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Laissez venir à moi les petits enfants, le Royaume de Dieu est pour ceux qui leur ressemblent.

Prédication prononcée le 15 septembre 2019, au temple de l'Étoile à Paris,
par le pasteur Louis Pernot 

Qu’il faille accueillir le Royaume de Dieu comme un enfant est une idée bien attestée dans l’Evangile.

A priori, cela semble bien sympathique : les disciples veulent préserver leur maître en disant aux parents que celui-ci n’a pas de temps à perdre avec des petits enfants, mais Jésus va dire qu’au contraire, les enfants sont tout-à-fait bienvenus, il n’est pas là seulement pour les théologiens, les sages et les intelligents, il est là pour tous, même les plus petits. De même Dieu accueille chacun, grand ou petit, et c’est ce que nous signifions par le baptême des petits enfants, qui que nous soyons, Dieu nous reçoit, nous accueille dans sa grâce, et nous sommes aussi bienvenus dans l’Eglise sans condition de degré de foi, et sans préjuger de la réponse que l’on peut faire de cet accueil.

Cependant, tout cela va plus loin que la simple idée d’un accueil généreux, et Jésus ne dira pas seulement « laissez venir à moi les petits enfants », mais aussi qu’il faut « accueillir le Royaume de Dieu comme un enfant ». Il y a donc quelque chose à trouver chez l’enfant qui est la clé d’entrée pour le Royaume.

La première idée qui vient en général aujourd’hui pour savoir quelle serait cette qualité essentiellement précieuse chez l’enfant, c’est celle de l’innocence, de la pureté. Sans doute, un petit enfant n’a encore fait aucun mal, il ne pense pas à mal c’est vrai, mais c’est certainement une fausse piste théologique. Dire qu’il faille être innocent et pur pour pouvoir entrer dans le Royaume de Dieu serait en totale contradiction avec le reste du message de l’Evangile. Le Christ dit lui-même qu’il n’est pas venu pour les bien portants, mais pour les malades. Il ne dit jamais que le Royaume puisse être réservé aux purs, aux parfaits, aux innocents, mais qu’au contraire, par la grâce et le pardon de Dieu, il est ouvert même aux plus petits, aux pécheurs, aux coupables, aux estropiés et aux misérables.

Ou alors, si l’on veut conserver cette idée d’innocence, il faudrait garder l’état d’esprit plus que le jugement sur les œuvres. Un enfant petit, normalement, ne se sent pas coupable, une bêtise est vite oubliée et dépassée. Normalement, un enfant pardonne vite et se sent vite pardonné. Il y a peut être là une qualité essentielle. Pour entrer dans le Royaume de Dieu, il faut accepter de poser nos valises de culpabilité, accepter d’être pardonnés, de vivre de la grâce, et de croire qu’on peut, à tout instant, vivre une vie nouvelle tournée vers l’avenir.

Un autre contresens moderne vient de notre tendance à survaloriser l’enfant. Aujourd’hui, nous sommes dans le règne de l’enfant roi. Or du temps de la Bible c’était le contraire, l’enfant était tout en bas de l’échelle de la société. D’abord on en avait beaucoup, et beaucoup mouraient en route, ensuite les enfants étaient essentiellement, pour la famille, une main d’œuvre à bon marché. D’ailleurs la langue de la Bible le dit, en grec, comme en hébreu : c’est le mot pour dire « enfant » (« pais » et « eved ») signifie aussi « serviteur » ou « esclave ». Un peu comme en Français ou l’on trouve un vestige de cela dans le mot « garçon » qui peut être le fils ou celui qui sert le boissons dans un bar. Les enfants étaient donc même moins que des serviteurs, ils étaient une main d’œuvre à bon marché, ils n’avaient aucun droit, ils étaient dans un état de soumission totale, et le père avait droit de vie ou de mort sur ses enfants, ils devaient seulement obéir et servir.

C’est à partir de ce constat que tous les commentaires de l’Evangile disent que ce qu’il faut trouver comme qualité essentielle chez l’enfant, qualité permettant d’entrer dans le Royaume de Dieu, ce n’est pas la pureté, mais l’humilité. Pour entrer dans le Royaume, il faut être humble, être serviteur, ne pas aspirer à être grand dans la société, mais se savoir le plus petit. C’est dit de plusieurs manières et à bien des endroits dans l’Evangile, et c’est même l’une des Béatitudes : « heureux les humbles... ». Il y a évidemment dans l’Evangile un culte de l’humilité, voire de l’auto-abaissement.

Cette lecture va aussi dans le sens de l’affirmation qui précède juste l’épisode des enfants : « Qui s’abaisse sera élevé, et qui s’élève sera abaissé ». Cette maxime est belle et on voudrait qu’elle soit vraie, ne serait-ce que, pour ceux qui sont sensibles à la musique, grâce au si beau chœur d’entrée de la cantate BWV 47 de J.-S. Bach qui la met en musique : « wer sich selbst erhöhet der soll erneidriget werden ». Mais est-on sûr que cela soit vrai ? Dans notre monde, il faut s’élever, se battre, et celui qui s’abaisse, personne ne viendra le chercher. Comment comprendre cet enseignement de Jésus alors ? La solution peut venir de l’entendre à partir de l’intuition de Luther de ce que l’on appelle « la théologie des deux règnes » : il y a le règne du monde, celui de la réussite professionnelle où il faut être performant, se battre, être meilleur que les autres, et celui du domaine spirituel, ou personnel, celui de la relation à Dieu et avec ceux que nous rencontrons et qui sont nos frères humains. Et là il faut être très humble. Autrement dit, il faut être le plus fort dans son métier, mais le serviteur de tous dans ses rapports aux autres.

Cela est essentiel, se croire le meilleur, se croire plus important que tout le monde est le meilleur moyen de souffrir et d’avoir des relations compliquées avec les autres ! Parce que dans cette situation on risque de croire que tout nous est dû. Toute contrariété, tout manque de reconnaissance devient insupportable. Au contraire, quelle que soit sa position dans la société humaine, la sagesse est de tout prendre comme une grâce parce qu’on ne mérite en fait rien. Alors on peut se réjouir de chaque chose. Tout devient une chance, une grâce, un émerveillement, tout porte à la reconnaissance et à la joie. C’est ça le Royaume de Dieu.


Mais on peut encore trouver d’autres qualités essentielles chez l’enfant, qualités qu’il nous faut accueillir pour pouvoir nous rapprocher du Royaume.

L’une d’elle est qu’un enfant est en croissance, il grandit, il découvre, il apprend, il change. L’enfant est toujours dans la dynamique. La croissance est un thème fondamental de l’Evangile, souvent illustré par le Christ par des paraboles agricoles de graines qui poussent ou de plantes appelées à grandir. Or, si l’on est, à partir d’une vingtaine d’années, physiquement plutôt dans une phase de dégradation, on peut encore, intérieurement grandir et progresser. Paul l’exprime très bien : « ainsi, même si notre être extérieur se dégrade, notre être intérieur se renouvelle de jour en jour ». (II Cor. 4:16). Or, il y a toujours le risque pour un adulte de cesser de se poser des questions, de se contenter de là où il en est spirituellement, de ne plus chercher à progresser. L’Evangile, au contraire, nous dit que nous pouvons, quel que soit notre âge, toujours avancer, et il faut que nous sachions, comme des enfants ouvrir nos yeux, vouloir apprendre, observer, découvrir, et pour cela ne perdre ni l’humilité qui consiste à savoir qu’on ne sait pas tout, ni sa curiosité, ni sa capacité à s’émerveiller, et à se réjouir de toute découverte. De toute façon ce qui rend joyeux dans la vie, ce sont les progrès, pas les restrictions. Or c’est une chance pour nous, justement, intérieurement, spirituellement, nous pouvons toujours grandir, progresser, nous approfondir. Et peut-être même que plus on vieillit physiquement, plus cette capacité à progresser spirituellement augmente. Quand on a un peu vécu, on peut plus facilement apprendre la vraie valeur des choses, savoir relativiser, pouvoir se détacher, et comprendre que la vraie vie elle n’est pas dans sa propre personne, mais dans ce que l’on donne et dans la transmission.

Une autre idée que peut évoquer l’affirmation du Christ qu’il faille accueillir le Royaume de Dieu comme un enfant vient de leur simplicité et de leur sensibilité. Le Christ dira ailleurs : « je te loue père, ce que tu as caché cela aux sages et aux intelligents et que tu l’as révélé aux petits enfants… » (Matt. 11:25). Cela a une forme de mise en garde : nous essayons de réfléchir, de penser, nous faisons de la théologie, des grandes théories, des liturgie complexes et des dogmes élaborés, mais peut être que l’essentiel, c’est d’être dans une sorte de relation immédiate et naturelle avec Dieu. Bien sûr, il ne faut pas rejeter toute réflexion intelligente. Paul lui-même dira : « Frères, ne soyez pas des enfants sous le rapport du jugement; mais pour la méchanceté, soyez enfants, et, à l’égard du jugement, soyez des hommes faits. » (II Cor. 14:20) Il ne faut donc pas pousser l’image trop loin, mais néanmoins ne pas croire que notre intelligence pourrait nous permettre de tout comprendre de Dieu. Peut être qu’un enfant, dans sa simplicité, dans sa facilité de rentrer en relation, et même d’accueillir le surnaturel en sait plus que bien des professeurs de théologie sur Dieu. La théologie est essentielle et bonne, mais il faut ensuite savoir se laisser aller à la relation avec Dieu, juste l’aimer et se savoir aimé.

C’est d’ailleurs un autre aspect de la capacité relationnelle des enfants, c’est qu’ils savent la confiance. On retrouve là précisément un des sens du mot « foi » : la confiance. Pour entrer dans le Royaume, dans la proximité de Dieu sans doute faut-il faire confiance. Croire en Dieu, c’est mettre en lui sa confiance, comme un enfant met sa confiance dans son père et sa mère. « Le Seigneur est le berger, je ne manquerai de rien » (Ps. 23). Une jolie illustration de cette confiance enfantine peut être trouvée dans cette histoire d’un petit enfant qui voit dans une église un grand crucifix avec sa grand-mère. Elle lui explique ce que cela représente, et il lui dit : « ça ne me serait jamais arrivé à moi ! - Pourquoi ? Parce que si j’avais été dans cette situation, mon père serait venu tout de suite me chercher ! » Cette confiance est à la fois belle et déplacée. Belle parce que, de même nous pouvons dire : « je ne sais pas de quoi demain sera fait, mais je sais que quoi qu’il arrive, avec Dieu je ne serai jamais seul et qu’il y aura toujours de la vie possible », et problématique, parce qu’il ne faut tout de même pas attendre n’importe quoi de Dieu. C’est là le rôle de la théologie ne faire en sorte que nous ne nous trompions pas d’espérance et que cette confiance totale que nous donnons à Dieu, nous sachions le faire à bon escient.

Et nous voyons là que l’essentiel, il n’est pas dans le « faire », mais dans « l’être ». Pour entrer dans le Royaume de Dieu, il n’y a pas besoin d’accomplir des exploits, d’être le champion des bonnes œuvres ou de la pratique, mais de savoir recevoir, avec simplicité et confiance.

Savoir recevoir pourrait être aussi un point à développer : l’enfant reçoit facilement sans que ce soit compliqué. C’est là une grande qualité, parce qu’entrer dans le Royaume, c’est accepter la grâce. Or il est bien difficile pour nous d’accepter d’être pardonnés, d’accepter les dons de la vie, et toutes les grâces qui jalonnent notre vie. Or ces grâces nous devons les prendre, les accepter et les faire nôtres sans nous sentir ni coupables, ni plus redevable qu’un petit enfant qui vit du lait de sa mère.

Et puis, sans doute que l’un des enseignements les plus profonds et essentiels que nous donnent les enfants, c’est qu’ils nous permettent de prendre conscience de ce que sont les vraies valeurs dans la vie. Il est en effet remarquable qu’un enfant n’a, à peu près, rien de ce après quoi nous courrons : il n’a pas de diplôme, pas de réussite professionnelle, pas d’argent, de voiture de sport, il n’a même pas d’autonomie, et s’il est vraiment petit, il ne peut même pas se déplacer, parler, être propre, manger tout seul, il n’a pas d’autonomie… Et pourtant, nous disons que ce petit enfant, il est merveilleux et vaut plus que tout.

Cela doit nous rappeler que la valeur d’un être n’est pas dans ce qu’il accumule ni dans ce qu’il parvient à faire, mais qu’elle est intrinsèque, dans son être même. Et sans doute que la clé de tout cela, c’est qu’un enfant, il est aimé et qu’il aime, c’est l’amour attaché à sa personne qui donne tout sons sens à sa vie et toute sa valeur. Il est bon que nous nous le rappelions. Et que nous nous souvenions que ce qui fait la valeur d’une personne, ce n’est pas son autonomie, ni ce qu’il parvient à réaliser, mais qu’il soit aimé. Quand on sait cela ou quand on l’a expérimenté parce qu’on a aimé un enfant, on voit que tout le reste est finalement de peu d’importance. Les enfants sont les meilleurs maîtres, ils enseignent à relativiser beaucoup de choses et à aimer inconditionnellement.

Et puis, il y a enfin une dernière interprétation qui n’est sans doute pas ce que le Christ voulait dire, mais qui est bien belle quand même. Elle vient du fait que quand le Christ dit qu’il faut « accueillir le Royaume de Dieu comme un enfant », on peut entendre non pas comme habituellement qu’il faille être comme un enfant pour accueillir le Royaume, ni même qu’il faille accueillir le Royaume comme un enfant l’accueille, mais qu’il faille accueillir le Royaume de Dieu comme on accueillerait un enfant. C’est là quelque chose d’infiniment juste et vrai. Un enfant, c’est une réalité nouvelle, c’est une promesse de vie, c’est ce qui nous permet de nous projeter même au delà de notre propre mort. Et cette vie nouvelle, nous l’accueillons à la fois comme une chose merveilleuse et comme une réalité infiniment dérangeante. Avoir un enfant, c’est un vrai projet, il faut accepter de lui faire de la place, il faut lui consacrer du temps, de l’énergie, lui donner de soi-même. Accueillir Dieu ou le Christ dans sa vie de même, c’est accueillir un germe de vie, une réalité qui peut nous transcender au delà de nous-mêmes et de la mort, cela demande, certes, de se priver de certaines choses égoïstes ou matérielles... mais quelle merveille !
C’est d’ailleurs sans doute les enfants qui sauvent l’humanité. Beaucoup de nos semblables n’ont que peu de foi, beaucoup d’égoïsme et de violence. Mais, normalement, l’accueil d’un enfant apprend la douceur, le don, la générosité, la responsabilité, et mène à se poser la question de où savoir mène sa vie. Accueillir un enfant certainement change une vie dans le sens de la vie.

Le croyant peut aller plus loin, et qu’il ait ou non un petit enfant à s’occuper, il peut se poser les bonnes questions, et apprendre à accueillir une réalité qui est la réalité spirituelle du Royaume, celle d’une vie nouvelle qu’il doit accueillir en lui, qu’il doit permettre de pouvoir grandir, et il doit accepter de se laisser déranger par cette vie nouvelle, qui est peut être un peu perturbante… mais qui conduit vers la vie et la plus grande des joies.

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Luc 18:9-17

9Il dit encore cette parabole pour certaines personnes qui se persuadaient d’être justes et qui méprisaient les autres : 10Deux hommes montèrent au temple pour prier ; l’un était Pharisien, et l’autre péager. 11Le Pharisien, debout, priait ainsi en lui-même : O Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont accapareurs, injustes, adultères, ou même comme ce péager : 12je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tous mes revenus. 13Le péager se tenait à distance, n’osait même pas lever les yeux au ciel, mais se frappait la poitrine et disait : O Dieu, sois apaisé envers moi, pécheur. 14Je vous le dis, celui-ci descendit dans sa maison justifié, plutôt que l’autre. Car quiconque s’élève sera abaissé, et celui qui s’abaisse sera élevé.

15Des gens lui apportaient même les nouveau-nés pour qu’il les touche. Mais les disciples en voyant cela leur faisaient des reproches. 16Et Jésus les fit appeler et dit : Laissez venir à moi les petits enfants et ne les en empêchez pas ; car le royaume de Dieu est pour leurs pareils. 17En vérité je vous le dis, quiconque ne recevra pas le royaume de Dieu comme un petit enfant n’y entrera point.

Matthieu 18:1-6

1A ce moment, les disciples s’approchèrent de Jésus et dirent : Qui donc est le plus grand dans le royaume des cieux ? 2Alors Jésus appela un petit enfant, le plaça au milieu d’eux et dit : 3En vérité je vous le dis, si vous ne vous convertissez et si vous ne devenez comme les petits enfants, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux. 4C’est pourquoi, quiconque se rendra humble comme ce petit enfant sera le plus grand dans le royaume des cieux. 5Et quiconque reçoit en mon nom un petit enfant comme celui-ci, me reçoit moi-même. 6Mais si quelqu’un était une occasion de chute pour un de ces petits qui croient en moi, il serait avantageux pour lui qu’on suspende à son cou une meule de moulin, et qu’on le noie au fond de la mer.

Psaume 131

1Cantique pour s'élever. De David.
Éternel ! je n’ai ni un cœur arrogant, ni des regards hautains ;
Je ne m’engage pas dans des questions
Trop grandes et trop merveilleuses pour moi.
2Loin de là, j’ai imposé le calme et le silence à mon âme,
Comme un enfant sevré auprès de sa mère ;
Mon âme est en moi comme un enfant sevré.

3Israël, attends-toi à l’Éternel,
Dès maintenant et à toujours !

Ps. 131, Luc 18:15-17, Matt. 18:1-6