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56, avenue de la Grande-Armée, 75017 Paris

Dieu est-il père ou mère ?

Prédication prononcée le 9 février 2014, au temple de l'Étoile à Paris,

par le pasteur Louis Pernot

Il y a quelque chose de dérangeant dans l’enseignement chrétien, c’est que Dieu est montré toujours comme très masculin. Aux tout petits, on dit qu’il est comme un vieillard avec une grande barbe, ensuite qu’il est comme un roi, un père... bref, tout cela manque singulièrement de féminité.

De même on lui attribue la force, le jugement, la loi, autant de caractères virils, et s’il est dit être bon, c’est pour pardonner, « faire grâce », de haut, de très haut. Et la religion chrétienne elle-même est très masculine : Dieu est masculin, Jésus est un homme, les apôtres aussi, les pasteurs jusque récemment n’étaient pensables que comme des hommes.

Et où est le féminin ? La douceur, l’intuition, la tendresse, l’amour ? Car nous en avons besoin. Certes, on attribue un peu tout ça à Dieu, et surtout dans le Nouveau Testament mais, même là, Dieu reste un homme.

Jésus, quand il apprend à ses disciples à prier leur apprend à s’adresse à Dieu en disant : «Notre Père ». et la conclusion de la prière reste dans les stéréotypes virils : « Car c’est à toi qu’appartiennent le règne, la puissance et la gloire ». C’est beau, mais on aimerait pouvoir dire parfois : « Notre mère, notre douce et bonne maman, toi qui es aux Cieux ! », et conclure par : « c’est à toi qu’appartiennent la tendresse, la bonté, la douceur et l’amour. »

Mais voilà, ce n’est pas prévu, et Dieu, il reste père avant tout. Et moi, sur terre, j’ai eu un père, et je l’ai aimé, et tant mieux, mais j’ai eu aussi une mère, et elle aussi a été importante. Une mère, ce n’est pas moins important qu’un père. Et là, dans les cieux, où est la mère ? Si l’on a qu’un père dans les Cieux, alors nous sommes un peu orphelins de quelque chose qui nous manque, ce n’est pas normal.

Et puis cette tradition chrétienne virile a créé une religion quelque peu dissymétrique. Les hommes ils ont un Dieu qui est comme eux, mais les femmes, comment pourraient-elles croire en Dieu de la même manière dans une image qui n’est pas de leur nature ? Dieu leur est étranger, et le Christ aussi d’une certaine manière. Or Paul nous dit bien qu’en Dieu, « il n’y a ni homme ni femme », donc dans la foi, notre sexe ne devrait pas introduire de dissymétrie.Ce problème n’est pas neuf. Et dès l’antiquité des solutions ont été trouvées. La plus ancienne et la plus simple, c’est d’ajouter à ce Dieu-Père, une autre divinité qui serait une divinité Mère. On a ainsi une divinité double qui représente l’ensemble de l’humanité ce qui est la moindre des choses. C’est ainsi que les historiens ont découvert qu’en Israël on l’on vénérait le Dieu-YHWH, on lui a attribué pendant des siècles une épouse, déesse mère vénérée elle aussi comme la « Reine du Ciel ». Israël n’a en effet pas toujours été monothéiste, il l’est même devenu assez tard, et une telle croyance a demeuré longtemps. La femme de Dieu ne s’appelait pas « Clémence » n’en déplaise aux enfants qui croient que c’est son nom parce qu’on dit « Dieu vient avec sa grande Clémence » ! Mais Ashéra. Joli nom qui veut dire le bonheur au féminin en hébreu.

Les spécialistes nous apprennent donc que le culte d’Ashéra est resté très longtemps en Israël. Au départ c’était une divinité principale des Cananéens, épouse d’un Dieu « El » (qu’on retrouve dans la Bible), puis elle a été adorée à l’époque des Juges, Salomon nous dit-on l’aurait même introduite dans le Temple de Jérusalem. Puis après la séparation des deux royaumes, elle a continué d’être adorée en Samarie, et ce jusqu’à l’Exil. On a retrouvé plusieurs inscriptions avec des représentations de cette époque avec écrit : « Yaweh et son Ashéra ».

Evidemment, la chose n’allait pas dans le sens de ce que l’on a voulu faire croire au monde d’un peuple d’Israël recevant de toute éternité une « révélation » lui permettant d’avoir été toujours strictement monothéiste et d’avoir échappé aux tâtonnements idolâtres. Et on peut comprendre pourquoi on a toujours tout fait pour masquer cela dans la Bible. Pourtant « Ashera » est bien présente : en fait 40 fois dans l’Ancien Testament, et curieusement, jamais notre vieille traduction de Segond ne met le mot, il l’escamote toujours en mettant : « idole », «pieu sacré». Parfois même la mention a été totalement supprimée comme en Deutéronome 33:2-3 où la chose était trop claire, la moitié du verset a simplement été retirée de nos versions : « YHWH est venu du Sinaï, il a resplendi depuis Sé'ir, il est apparu du mont Paran. Il est arrivé parmi les myriades de Qoudsou, à sa droite : son Achéra. »

Et les prophètes les plus tardifs ont lutté contre le culte de cette Divinité maternelle qui restait, ce qui est la preuve qu’il a existé, comme en Jérémie 44 : 15-19 où il reproche aux Israélites de faire un culte à la « Reine du Ciel ». Eux se défendent en disant qu’ils ont toujours fait ainsi, leurs pères, et même leurs rois et leurs ministres ! On peut se moquer de ces croyances, mais en fait ils avaient quand même raison d’incorporer dans la divinité du féminin, alors que les chrétiens parfois sont restés dans une religion encore plus archaïque avec un Dieu exclusivement masculin, comme une sorte de vieux garçon, ou de veuf inconsolable et bougon incapable d’apporter à ses enfants tout ce dont ils ont vraiment besoin.

On peut néanmoins vouloir ne pas être polythéiste, mais il ne suffit pas de lutter contre le symptôme, il traiter la cause. Si l’on veut un Dieu unique, alors il faut mettre dans ce Dieu autant de masculin que de féminin, qu’il soit à la fois père et mère, sinon il manquera et les gens le chercheront automatiquement ailleurs.

C’est précisément ce qu’on fait les théologiens de l’Ancien Testament, et si l’on regarde bien, on voit que le Dieu de l’Ancien Testament est très féminin. C’est facile à montrer.

D’abord, en ce que son principal attribut est la « miséricorde », c’est à dire la « compassion », ou l’« amour ». Or ce sentiment en hébreu se dit « RaHaM » mot qui désigne normalement le ventre maternel, la matrice, techniquement : l’utérus. La miséricorde, c’est donc le sentiment que la mère a pour l’enfant qu’elle porte dans son ventre. C’est le sentiment maternel par excellence.

Et Dieu n’a pas qu’un ventre maternel, il a même deux mamelles : un de ses noms est « El Shaddaï ». L’étymologie de ce titre est controversée, certains veulent dire que cela viendrait du verbe « ShaDaD » qui signifie « détruire », « dévaster », et traduisent « El Shadaï » par «le tout puissant ». Mais c’est absurde, ShaDaD est un verbe extrêmement négatif il signifie non pas tant la puissance que la destruction, et jamais dans toute la Bible ce verbe n’a Dieu pour sujet. La tradition juive, elle dit depuis plus de deux mille ans que « Shaddaï » est la forme duelle du mot « Shed » q qui désigne la « mamelle ». Le Dieu « Shaddaï » est donc le Dieu « aux deux mamelles ». Mais sans doute que cette idée était trop audacieuse pour que certains vieux théologiens misogynes ne l’acceptent. Il y a pourtant une preuve explicite de cela dans un texte qui est celui de la bénédiction que Jacob donne à ses fils. Là en effet, le Dieu Shaddaï est mentionné et il est écrit (Genèse 49 :25) : « C’est l’œuvre du Dieu de ton père, qui t’aidera; c’est l’œuvre d’El Shaddaï, qui te bénira des bénédictions des cieux d’en haut, des bénédictions des eaux en bas, des bénédictions des mamelles (Shaddaï) et du ventre-maternel (Raham). ». On a bien explicitement là le ventre maternel (« RaHam ») et les mamelles (« ShaDDaï »). Et d’ailleurs, chaque fois que Dieu est appelé « Shaddaï » dans la Bible, il est question, non pas de dévastation, mais au contraire de fécondité et d’enfantement et de descendance (comme là pour Jacob). Cela reste encore vrai dans le « Magnificat » où Marie dit : «  le puissant a fait pour moi des merveilles » certainement que sous cette traduction de « puissant » il y avait comme d’habitude le mot « Shaddaï », et la merveille, c’est bien qu’elle même deviendra mère, enfantera et nourrira un enfant qui sera le Christ qui lui donnera une grande descendance spirituelle.

Et ce n’est pas tout : quel est le principal attribut de Dieu encore ? Son Esprit. Et l’esprit, c’est le souffle qui donne la vie, or si « Esprit » en français est masculin, en hébreu le mot « RouaH » est féminin. Or le Saint Esprit, c’est Dieu lui-même, « Dieu est Esprit » (Jean 4 :24) nous dit l’Evangile de Jean, il est cette entité féminine qui donne la vie. Et encore : « Dieu est amour » (1 Jean 4 :8), or l’amour, en hébreu (AHaVaH) aussi est féminin.

Et encore plus explicitement, dans Esaïe le prophète dit : « comme une mère console son enfant, ainsi je te consolerai... » (Esa. 66:13).

Finalement, il faut bien le dire, le Dieu de la Bible est bien plus féminin que masculin. Et il est essentiel, dans notre foi de conserver toute cette dimension féminine qui est en Dieu.

C’est même un héritage de la Réforme : Dieu a cessé d’être un Dieu redoutable et terrible, puissant et lointain pour être enseigné comme un Dieu proche à qui l’on peut dire « tu », un Dieu d’amour, de miséricorde et de tendresse. C’est pour ça sans doute que la Réforme s’est si bien passée de la Vierge Marie, pas besoin de déesse mère, pas besoin de quelqu’un qui nous comprend pour « intercéder » auprès d’un Dieu impitoyable, puisque la maternité, la féminité, la douceur sont comprises en Dieu lui-même. Mais l’on ne peut prétendre se passer de la vierge Marie que si l’on incorpore en Dieu toutes les qualités que la piété populaire lui attribuait.

En tout cas, garder les deux dimensions féminine et masculine dans le divin est essentiel, sinon on arrive à un déséquilibre. On a besoin d’un père, mais aussi d’une mère de tendresse, et sans doute que la piété mariale permettait d’apporter cette féminité qui manquait à la théologie chrétienne à un certain moment.

Mais on peut vouloir tout réunir en Dieu, et ne pas séparer les rôles dans deux personnes, parce qu’il n’y a pas un rôle qui serait plus important que l’autre, et justement les deux existent, et Dieu est celui qui réconcilie les rôles en les unissant. En lui, ils ne s’opposent pas, ils se complètent, il n’y a plus d’opposition entre l’homme et la femme en Dieu, il fait la synthèse.

Ainsi, dans le récit de la création de l’homme (Gen. 1:27) : il est écrit : « Dieu créa l’humain à son image, il le créa à l’image de Dieu, homme et femme il le créa » et la tradition juive a vu à juste titre qu’on ne pouvait qu’en conclure que ce qui est à l’image de Dieu, c’est « homme et femme », et que donc les deux sont en lui, Dieu est à la fois homme et femme, père et mère depuis toujours. C’est ce qu’a représenté Rembrandt dans son tableau représentant le père accueillant le fils prodigue. Ce père représente Dieu, et en bon protestant, Rembrandt n’a pas craint de lui attribuer une main féminine. Ainsi des deux mains du Père, l’une est une main d’homme et l’autre une main de femme. Il avait raison, Dieu n’est vraiment compréhensible que si on lui incorpore cette féminité essentielle.Maintenant, ces questions deviennent compliquées dans le contexte actuel des réflexions sur la parentalité, le genre etc.. Cela demande donc des précautions supplémentaires. Ce que j’ai dit des rôles masculins ou féminins, ce sont les rôles traditionnels de notre culture occidentale, et plus anciennement de nos racines dans une société patriarcale moyen-orientale. Ces qualités que l’on attribuait au sexe n’est pas forcément inhérent, et il est difficile de savoir dans ces rôles, ces attributs, ce qui vient de la culture ou de la nature. Sans doute un peu des deux, il est un fait que la femme naturellement enfante, allaite, et que jadis l’homme allait travailler dehors, allait chasser, et faisait la guerre en tuant.

Mais nous ne sommes plus à l’âge préhistorique, il y a des femmes général, des pères qui donnent le biberon, des femmes redoutables chasseresses, et des hommes infiniment tendres. Et si il y a une nature, l’homme est appelé à être un être de culture, il peut sortir des stéréotypes des hommes préhistoriques ou des animaux.

Donc les qualités qu’on attribue symboliquement au père peuvent être représentées par une femme et inversement. Mais ce qui est vrai, c’est que pour grandir, un enfant a besoin de la complémentarité des deux : il lui faut de la rigueur et de la tendresse. Mais les rôles peuvent être plus symboliques que sexuels.

Mais quel que soit le contexte, aucun humain ne peut prétendre réunir toutes ces qualités, à moins de se prendre pour Dieu. Il faut être deux, idéalement, pour pouvoir se compléter, c’est ça le couple.

Mais en Dieu, nous avons tout ce dont nous avons besoin, le père et la mère, la rigueur et la tendresse, le justice et le pardon, la vérité et l’amour. Et c’est dans cette ambiguïté et cette dialectique permanente qui est en Dieu que nous pouvons grandir et vivre

La pertinence d’une théologie se mesure à sa capacité d’avoir une conception complexe de Dieu qui sort des images trop simples, monolithiques ou mono-sexuées.

Par conséquent, même si on dit « notre père qui est au cieux », dans son esprit, il faut penser : « notre père et mère », ou « notre parent », pourquoi pas, parce que Dieu n’est pas plus père que mère, il est les deux à la fois. On peut dire « père », mais alors comme un père moderne, ce n’est pas le père qui ne donne que la loi, qui sort pour se battre, travailler ou tromper sa femme, c’est un père capable de force, mais aussi de tendresse, d’amour et de fidélité. Ce père du Notre Père doit être sans arrêt reconstruit intellectuellement pour être un père idéal, au delà de nos images personnelles ou culturelles, comme un père qui est sans doute viril, mais encore comme le Dieu de l’Ancien Testament, un père qui porte aussi un ventre pour nous porter et nous enfanter, et des mamelles pour nous nourrir. Nous avons en effet besoin de ces deux dimensions. Et c’est une loi universelle de la nature, comme une plante ne peut pousser que si elle a à la fois du soleil et de la pluie.

Parce que c’est dans la complémentarité que la vie peut apparaitre, et Dieu lui -même ne peut être pour nous source de vie que s’il est en lui-même cette dialectique et cette complémentarité, et s’il est cet individu unique qui nous montre que cette dialectique n’est pas une explosion de contraires, mais une synthèse, une harmonie, et que c’est lorsque l’amour et la vérité se réunissent, le pardon et la justice, la tendresse et la force, qu’on a la vie. C’est ce Dieu là en lequel nous croyons, et c’est ce Dieu là qui peut nous donner la vie et tout ce dont nous avons besoin pour l’éternité.

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Jérémie 44:15-19

Tous les hommes qui savaient que leurs femmes offraient de l'encens à d'autres dieux, toutes les femmes qui se tenaient (là en) une grande assemblée, et tout le peuple qui habitait au pays d'Égypte, à Patros, répondirent ainsi à Jérémie : Nous ne voulons point écouter la parole que tu nous as dite au nom de l'Éternel. Mais nous voulons agir selon toute parole qui est sortie de notre bouche, offrir de l'encens à la reine du ciel et lui faire des libations, comme nous l'avons fait, nous et nos pères, nos rois et nos ministres, dans les villes de Juda et dans les rues de Jérusalem. Alors nous avions du pain à satiété, nous étions heureux et nous n'éprouvions pas de malheur. Mais depuis que nous avons cessé d'offrir de l'encens à la reine du ciel et de lui faire des libations, nous avons manqué de tout et nous avons été éliminés par l'épée et par la famine... D'ailleurs, lorsque nous offrons de l'encens à la reine du ciel et que nous lui faisons des libations, est-ce sans l'accord de nos maris que nous faisons des gâteaux en forme de simulacres, et que nous lui faisons des libations ?

Genèse 49

22Joseph est le rejeton d'un arbre fertile,Le rejeton d'un arbre fertile près d'une source ;Les branches s'élèvent au-dessus de la muraille.

25Par le Dieu de ton père, qui sera ton secours ;Avec le Tout-Puissant, qui te bénira,Des bénédictions du haut des cieux,Des bénédictions du fond de l'abîme,Des bénédictions des mamelles et du sein maternel.

Luc 15:8-10

Quelle femme, si elle a dix drachmes et qu'elle perde une drachme, n'allume une lampe, ne balaie la maison et ne cherche avec soin, jusqu'à ce qu'elle la trouve ? Lorsqu'elle l'a trouvée, elle appelle chez elle ses amies et ses voisines et dit : réjouissez-vous avec moi, car j'ai trouvé la drachme que j'avais perdue.

De même, je vous le dis, il y a de la joie devant les anges de Dieu pour un seul pécheur qui se repent.

Jér. 44:15-19, Gen. 49:22-25, Luc 15:8-10