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56, avenue de la Grande-Armée, 75017 Paris

Comment Jésus est-il le fils de Dieu?

Prédication du pasteur Alain Houziaux au temple de l'Etoile à Paris le 16 décembre 2001

"Je crois en Jésus-Christ, son Fils unique". Il est possible que cet article soit le plus fondamental de la foi chrétienne, mais il est aussi profondément déroutant. En fait, ce qui nous déroute, c'est l'idée que Dieu puisse avoir un "fils" et ce même même si on accepte volontiers que Dieu puisse être comparé à un "père". On comprend bien que Dieu soit Père Père parce qu'Il est la Source de la vie et parce qu'il est une bénédiction, un pardon et une protection pour nous qui sommes comme ses "enfants". Mais que Dieu ait un "fils", et de plus un "fils unique", cela surprend. L'image est trop génétique. Elle est même un peu sexuelle. Cela rappelle les mythologies païennes où les dieux s'accouplent entres eux ou avec des femmes de notre monde. Et, en plus de cela, le Symbole des Apôtres, en précisant que Jésus-Christ a été "conçu du Saint Esprit" et qu'il est "né de la Vierge Marie" accentue cette image d'une filialité quasi génétique. Mais cet article est également déroutant par rapport à Jésus-Christ lui-même. Ce qui nous déconcerte aussi c'est que Jésus-Christ, puisqu'il est "Fils de Dieu", soit à la fois Dieu et homme. Nous n'arrivons pas à concilier l'idée d'un Dieu transcendant, absolu, parfait, éternel et de plus créateur du monde avec l'image de l'homme Jésus de Nazareth marchant et souffrant sur les chemins de Palestine en l'an 33 de notre ère. Et ce qui nous déroute encore plus, c'est que l'on puisse dire que c'est "Dieu" lui-même qui meurt sur la croix et que Marie est la mère de "Dieu".

1- Quelques mises au point.Il importe donc de préciser quelques points : - Quand on dit que Jésus est fils de Dieu, cela ne veut absolument pas dire que Jésus soit de nature divine et encore moins Dieu lui-même. Pour le Symbole des Apôtres, dire que Jésus est le Fils de Dieu ne caractérise pas Jésus comme un être divin et surnaturel. Ainsi Jésus peut très bien être à la fois d'une part le Fils de Dieu et d'autre part le fils de Marie et même aussi de Joseph. Dire que Jésus est le Fils de Dieu et qu'il a été conçu du Saint-Esprit, c'est dire deux choses tout à fait différentes. - Quand on dit que Jésus est "Fils de Dieu", cela n'a rien à voir avec les modalités de sa naissance. L'article du Symbole des Apôtres qui concerne les modalités de la naissance de Jésus, c'est celui qui énonce qu'il a été conçu du Saint Esprit et qu'il est né de la vierge Marie. Ce n'est pas celui qui dit qu'il est Fils de Dieu. - Dire que Jésus est "fils de Dieu", cela signifie qu'il a été choisi, on pourrait dire adopté, par Dieu comme étant son fils, c'est-à-dire son porte-parole, son ambassadeur et son serviteur. C'est aussi dire que, après sa mort sur la croix il a été reconnu par Dieu comme son fils. Jésus est le "fils de Dieu", un peu de la même manière que les soldats de la grande guerre, morts au combat, ont été considérés comme les "fils de la Patrie". Cela veut dire que Jésus-Christ a vécu et qu'il est mort au service de Dieu et que de ce fait Dieu le reconna"t comme son "fils". On peut dire également que Jésus est "Fils de Dieu" un peu de la même manière qu'il est la "Parole de Dieu". Le fait qu'il soit la Parole de Dieu, n'a jamais voulu dire qu'il entendait des voix et qu'il les restituait tel un poste de radio. Et de même, le fait qu'il soit le Fils de Dieu n'implique pas qu'il soit de nature ou de semence divine, ni même de naissance divine. - Dire que Jésus a été "engendré" par Dieu ne doit pas être entendu dans un sens génétique et naturel. Lorsque Actes 13,33 dit en citant le Psaume 2, que Jésus a été "engendré" par Dieu, cet engendrement n'est pas mis en relation avec sa naissance.

2- Jésus, le fils de Dieu dans les Evangiles synoptiques.Pour mieux saisir le sens de l'expression "Jésus est le Fils de Dieu", il faut partir de la Bible et voir les différents sens qu'elle donne à cette expression. A l'époque de la rédaction du Nouveau Testament, l'expression "fils de Dieu" était usuelle pour désigner les monarqueset à ceux auxquels on attribuait des pouvoirs de thaumaturges. Mais cela n'a jamais voulu dire, bien évidemment, qu'ils étaient engendrés par Dieu au sens "génétique". Mais le sens qu'il faut donner à "fils" dans les Evangiles synoptiques, c'est d'abord celui de "serviteur". Lorsque, dans les Synoptiques, Jésus est désigné comme "fils de Dieu", par exemple par Pierre (Mat 16,16), c'est pour caractériser son obéissance qui doit le conduire à la mort sur la croix. En effet, en hébreu et en grec, "fils" et "serviteur" sont très proches. Ainsi lorsque Jésus, lors de son baptême est investi de la mission de Serviteur souffrant, il est appelé par Dieu "mon fils bien-aimé" (Marc 1,11) en signe d'affection, de confiance et d'intimité sur le chemin de l'obéissance qui doit le conduire au calvaire. Cette appellation de "fils bien-aimé" lui sera redite sur la montagne de la Transfiguration, au moment où sa vocation de martyr lui sera réitérée. De même, dans la parabole des vignerons révoltés (Marc 12,7), Jésus est considéré comme "fils de Dieu" pour caractériser sa vocation au martyre. Ainsi, dans les Evangiles Synoptiques (Matthieu, Marc et Luc), le titre de fils de Dieu n'exprime en rien la divinité de Jésus. Bien au contraire, ce titre désigne d'abord l'humanité de Jésus et son obéissance en particulier lors de sa mort sur la croix.

3- Le Logos dans l'Evangile de Jean.Quelques siècles plus tard, Jésus a été appelé Fils de Dieu (avec, ici, une majuscule) dans un tout autre sens, parce qu'on a considéré qu'il était l'incarnation de la deuxième Personne de la Trinité (Dieu le Fils). Mais remarquons que cet énoncé est plus explicite dans le Symbole de Nicée que dans le Symbole des Apôtres. Ceci pose deux questions : qu'est-ce que la deuxième Personne de la Trinité ? Que veut dire : Jésus est l'incarnation de la deuxième Personne de la Trinité ? Pour comprendre ce qu'est cette deuxième Personne de la Trinité, il faut remonter au Judaïsme d'avant Jésus. Dans le judaïsme tardif, à partir du troisième siècle avant J.C, on a voulu faire la différence entre Dieu en tant que transcendance absolue au-delà du monde (on pourrait dire Dieu dans son mystère absolu) et Dieu en tant qu'il intervient dans notre monde pour le créer et le gouverner et aussi pour faire conna"tre sa loi aux hommes. Et cette deuxième "personnalité" de Dieu (on dira ensuite cette deuxième Personne du Dieu Trinitaire), on l'a appelée la Parole de Dieu ("Dabar" en hébreu signifie à la fois Parole et Acte), puis la Sagesse, puis la Thora (la Loi). Ainsi, dans le premier chapitre du livre de la Genèse, on ne dit pas que c'est Dieu lui-même qui a crée le monde mais que c'est la "Parole de Dieu" Et ce point est repris dans le livre des Proverbes (Prov 8,30) puis dans les livres du judaïsme tardif. Ainsi, le "Dabar", la "Sagesse" ou la "Thora", c'est Dieu, non pas dans son mystère au-delà du monde, mais en tant qu'il est le Créateur du monde et aussi le capitaine, le moteur et le gouvernail de la progression de l'histoire du monde. C'est Dieu en tant que Projet pour le monde et Action dans le monde. C'est le principe directeur et organisateur du monde et du déroulement de son histoire. On peut dire que c'est Dieu en tant qu'il est Projet, Action et Parole. Puis, sous l'influence de la philosophie grecque, cette "Parole-Sagesse-Thora" a été appelée "Logos" (en grec). Et c'est pourquoi l'Evangile de Jean, tout pétri à la fois de la pensée grecque et de la pensée du judaïsme tardif, a écrit "le Logos était au commencement avec Dieu. Tout a été fait par Lui et rien de ce qui a été fait n'a été fait sans lui" (Jean1,2). Le Logos, c'est donc l'Action et la Parole de Dieu en tant qu'il agit dans ce monde, c'est la "Loi" et la logique selon lesquelles le monde a été projeté et crée, et selon lesquelles il est gouverné et conduit. Mais, tout ceci n'explique pas pour autant que ce Logos puisse être fait "chair" en Jésus-Christ. Comment peut-on identifier ce Principe métaphysique et l'homme Jésus ? Pour comprendre qu'on ait pu faire cette curieuse identification, il faut savoir que, dans le judaïsme tardif, on avait considéré que la Thora (c'est-à-dire ce que Jean appelle le Logos) était "incarnée" dans un livre, à savoir le Pentateuque (c'est-à-dire les cinq premiers livres de la Bible juive). Et cette identification de la Thora avec un livre est tout à fait aussi surprenante. On peut cependant l'expliquer par le fait que, dans le Pentateuque, on peut lire quelles sont les caractéristiques de la Thora en tant qu'elle désigne le Principe créateur et gouverneur du monde. En paraphrasant Jean1,14 on pourrait dire "la Thora a été faite texte". Et l'évangéliste Jean va effectuer une superposition comparable entre le Logos et l'homme Jésus-Christ. Jésus-Christ sera le lieu de la manifestation du Logos, tout comme le Pentateuque était le lieu de la manifestation de la Thora. De la même manière que, dans le judaïsme, la Thora était "incarnée", manifestée et révélée par le Pentateuque, de la même manière, dans le christianisme de Saint Jean, le Logos, en tant que transposition de la Thora, sera incarné, manifesté et révélé en Jésus-Christ. Jésus, sa parole et son histoire, sont considérés comme "l'épiphanie", c'est-à-dire la manifestation visible et audible de ce qu'est le Logos en tant que Principe métaphysique. En effet, de la même manière que le Pentateuque rendait compte de la Thora, de la même manière, le message et la vie de Jésus rendent compte du Projet, de l'Action de Dieu et de la "Loi" (c'est-à-dire de la logique, du fil conducteur) qu'il met en Ïuvre en créant le monde et en dirigeant l'histoire.

4- Le Fils de Dieu, c'est Jésus-Christ. Il nous reste enfin à dire pourquoi l'homme Jésus-Christ a été appelé non seulement "le Logos fait chair" mais aussi "le Fils unique de Dieu", spécialement dans l'Evangile selon Jean. Dans la philosophie juive du premier siècle de notre ère, ce que l'on appelait la Thora ou le Logos, on l'appelait aussi le Fils. En effet, pour insister sur la différence entre d'une part Dieu lui-même dans son mystère et son au-delà, et d'autre part l'Action de Dieu intervenant dans le monde, on disait que Dieu avait créé le monde et qu'il le gouvernait par son Fils. Et c'est pourquoi, Jésus-Christ, en tant qu'expression, épiphanie et incarnation de ce Fils, a été appelé par St-Jean, et aussi par St-Paul, le Fils de Dieu . Ainsi Jésus-Christ est le Fils de Dieu parce que son être, sa vie et sa prédication sont pleinement habités et soumis à l'action du Fils en lui, c'est-à-dire à Dieu en tant que Parole, Action et Logos. L'homme Jésus-Christ, dans sa chair et dans son histoire humaine, peut être considéré comme la manifestation et l'incarnation de ce Fils. Mais, bien s?r, ce Fils préexiste à Jésus-Christ puisque ce Fils était "auprès de Dieu" dès la création du monde . Par ailleurs, l'évangéliste Jean a étendu et modifié le sens du concept de Logos et de Fils. Chez Jean, le Fils de Dieu, c'est non seulement Celui qui crée et gouverne le monde mais c'est aussi Celui qui donne la vie et ressuscite les morts (Jean 5,17 sq) et aussi Celui qui juge et pardonne, et aussi Celui qui met tout dans la lumière, un peu comme dans Genèse I la Parole de Dieu crée la lumière. On peut d'ailleurs noter que Saint Paul, bien qu'il soit antérieur à Saint-Jean, n'a pas été en reste par rapport à la pensée de l'évangéliste Jean puisqu'il écrit, ce qui peut bien s?r surprendre, que "Jésus-Christ, celui qui est mort sur la croix", c'est celui "en qui tout a été créé dans les cieux et sur la terre". Et il ajoute "tout a été créé par lui et pour lui, et tout subsiste en lui" (Col 1,15-20). Paul opère donc une superposition et même une forme d'identification entre le Logos ou le Fils (par lequel le monde a été créé et par lequel il est gouverné depuis le commencement jusqu'à la fin de son histoire) et l'homme Jésus crucifié en l'an 33 de notre ère.

5- Donc, que veut dire que Jésus est le Fils de Dieu ? Dire que Jésus est le Fils de Dieu, c'est dire que, dans la vie, dans l'histoire et dans la prédication de Jésus de Nazareth, on peut lire ce qu'est le projet et l'action de Dieu pour notre monde et pour l'humanité. Et Jésus est le révélateur de ce projet et de cette action parce qu'il est lui-même entièrement obéissant à ce projet et pénétré de cette action. Il en est l'incarnation. Il est "habité" par ce projet et cette action. Ainsi Jésus est bien le "fils de Dieu", au sens des Evangiles Synoptiques (Jésus est pleinement obéissant à Dieu et à son Action dans le monde, il est le serviteur de Dieu). Et il est bien aussi le "Fils de Dieu" au sens de l'Evangile de Jean. On peut dire que toute l'existence de Jésus est "engendrée" par son obéissance au projet et à l'action de Dieu. Ainsi Jésus-Christ est le Fils de Dieu non pas par sa naissance et non pas non plus par sa résurrection. Il l'est par son obéissance. Il l'est parce que son être, sa prédication, son action, sa vie sont moulés dans la "logique" du projet et de l'action de Dieu. L'histoire de Jésus-Christ, c'est-à-dire sa naissance, sa prédication, sa mort et sa résurrection nous révèlent ce qu'est la logique du projet et de l'action de Dieu pour le monde et pour l'humanité. La naissance de Jésus nous révèle que la "logique" de Dieu c'est celle de l'incarnation. La "logique" de Dieu, ce n'est pas de rester dans le ciel de l'éternité et de la perfection, c'est de s'incarner dans le monde sensible de la chair et du sang, de l'imperfection, des échecs, de la relativité et de l'humain. La prédication de Jésus nous révèle que la "logique" de Dieu, c'est celle de la rémission des péchés. C'est celle d'une Bonne Nouvelle annoncée non seulement aux Juifs mais aussi aux païens. Et c'est celle d'un salut, d'une libération et d'une liberté offertes à tous. La mort de Jésus nous révèle que la "logique" de Dieu, c'est celle du sacrifice. Le fait que Jésus-Christ se soit offert par amour en sacrifice nous fait conna"tre que la logique de Dieu, c'est de se sacrifier dans ce monde, tout comme la logique du grain est de s'anéantir et de mourir pour porter du fruit, tout comme la logique de l'amour d'un vrai "papa", c'est de s'effacer pour que ses enfants deviennent pleinement adultes, autonomes et libres par rapport à lui. La logique de Dieu, c'est d'abdiquer sa toute puissance, son jugement et sa condamnation. Et sa résurrection nous révèle que la "logique" de Dieu, c'est celle de la libération. Le fait que Jésus-Christ ait été ressuscité d'entre les morts, nous fait comprendre que la logique de Dieu est une logique de résurrection. Le projet et l'action de Dieu, c'est de ressusciter l'homme et même le monde hors du mal, hors des esclavages, hors du lit des souffrances, hors de la tombe des échecs, hors de tout ce qui le crucifie jour après jour, siècle après siècle. La logique de Dieu, c'est d'arracher la vie à la tombe, la liberté à l'esclavage, l'amour au péché, la joie à l'ennui, la gloire du Royaume au souffrance du temps présent.

Alain Houziaux .

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