Au commencement était l'Apocalypse
Prédication prononcée le 9 janvier 2011, au temple de l'Étoile à Paris,
par le Pasteur Florence Blondon
(Apocalypse 1:1-8)
Un titre un peu provocateur, volontairement, car dans notre culture l'Apocalypse est synonyme de fin du monde, alors pourquoi l'envisager au commencement ? Et au-delà de l'interpellation est-ce bien justifié ? Pour nous mettre sur la piste de la signification, avant de nous pencher sur le texte lui-même, sur cette ouverture du livre, je vous propose de nous intéresser en premier à l'étymologie de ce mot. Car, en effet, il y a un écart entre le sens commun et l'étymologie de ce terme.
Si je vous interroge sur la signification de ce mot : il évoque pour la plupart d'entre vous le chaos, les catastrophes, la fin du monde. Lorsque l'on se rend sur les lieux de Tsunami, de tremblements de terres, de guerres, on parle de visions apocalyptiques. Pourtant ce n'est pas sa signification première. Et, d'ailleurs, dans le Nouveau Testament le mot « apocalypse » ne se trouve jamais comme tel, il est toujours traduit, sauf dans le titre du Livre ce qui induit une distorsion. Car, le mot grec « apokalupsis » signifie littéralement « révélation » ou « dévoilement ». Quant au verbe qui lui correspond « apokaluptô », il signifie, « ôter le voile », « mettre à jour ». Il s'agit de dévoiler, presque d'ouvrir les rideaux, comme nous le faisons chaque matin, pour découvrir le jour, ou « encore de lever le rideau », comme au début d'une pièce de théâtre. C'est donc un geste d'inauguration, et qui plus est, un geste positif une attente plutôt réjouissante. D'ailleurs les emplois de ce mot dans d'autres passages du Nouveau Testament sont positifs. Par exemple, c'est le, mot utilisé par Paul lorsqu'il parle de sa conversion, dans l'épître au Galates (1, 11 à 17). Il s'agit pour lui d'une révélation qui sera une rupture radicale dans sa vie, une apocalypse certes, mais en aucun cas une fin ; au contraire le commencement d'une nouvelle vie, la révélation qui va réorienter son existence. Mais alors, comment comprendre un tel malentendu ? Un tel écart entre signification et le sens commun de l'Apocalypse qui évoque ces visions d'horreur ?
C'est à la lecture du dernier livre de la Bible que l'on trouve quelques éléments d'explication. Ce dernier livre intitulé l'Apocalypse ou Apocalypse de Jean. Cette appellation lui vient du premier mot qui apparait « Apokalupsis ». Reprendre le ou les premiers mots pour donner l'intitulé d'un livre s'inscrit dans la tradition du judaïsme. Ainsi, contrairement aux titres de nos Bibles, qui sont la traduction des titres donnés par la version grecque de la Bible hébraïque ; la Bible Hébraïque nomme les livres par les premiers mots, ainsi la Genèse est intitulée « au commencement », l'Exode «dans le désert »....Finalement ce n'est guère étonnant que le dernier livre retrouve cette règle, car il s'inscrit dans tout un courant de littérature juive dite « apocalyptique ». Mais cela est également justifié par la teneur de ce livre, où les trois premiers mots : « Apokalupsis Iêsou Christou », traduit dans nos Bibles par « Révélation de Jésus-Christ », nous donnent la teneur de tout le livre, ce livre est donc la Révélation, le Dévoilement de Jésus-Christ. Et ici, le « de » peut être compris dans ses deux sens, qui loin de s'exclurent, s'enrichissent « Révélation à propos de Jésus-Christ », il en est l'objet ; ou « Révélation venant de Jésus-Christ », il en est le sujet. En élargissant encore un petit peu, au premier verset : « Révélation de Jésus-Christ que Dieu lui a donné pour montrer à ses serviteurs ce qui doit arriver bientôt.... », se dévoile le dessein de la Révélation : son origine se trouve en Dieu, sa nature est de l'ordre du don, le moyen de communication est Jésus Christ et les destinataires sont tous les serviteurs de Dieu. Le reste du livre sera une variation sur un même thème. Le plus étonnant, c'est que mot « apokalupsis » n'est utilisé qu'une seule et unique fois dans ce dernier livre qui va prendre son nom, et dans lequel un certain Jean, raconte les révélations et les visions qu'il reçut alors qu'il était exilé sur l'île de Patmos à la fin du premier siècle après Jésus-Christ.
Ce n'est donc pas l'usage de ce mot dans le livre de l'Apocalypse qui a induit ne la dérive du sens, mais bien l'interprétation de la totalité de ce livre aux cours des siècles. Car, il faut le reconnaître entrer dans ce livre c'est entrer dans un monde étrange. Tout au long de ce récit, vont de déployer, dans un langage hautement symbolique, des visons d'un combat cosmique, l'affrontement de forces prodigieuses et effrayantes, on y rencontre des anges et des bêtes démoniaques. L'auteur ne craint pas les oppositions entre les forces terrestres et célestes, la présence du diable et son affrontement au Christ, tout cela est bien inquiétant, cela de quoi impressionner ! Et, si l'on rajoute quelques chiffres mystérieux , une structure souvent binaire, des étoiles qui tombent du ciel, un dragon céleste, un monstre marin , un bété terrestre, tout est en place pour des interprétations ésotériques, et pour alimenter les discours millénaristes qui ont toujours servi à entretenir la peur dans des sociétés qui le plus souvent semblent en perdition.
En rester là, ce serait passer à côté de l'essentiel du message, voire faire complètement fausse route. Certes ces situations de chaos évoquent malheureusement des situations bien réelles, à l'époque, tout comme aujourd'hui, il faut également (et impérativement) entendre le reste de discours. Le côté spectaculaire attire ; il marque les esprits, cela à toujours été et est encore un penchant très humain. Pourtant, nous sommes appelés à aller au-delà, car, il n'est pas un livre plus intéressant et an même temps plus mal interprété au cours des siècles, laissant place à toutes sorte de folies et de mouvement pseudo-millénaristes souvent violents et conduits par des gourous de toutes sortes.
Mais, aussi paradoxale que cela puisse paraître, l'Apocalypse est le dévoilement d'une bonne nouvelle : la bonne nouvelle que le mal peut être vaincu, et même qu'il est déjà vaincu. La bonne nouvelle qu'il est possible de résister aux puissances de ce monde. C'est d'ailleurs dans ce contexte que se développe cette littérature de crise. Le style « apocalyptique » est apparu et s'est particulièrement développé sous la pression culturelle et les persécutions qui se déchaînèrent contre les juifs sous la domination grecque des Séleucides au second siècle avant Jésus-Christ sous le règne Antiochus IV Epiphane, qui se déroule de -175 à -164. Des persécutions qui nous sont rapportées dans les livres des Maccabées, que l'on trouve dans les Bibles catholiques ou dans la Traduction œcuménique de la Bible (TOB). Et si dans les livres des Maccabées, nous livrent le contexte historique, dans la Bible hébraïque la littérature apocalyptique apparaît chez les derniers prophètes, chez Zacharie et tout particulièrement dans le livre biblique de Daniel, un des livres fondateurs de l'apocalyptique.
Dans la littérature du judaïsme du tournant de notre ère, période sombre pour le peuple juif, la littérature apocalyptique était très répandue, comme l'atteste les découvertes des écrits des grottes de Qumran.
Ainsi, la littérature apocalyptique est un discours d'encouragement dans le combat des petits contre les empires. Certes, il y aura des ravages et des destructions, mais ce ne sont là que le "baroud d'honneur" d'un Satan qui livre sa dernière bataille. Bientôt, il sera définitivement vaincu, et les puissances terrestres qui sont ses agents seront détruites. Là où, d'un point de vue humain, il n'y a qu'un combat désespéré d'une poignée de fidèles contre des forces impériales qui les submergent, l'apocalyptique dévoile que ce petit nombre de fidèles du Dieu vivant persécutés sont l'avant-garde d'un Dieu qui va intervenir de façon décisive contre Satan. Le livre de l'Apocalypse de Jean s'inspire très largement de toute cette tradition séculaire de résistance spirituelle juive à la pression politique, économique, culturelle, et idéologique de l'empire. Mais on est maintenant en milieu chrétien, et ce sont ces chrétiens d'Asie mineure qui résistent à cet empereur qui se faisait adorer comme Dieu. C'est d'ailleurs en réaction à cela que le titre de « Pantocrator » qui était un des titres de l'Empereur, sera subverti par les auteurs de la Bible pour le donner à Dieu. (dernier mot de la lecture de ce jour, traduit par Souverain et non par Tout- puissant).
Au temps de l'écriture du livre Rome représentait la stabilité - De tous temps, personne ne peut envisager la fin des Empires, plus près de nous qui avait prédit la chute du bloc soviétique ? - Et, ces écrits vont s'inscrire en opposition à l'idée de cette immuabilité. La fin envisagée par les auteurs, c'est avant tout la fin possible d'un empire qui se croit éternel. Ainsi, l'Apocalypse de Jean développe, dans un langage symbolique, une analyse fine des ressorts du pouvoir impérial romain : la fascination qu'exerce la puissance économique, culturelle et militaire de l'Empire ; l'adhésion du plus grand nombre à la pensée unique de cet Empire ; la répression des dissidents qui résistent à cette domination idéologique totalitaire. (Vous entendez l'écho du mal quelque soit son époque), tout cela est "révélé", "dévoilé" dans le dernier livre de la Bible. Les masques tombent. Mais au schéma classique de l'apocalyptique juive s'ajoute le motif de la victoire déjà remportée par le Christ sur la Croix. Le pouvoir véritable appartient au Christ et à ceux qui le suivent. Ils sont dès ici-bas les témoins d'un monde nouveau que rien ni personne ne peut anéantir. Même si l'on perçoit bien la dimension mythologique de ces récits apocalyptiques, il reste que cette pensée de rupture avec la pensée unique d'un système totalitaire a sans doute encore quelque chose à nous dire aujourd'hui. Et, si l'on est, à juste titre critique, vis-à-vis des égarements auxquels ont conduit les lectures millénaristes ou ésotériques de l'Apocalypse, cet appel à la résistance au nom d'un sens de l'histoire "dévoilé" conserve toute sa pertinence. Mais il ne faudrait pas se méprendre et laisser cet écrit uniquement dans son contexte, plusieurs indices nous invitent à le lire pour nous aujourd'hui.
Ce n'est pas un hasard si le livre de l'Apocalypse est ponctué par 7 béatitudes, et qu'il se conclut par l'avènement d'une nouvelle création débarrassée du mal. La première béatitude, nous introduit dans ce discours d'encouragement et d'espérance : « Heureux celui qui lit et ceux qui écoutent les paroles de la prophétie et gardent ce qui s'y trouve écrit ! Car le temps est proche » (1, 2).
Le « paroles et la prophétie » dont il est question ici, ce n'est pas uniquement le livre de l'Apocalypse, mais l'ensemble de la Bible, cette béatitude n'est pas sans rappeler l'ouverture du livre des Psaumes « Heureux l'homme qui ne prend pas le parti des méchants, qui ne s'arrête pas sur le chemin des pécheurs et e s'assied pas aux bacs des moqueurs, mais qui se plaît à la loi du Seigneur et récite sa loi jour et nuit. »(Psaume 1,1-2)
Ensuite « le temps est proche », il ne s'agit en rien d'un futur qui cantonnerait la prédication dans un futur angoissant, mais bien d'une parole pour aujourd'hui, un aujourd'hui contemporain du lecteur que nous sommes.
En effet, ce que travaille le livre de l'Apocalypse c'est aussi cet éclatement du temps. Les titres donnés au Christ dans cette ouverture sont en cela révélateurs : « Celui qui est qui était et qui vient », « l'alpha et l'oméga ». Il est là de tous temps et pour tous les temps. La reprise des thèmes de la Genèse : la création (ici le combat contre la bête, la création comme combat que l'on retrouve non pas dans la Genèse mais dans les Psaumes dit « de création », le combat contre le Léviathan), l'arbre, la ville, l'eau....comme pour nous dire que la Bible n'est pas une chronologie ordinaire, une histoire du salut linéaire, mais aussi une simultanéité qui renvoie la création à aujourd'hui, et la fin proche aussi à notre monde. IL n' s'agit pas ici de temps chronologique mais de temps propice pour se mettre en marche, un temps propice qui nous invite à la résistance mais qui nous dit aussi l'espérance.
Ainsi, l'Apocalypse biblique n'est pas une prédiction de la fin catastrophique du monde, mais la révélation d'une victoire déjà remportée du Christ sur la croix, qui nous invite à la confiance dans nos combats.
Elle est un appel à la résistance vis-à-vis des puissances de fascination du monde. Le genre littéraire de la vision utilisé est l'arme contre l'idolâtrie. L'idole c'est ce qui se donne à voir pour nous fasciner, rien de tel que de nous dévoiler autre chose pour nous inciter à résister.
L'Apocalypse c'est la révélation que le combat vaut d'être mené, aussi bien dans le monde que le combat bien plus personnel contre les forces du mal et du chaos qui parfois nous submergent, avec cette promesse, Dieu « essuiera les larmes de nos yeux » (Ap 21, 4).
L 'Apocalypse c'est la bonne nouvelle de l'espérance possible.
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Apocalypse 1:1-8
Révélation de Jésus-Christ, que Dieu lui a donnée pour montrer à ses serviteurs ce qui doit arriver bientôt, et qu'il a fait connaître par l'envoi de son ange à son serviteur Jean, celui-ci a, comme témoin, annoncé la parole de Dieu et le témoignage de Jésus-Christ : tout ce qu'il a vu.
Heureux celui qui lit et ceux qui écoutent les paroles de la prophétie et gardent ce qui s'y trouve écrit ! Car le temps est proche.
Jean aux sept Églises qui sont en Asie : Que la grâce et la paix vous soient données de la part de celui qui est, qui était et qui vient, de la part des sept esprits qui sont devant son trône, et de la part de Jésus-Christ, le témoin fidèle, le premier-né d'entre les morts et le souverain des rois de la terre ! A celui qui nous aime, qui nous a délivrés de nos péchés par son sang, et qui a fait de nous un royaume, des sacrificateurs pour Dieu son Père, à lui la gloire et le pouvoir aux siècles des siècles ! Amen ! Voici qu'il vient avec les nuées. Tout homme le verra, même ceux qui l'ont percé ; et toutes les tribus de la terre se lamenteront à son sujet. Oui, amen ! Je suis l'Alpha et l'Oméga, dit le Seigneur Dieu, celui qui est, qui était et qui vient, le Souverain.