace et incarnés dans ce monde pour y agir.

Dès notre naissance, ces deux natures sont en conflit comme Ésaü et Jacob dans le ventre de leur mère. Rebecca s’en rend compte et se pose cette question fondamentale : « S'il en est ainsi, pourquoi suis-je comme ça ? » (25:22). C’est alors qu’elle réagit au mieux : elle va soumettre cette question à Dieu. C’est une bonne idée, lui seul est la source de notre paix intérieure et peut nous permettre de hiérarchiser au mieux tout ce qui se trouve en nous. Ce que dit l’Eternel, c’est alors de ne pas détruire ou mépriser le corps, mais de mettre celui-ci au service de la dimension spirituelle : « Le plus grand sera le serviteur du plus petit des deux » promet-il à Rébecca. Mais avant d’arriver à ce que cela se passe d’une manière pacifiée, il y aura un long chemin, la chose n’est pas si facile !

Tout d’abord, il faudra prendre conscience des limitations de notre vie physique. C’est ce qui se passe quand Esaü revient de chasse : il est fatigué. Et surtout il prend conscience qu’il va mourir, il le dit. On peut ainsi se trouver fatigué de toujours courir et épuiser la chair, et puis réaliser que notre vie physique est limitée et ne peut, elle, que conduire à la mort. Et il a faim, faim d’autre chose, c’est le sentiment d’insatisfaction profonde que l’on peut ressentir. Pourtant il a certainement à manger puisqu’il revient de la chasse, mais son activisme ne parvient pas à le rassasier, il en vient à désirer la nourriture spirituelle de son frère. Il comprend que « l’homme ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (Matt. 4:4). Il est prêt alors à passer au second plan.

Ensuite Esaü tentera néanmoins toujours de repasser au premier plan. On dit que quand Jacob extorque la bénédiction de son père Isaac, il ne fait que justice puisqu’elle lui revenait de droit, Esaü y ayant renoncé. Mais on n’est jamais converti une fois pour toute, et la tentation est toujours présente.

Et là Jacob devra faire usage de ruse. C’est à dire d’intelligence. Il le fera une première fois avec son plat de lentille. Peut-être que pour avoir la paix avec sa dimension physique, il faut parfois savoir la nourrir, satisfaire son corps dans une certaine mesure permet de vivre en paix avec lui. Ensuite, Jacob ira un point plus loin dans la ruse en extorquant la bénédiction de son père. Certes, il n’est pas bien de tromper son père, mais parfois il est bon de ruser avec notre dimension animale pour qu’elle cède à la direction de notre esprit. Il faut sans cesse travailler à redonner la première place à l’esprit. La ruse a été valorisée par le philosophe Hegel qui parlait de « la ruse de la raison » : la raison n’est pas forcément un déroulement intellectuel et linéaire, elle peut passer par des détours inattendus, pour arriver à son but. De même la vie de celui qui est converti n’est pas une autoroute spirituelle menant droit à la vie éternelle, mais de permanente sinuosités pour parvenir à toujours remettre l’Evangile au centre de sa vie.

Mais après cela, il y a tout un moment où les deux frères sont en lutte. Cela n’est pas le but, mais peut-être l’expression de l’inévitable : il y a des luttes intimes et personnelles dans la vie de tout chrétien. Au départ Jacot fuit devant Esaü. Ce n’est pas la but. La fuite loin du monde n’est pas une manière positive ni pacifiée de vivre son existence spirituelle. Ce serait une sorte d’ascétisme radical, risque de chercher à se réfugier dans le spirituel en fuyant devant les désirs matériels, en fait par peur. Mais le but ultime, c’est la réconciliation entre les deux dimensions. Cela va prendre du temps. Et peut-être faut-il passer par tous ces états avant d’y parvenir, non seulement de la découverte du spirituel et peut-être passer par une sorte de radicalisation de la foi et des idéaux avant qu’ils ne reviennent à leur juste place.

Parce qu’à la réconciliation des deux frères, on peut être étonnés que leurs rôles semblent inversés. Jacob se montre très attachés aux biens matériels, il cherche à posséder, ce qui n’est pas très spirituel, et il propose à Esaü des cadeaux pour se réconcilier, mais celui-ci les refuse obstinément, se montrant, lui, désintéressé. C’est peut-être une piste, il ne faut jamais tomber ni dans la matérialisme pur, ni dans l’intégrisme spirituel, mais peut-être que notre direction spirituelle sache ne pas mépriser le matériel, voire qu’elle sache en profiter, et que notre attachement au matériel apprenne une part de détachement.

Alors les deux frères peuvent se retrouver, les deux dimensions de notre être peuvent se réunir dans l’harmonie, ce que mènera au comble de la réussite le Christ dont on dit qu’il avait la double nature humaine et divine et qu’en lui les deux étaient parfaitement unies, sans confusion et sans mélange !

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Genèse 25:19-34

19Voici la postérité d’Isaac, fils d’Abraham. Abraham engendra Isaac. 20Isaac était âgé de quarante ans, quand il prit pour femme Rébecca, fille de Betouel, l’Araméen, de Paddân-Aram et sœur de Laban, l’Araméen. 21Isaac supplia l’Éternel en faveur de sa femme, car elle était stérile, et l’Éternel entendit sa supplication. Sa femme Rébecca devint enceinte. 22Les enfants se heurtaient dans son sein, et elle dit : Qu’est-ce qui m’arrive ? Elle alla consulter l’Éternel. 23L’Éternel lui dit :
  Deux nations sont dans ton ventre,
  Deux peuples se sépareront au sortir de tes entrailles ;
  Un de ces peuples sera plus fort que l’autre,
  Et le plus grand sera assujetti au plus petitf.
24Au terme de sa grossesse, on vit que des jumeaux (se trouvaient) dans son sein. 25Le premier sortit entièrement roux, comme un manteau de poil ; et on lui donna le nom d’Ésaüg. 26Après cela, sortit son frère, dont la main tenait le talon d’Ésaü ; et on lui donna le nom de Jacobh. Isaac était âgé de soixante ans lorsqu’ils naquirent.
27Ces garçons grandirent. Ésaü devint un habile chasseur, un homme de la campagne ; mais Jacob fut un homme tranquille, qui restait (volontiers) sous les tentes. 28Isaac aimait Ésaü, parce qu’il avait du goût pour le gibier ; et Rébecca aimait Jacob.
29Un jour que Jacob faisait cuire un potage, Ésaü revint de la campagne, accablé de fatigue. 30Ésaü dit à Jacob : Laisse-moi, je te prie, manger de ce roux, de ce roux-là, car je suis fatigué. C’est pour cela qu’on a donné à Ésaü le nom d’Édom. 31Jacob dit : Vends-moi aujourd’hui ton droit d’aînesse. 32Ésaü répondit : Me voici sur le point de mourir, à quoi me (sert) ce droit d’aînesse ? 33Alors Jacob dit : Prête-moi d’abord serment. Il lui prêta serment et vendit son droit d’aînesse à Jacob. 34Alors Jacob donna à Ésaü du pain et du potage de lentilles. Il mangea et but, puis il se leva et s’en alla. C’est ainsi qu’Ésaü méprisa le droit d’aînessei.

1 Cor. 15:42-50

42Ainsi en est-il de la résurrection des morts. Semé corruptible, on ressuscite incorruptible. 43Semé méprisable, on ressuscite glorieux. Semé plein de faiblesse, on ressuscite plein de force. 44Semé corps naturel, on ressuscite corps spirituel. S’il y a un corps naturel, il y a aussi un corps spirituel. 45C’est pourquoi il est écrit : Le premier homme, Adam, devint un être vivantc. Le dernier Adam est devenu un esprit vivifiant. 46Le spirituel n’est pas le premier, c’est ce qui est naturel ; ce qui est spirituel vient ensuite. 47Le premier homme tiré de la terre est terrestred. Le deuxième homme vient du ciel. 48Tel est le terrestre, tels sont aussi les terrestres ; et tel est le céleste, tels sont aussi les célestes. 49Et de même que nous avons porté l’image du terrestre, nous porterons aussi l’image du céleste.Transformation et victoire finales
Ce que je dis, frères, c’est que la chair et le sang ne peuvent hériter le royaume de Dieu, et que la corruption n’hérite pas l’incorruptibilité.

Gen. 25:19-34, I Cor 15:42-50