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Heureux les humbles... mais non à l'humiliation !

Prédication prononcée le 4 octobre 2020, au temple de l'Étoile à Paris,
par le pasteur Louis Pernot

Quelle est la principale des vertus chrétiennes ? L’amour ? Oui, sans doute la plus importante, mais pas la première. D’après Vladimir Jankélévitch dans son Traité des vertus, la vertu centrale, celle qui est à la base de toutes les vertus, c’est l’humilité. Cela m’a intéressé et intrigué, parce que je n’ai jamais bien compris ce que c’était cette humilité valorisée par Jésus, jusque dans les Béatitudes : « heureux les humbles, ils hériteront la terre » (Matt. 5:5). Jamais compris, et jamais tellement aimé... parce que peut-être que je suis un peu orgueilleux... Et parce que ça me fait penser à tant de sermons nauséabonds dans l’histoire du Christianisme visant à humilier l’homme, et le traîner dans le moins que rien.

Or l’humilité bien comprise est vraiment la vertu première et peut-être la clé de tout l’évangile, parce qu’elle est fondamentalement disponibilité. C’est l’antithèse de l’égocentrisme ou de l’égoïsme total qui serait imagé par le péché originel où justement c’est le moi qui se met au centre. L’humilité est de comprendre que le moi n’est pas tout, et voir qu’il y a en soi de l’imperfection, de l’échec, de l’erreur, de l’incomplétude, et ainsi de laisser une place à autre chose que moi. Cela permet d’entrer dans une juste relation à l’autre, où du coup l’autre n’est plus « rien », parce que si j’étais tout l’autre ne serait rien. Si j’avais toujours raison, l’autre serait toujours dans l’erreur, et je pourrais juger le monde à partir de moi, de ce que je pense, ce que je dis et ce que je fais. L’humilité relativise tout ça et permet donc d’accueillir l’autre, c’est-à-dire d’arriver à cette autre vertu qui est centrale qui est l’amour.

L’amour est certes le centre de tout, mais la possibilité en est conditionnée par cette vertu humble mais première qui est l’humilité. L’amour du prochain est de faire exister l’autre, et non pas par une sorte de condescendance de vouloir s’attacher à l’autre ou de vouloir lui faire du bien, mais véritablement de l’accueillir. L’amour du prochain n’est pas tant action que disposition d’esprit ; il n’est pas non plus sentiment au sens où il s’agirait de trouver quelqu’un de sympathique ou pas, mais il est disposition d’esprit par rapport à l’autre, d’accueillir l’autre comme une personne qui a autant d’importance ou d’autant plus d’importance que je sais que moi je ne suis pas la merveille du monde C’est ce que dit Paul quand il dit : « que chacun de vous, au lieu de considérer son propre intérêt considère aussi celui d’autrui » (Phil. 2:4) c’est une façon pratique de parler de l’amour du prochain comme accueil de l’autre.

Et l’humilité permet aussi d’accueillir la grâce et donc de la rendre effective. Sans humilité, il n’y a pas de conscience possible de quelque don venant de l’extérieur, et pas de grâce possible puisque pour recevoir la grâce, il faut en ressentir le besoin. C’est l’humilité qui permet d’être en disposition de recevoir la grâce. Sans humilité, la grâce coulerait sur la personne comme l’eau sur les plumes d’un canard, parce qu’il n’y aurait pas d’appétence à la grâce. L’humilité est donc le point de départ. C’est pourquoi dans nos liturgies, il y a la confession des péchés qui permet, non pas de se flageller ou de s’auto-culpabiliser, mais de montrer que l’on considère qu’il y a plus important que soi, non seulement qu’il y a de l’importance hors de soi, c’est l’amour du prochain, mais qu’il y a même plus important que soi qui n’est pas le prochain, mais qui est Dieu.


Cependant, l’humilité n’est pas la négation du moi, l’annihilation de notre personne. Paul dit: "que chacun au lieu considèrer son propre intérêt considère « aussi » celui de l’autre » (Phil. 2:4). Le « aussi » est important. Il ne s’agit pas de considérer seulement l’intérêt des autres, il ne s’agit pas de cesser d’être pour n’être que dans l’accueil de l’autre, car l’accueil suppose aussi qu’il y ait un sujet accueillant, et nier, le sujet, ou détruire ce sujet serait aussi dégrader la possibilité même de l’amour. L’amour du prochain a d’autant plus de valeur qu’il est de la part d’une personnalité forte et établie. Sinon ce n’est qu’une sorte d’attachement d’une mouche qui tourne autour d’un excrément, sans intérêt. Mais quand celui qui est grand et qui a même une haute opinion de lui-même vient vous voir et vous dit : « mon ami tu es important, tu es grand et beau », cela a d’autant plus de valeur. Donc l’amour du prochain suppose non seulement une dimension d’humilité, mais aussi une conception forte de soi-même qui donne de la valeur à cet amour. L’amour est en effet relation et une relation suppose l’existence de deux pôles.

C’est pourquoi nos liturgies ne nous laissent pas sur la confession du péché, car alors je ne serais rien, mais elle annonce la grâce, car ainsi j’ai à la fois l’humilité et la possibilité d’être quelqu’un pour accueillir l’autre.

L’humilité qui est ouverture sans détruire le sujet permet l’amour. L’amour du prochain par lequel je considère que l’autre a une place et une importance que je reconnais et que j’accueille. Et par rapport à Dieu et à la grâce je considère qu’il y a fondamentalement plus important que moi. L’amour du prochain n’est donc pas du même ordre que l’amour de Dieu, même s’ils sont reliés. L’amour de Dieu n’est pas seulement donner de la place à un autre parmi d’autres dans un groupe d’humains dont je fais partie, mais c’est décentrer fondamentalement son être par rapport à un être éternel infini et parfait qui est Dieu ou que j’appelle ainsi...


Et puis il y a dans l’humilité quelque chose de l’ordre du dépouillement de soi-même, non pas tant pour attaquer le sujet que pour le libérer de ce que nous avons passé notre temps à y agréger pour prétendre lui donner de l’importance. Nous avons tendance à ajouter à notre être des artifices extérieurs ou matériels prétendant donner de l’importance à ce moi, que ce soit un statut social, une profession, l’argent, l’apparence, le pouvoir, toutes ces choses extérieures que nous utilisons pour colmater les faiblesses de notre moi. Or il faut relativiser tout cela pour laisser au moi sa tendresse et sa capacité d’accueil, c’est à dire son humilité. L’humilité permet en effet la compassion, l’attention à l’autre.

Une étude montre que l’être humain, plus il a de pouvoir, de fonction élevée, d’argent, plus son degré de capacité à s’émouvoir sur le sort des autres diminue. C’est inévitable, de même que le médecin qui passe son temps à voir des gens malades finit pas s’y habituer. Celui qui a des responsabilités élevées passe son temps à devoir prendre des décisions qui blessent ou font du mal à certains et par conséquent est obligé de s’y habituer et de s’y insensibiliser. Mais heureux donc celui qui arrive, même en tant que dirigeant à prendre des décisions courageuses, en tant que médecin tout en se protégeant pour ne pas avoir à pleurer sur le cas de chaque malade qu’il soigne et qui meurt, mais qui sait garder intact dans sa relation personnelle sa capacité à accueillir l’autre comme personne et à s’émouvoir.

C’est tout le problème, la difficulté des dirigeants chrétiens, et ce dialogue entre un patron et un syndicaliste qui m’a toujours marqué et se présentant à moi comme une aporie, le patron obligé de licencier tant de personnels créant autant de situations personnelles et familiales dramatiques, mais se trouvant dans l’obligation de le faire pour sauver sa société et préserver ainsi les emplois des autres, par rapport au syndicaliste qui lui dit que ce qu’il fait est inique. Le patron lui explique la situation et lui dit : écoutez, cher ami, qu’auriez-vous fait à ma place et à ma situation, et le syndicaliste de répondre : Monsieur, j’ai toujours fait en sorte de ne pas être à cette place.

Mais le chrétien n’a pas à renoncer à ses fonctions ; le syndicaliste a eu tort de dire une chose pareille. Le chrétien n’a pas à démissionner, ni à renoncer au pouvoir, ni à tous ses signes extérieurs, mais il doit être capable de garder cette humilité fondamentale vis-à-vis du monde, vis-à-vis des autres et vis-à-vis de soi-même. Je ne suis rien, je suis là par le hasard de l’existence, j’ai cette chance d’avoir cette fortune, cette santé que je ne mérite pas plus qu’un autre, et je suis là, et je dois faire en sorte que ma situation n’émousse pas mon humilité.

Quand Jésus met en garde contre les richesses ou met en garde les riches, c’est précisément parce qu’ils ont plus de tentation que d’autres de perdre cette humilité, de croire que cette richesse serait due à leur talent, à leur valeur, alors que leurs talents même leur ont été donnés, ou de croire qu’ils peuvent se cacher derrière cette richesse qui pourrait prendre la place même de leur moi, de leur être. Se cacher derrière des artifices pour ne pas voir son insuffisance, ce n’est plus de l’humilité, c’est de l’abdication. L’être humain n’a pas à renoncer à être lui-même, il n’a pas à cacher son être, ou son moi derrière un autre moi de papier mâché qu’il se fabriquerait. Il doit dépouiller son moi de tout ce qu’il a ajouté pour retrouver l’humilité réelle. Or les possessions, et les fonctions diverses peuvent jouer le rôle de paravent essayant de protéger un moi fragilisé, à l’aide de choses extérieures vaines et passagères. Cela rend nuisible pour les autres, parce que l’humanité est alors enterrée, et c’est un danger pour soi par le fait que le moi lui-même n’est mis que derrière un paravent qui peut du jour au lendemain s’effondrer, s’envoler et disparaître, laissant le moi totalement démuni dans une incapacité à s’accomplir soi-même.


Il faut donc remettre le moi à sa juste place. D’abord l’humilité est reconnaître que le moi n’est pas grand-chose. Ce pas grand-chose n’est pas rien, parce que si le moi n’était rien, il n’y aurait pas de sujet, pas de possibilité d’aimer, ni même d’agir. Et il faut donc apprendre à dégraisser le moi, qui prend en général trop d’importance et que nous avons tendance à mettre au centre de tout. Il faut dégraisser le moi, le débarrasser de tout ce que on a essayé d’y greffer pour se mentir à soi-même. Ainsi faut-il reconnaître que le moi n’est pas rien, mais qu’il est un presque rien, un presque rien qui n’est pas grand-chose, mais pas rien. Et ce travail de dépouillement du moi est le travail de l’humilité.

Le risque, c’est évidemment d’aller trop loin dans ce dépouillement et d’arriver à une annihilation totale où la personne face à sa responsabilité, face au monde, face à ses échecs et ses propres erreurs, finit par se considérer comme n’étant rien et ne valant rien. Là est nécessaire l’autre élément essentiel, et justement présent dans nos liturgies à la suite de ce travail de dépouillement de la confession des péchés, qui est la grâce : je suis petit, mais Dieu m’aime, je suis pécheur, mais Dieu m’accueille et m’accepte. Cela, on peut le ressentir et le vivre de façon mystique parce que tout petit que je sois j’ai quelqu’un qui m’aime et ce quelqu’un est immense, éternel et infini, et cet amour qui m’est donné me valorise infiniment. Ou purement intellectuellement je peux me dire : je suis inconditionnellement accepté et validé comme membre de ce monde parce que les autres ne valent pas mieux que moi.

Cette comparaison avec les autres d’ailleurs n’est pas évidente, nous avons tendance parfois à nous trouver petits et misérables par rapport aux autres, par rapport à ces personnages extraordinaires que nous rencontrons, d’une justice, d'une fidélité, d’un engagement extraordinaires... Mais méfiez-vous, s’il y a une capacité à se mentir à soi-même sur sa propre valeur, ce qui est le contraire de l’humilité, il y a aussi une capacité à mentir aux autres, et ceux parfois, trop souvent, que nous avons crus être purs, saints et admirables, quand on creuse, on trouve des zones d’ombres terribles, ce qui prouve que l’humilité doit être par rapport à soi et non par rapport aux autres.

Les religions qui présentent à leurs fidèles des modèles de foi et de vertu que seraient les moines, les religieux, les prêtres, ou les pasteurs, pour qui on avait à une époque une sorte de vénération religieuse, font un tort infini à leurs fidèles parce qu’il s’agit là d’un mensonge. Ceux qui se laissent aller à ce petit jeu et prétendent se présenter eux-mêmes comme des icônes, des modèles de vertus, ne font ainsi que nourrir leur propre moi égotique et ainsi s’éloignent de la véritable humilité de l’évangile. Le plus saint n’est pas le plus parfait, mais le plus saint est celui qui est humble, imparfait et qui témoigne de son imperfection, et de la puissance de la grâce. C’est pourquoi Luther, très justement disait que le pasteur n’a pas de nécessité à être parfait ou exemplaire, mais même s’il est pécheur, (s’il n’est pas quand même scandaleusement pécheur), il sera au moins un témoin de la grâce. Et donc ces images prétendues de perfection ne sont que des images de fatuité et de contre-exemple de l’Evangile. L’humilité même de ces hommes et de ces femmes religieux, si elle était sincère devrait leur faire refuser d’endosser ce rôle qu’on veut leur faire jouer et qui n’est qu’un rôle de destruction pour le peuple qui est invité non pas à la perfection morale ou spirituelle, mais avant tout à la première vertu princeps et hors de laquelle aucune autre vertu n’est possible et qui est l’humilité.


Quant à la valeur de chaque être indépendamment de la dimension mystique, elle tient l’unicité de chaque être. Une fourmi remplace une autre fourmi, un chevreuil remplace un autre chevreuil. Un être humain ne remplace pas un autre être humain. Chez les sangliers, quand une laie est tuée par un chasseur ou une voiture, les marcassins trouveront une autre laie, sans aucun problème psychologique. Un orphelin sera toujours un orphelin. Et donc chaque être est un événement unique universel, il n’y en a pas deux pareils, et toute pièce unique a une valeur infinie parce qu’elle est irremplaçable. Ainsi, quand nous disons que Dieu nous connaît chacun par notre nom, c’est justement pour dire cela : l’amour de Dieu n’est pas une sorte d’amour global, de préoccupation générale pour l’humanité dont je serais un élément non indispensable et interchangeable, mais une attention à chacun parce que chacun est un chef d’œuvre unique dans toute l’histoire de l’Univers. Et sa valeur est donc en soi infinie.

Et nous avons donc un devoir religieux et moral à assumer et reconnaître cette valeur infinie de notre être sans la cacher derrière quelque chose qui, elle, n’est pas unique. Je peux essayer de briller par ma fortune, mais un autre sera plus riche que moi, je peux essayer de briller par mes fonctions, mais un autre est plus puissant que moi. Il faut donc apprendre à recentrer son être sur sa véritable valeur qui est ce qu’il est lui en tant qu’être et en tant que personne. Notre vraie richesse c’est ce prénom qui nous a été donné à notre baptême comme une reconnaissance unique et éternelle par Dieu, par l’univers et par tous d’un être unique, individuel et infiniment important pour ce qu’il est. Certainement que le moment du baptême est le moment de la plus grande vérité qui soit jamais dite sur notre être. « Aujourd’hui, je t’ai appelé par ton nom, tu es a moi dit Dieu, l’Éternel, je t’ai libéré ». Une parole d’une valeur infinie donnée sur un être d’une façon inconditionnelle et indépendamment de tout ce qu’il pourra faire posséder et réaliser, indépendamment de la situation future, de la longueur de sa vie, de la qualité de son mariage ou du nombre de ses enfants, cette valeur qui nous est dite le jour de notre baptême qui dit tu es cela. Rappelons-nous que notre valeur tient seulement à ce que nous sommes, et à cette parole : « aujourd’hui tu es mon enfant bien aimé en qui j’ai mis tout mon amour » (Esaïe 43:1), cette valeur intrinsèque et intime de l’être à retrouver comme dépouillée de tout ce que nous prétendons mettre autour et qui finalement le cache. Une valeur qui tient à une seule chose, aujourd’hui, le Dieu de l’Univers t’accueille comme tel parce que tu es unique. Et ainsi dans l’humilité de mon propre être, je peux reconnaître dans l’autre quelqu’un d’une valeur infinie, reconnaître la valeur de l’autre en tant qu’ayant une qualité essentielle c’est qu’il est unique.


Après, la vertu de l’humilité a quelque chose de particulier, par rapport aux autres vertus, c’est qu’elle demande un temps long de progression et de croissance pour l’obtenir ou s’en approcher. Les autres vertus peuvent être spontanées. Quelqu’un peut faire preuve de courage dans une situation donnée, ou de générosité par une émotion momentanée. Mais l’humilité est un long travail de dépouillement du moi qui ne peut se faire en un instant et qui est le travail de toute une vie. En ce sens, pour l’humilité, le temps est un allié et certainement que les personnes qui ont plus vécu que d’autres ont, ou peuvent avoir, plus de possibilité à découvrir cette vertu, parce que le temps, les épreuves, la maladie ou l’approche de la mort poussent à relativiser son propre être et à chercher à l’extérieur quelque chose d’autre que soi.

Mais cette recherche ne se fait pas toujours dans le bon sens. Ce peut être pour ceux qui ont des enfants des petits enfants de se projeter sur eux, ce qui ne réussit d’ailleurs pas toujours, et ce n’est pas un service à leur rendre que de vouloir les utiliser pour colmater son « moi ». Certainement d’ailleurs que plus on attend des autres qu’ils vous donnent une valeur, et moins ils le feront. Et cela ne serait de toute façon pas dans le sens de l’humilité, ce serait une fausse humilité, et plutôt une récupération, une instrumentalisation de l’autre pour gonfler son propre moi et se donner une illusion d’être qui est fausse par rapport à l’être même qui consiste à l’accueillir l’autre pour ce qu’il est et non pas pour ce qu’il peut m’apporter.

Quant au rôle de l’âge, on le voit dans la célèbre histoire de Jésus avec la femme adultère, quand il dit « que celui qui n’a jamais péché jette en premier la pierre » (Jean 8:7), et on dit qu’ils se retirent tous à commencer par le plus âgé, c’est à dire la capacité à accueillir l’autre même pécheur ne peut se faire que si je me reconnais moi-même comme pécheur, et sans doute que les plus âgés ont plus pas forcément de facilité, mais de possibilité de faire cela. Les mauvaises langues disent que c’est parce que les plus âgées ont eu le temps de pécher plus, mais aussi parce que l’expérience même de la vie, une croissance spirituelle et intérieure leur permet un plus juste positionnement de leur être par rapport à l’essentiel, l’absolu et au monde.


Et l’humilité est donc la condition morale qui précède l’amour et toutes les autres vertus. Parce qu’il faut être humble pour pouvoir donner de l’importance à l’autre, il faut être humble pour pouvoir être courageux, pour être généreux et pour l’être non pas d’une manière occasionnelle, mais systématique

Quant à la modestie, elle peut être considérée comme la partie visible de ce socle fondamental et invisible de l’humilité. Il est évident que dans ce cas il ne s’agit là que de véritable modestie et pas de la fausse modestie qui serait une forme particulièrement perverse d’orgueil ou de manipulation de l’autre.


Mais l’humilité a aussi son risque, et son mauvais sens, c’est l’humiliation. Humilité n’est pas humiliation.En effet, l’humilité consiste à dépouiller le moi de ce qui n’est pas lui, l’humiliation est une attaque du moi, une destruction du moi, une déstabilisation du moi qui n’est absolument pas de l’ordre de l’humilité, celle-ci visant au contraire à solidifier et à renforcer le moi éternel en le libérant de toutes les béquilles fausses qu’il s’adjoint et qui ne sont pas de lui, de façon à ce que le moi soit plus lui-même et plus en force, plus en capacité même à être sujet de façon même à pouvoir mieux aimer parce qu’il est un sujet. L’humilité ne consiste donc pas à détruire le sujet à l’annihiler ou à le nier, parce que s’il n’y avait plus de sujet, il n’y aurait plus d’amour possible, plus d’action, plus de courage possible, mais au contraire à le purifier. L’humiliation est la pire chose, même s’il peut arriver que des circonstances modestes qui nous humilient permettent d’arriver à une certaine humilité, à condition qu’il y n’y ait pas de destruction du moi, mais que cela n’enlève que l’inutile. Toute humiliation ne peut être supportable et constructrice qu’avec cet antidote essentiel qui est la grâce ; Oui Seigneur, je suis pécheur et confronté à l’échec, je suis confronté à des expériences qui tendent à me faire croire que je suis un déchet, que je ne suis rien, indigne d’exister ou d’agir, mais la grâce elle-même me rappelle que Dieu m’aime moi comme je suis, mais nu, comme je suis sorti du ventre de ma mère et comme le je rejoindrai à la fin de mes jours, et que cet être essentiel de ce moi dépouillé de tous ses artifices, il est intangible, indestructible, il est sacré. « Ma personne est sacrée » comme diraient d’autres, mais non pas par mes fonctions, quelles qu’elles soient, même républicaines, mais par personne est sacrée par nature et par l’amour que Dieu me donne.

L’humiliation n’est donc qu’une version perverse de l’humilité. Perversion dans laquelle le christianisme est trop souvent tombé : « Je ne suis qu’ordure, infection et puanteur » écrit le mystique dominicain espagnol Louis de Grenade, cité par Jankélévitch, cette espèce de masochisme chrétien confondant l’humilité et l’humiliation voulant réduire le sujet à rien n’est qu’une perversion de l’humilité chrétienne.

Et la véritable humilité est paradoxalement non pas dans un nihilisme et du rejet et du refus de soi, mais dans un authentique et véritable amour de soi, c’est à dire s’aimer soi-même pour ce que l’on est et non pas pour ce que l’on n’est pas. Il y a dans la fatuité et l’orgueil, une haine de soi dissimulée par des procédés qui visent à essayer d’adjoindre à soi des choses inutiles, de façon à faire croire et à se mentir à soi-même et à se tromper sur soi. L’amour de soi consiste à s’aimer tel que l’on est, comme le dit ce cantique, « tel que je suis Seigneur, je viens à toi et ainsi tu m’aimes ».

Louis Pernot

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Matthieu 5:5

Heureux les humbles, ils hériteront la terre

Philippien 2:1-4

1S’il y a donc quelque consolation en Christ, s’il y a quelque encouragement dans l’amour, s’il y a quelque communion de l’Esprit, s’il y a quelque compassion et quelque miséricorde, 2mettez le comble à ma joie afin d’avoir une même pensée ; ayez un même amour, une même âme, une seule pensée ; 3ne faites rien par rivalité ou par vaine gloire, mais dans l’humilité, estimez les autres supérieurs à vous-mêmes. 4Que chacun de vous, au lieu de considérer ses propres intérêts, considère aussi ceux des autres.

Phil. 2:1-4, Matt. 5:5