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56, avenue de la Grande-Armée, 75017 Paris

Le corps, l'âme et l'esprit

Prédication prononcée le 28 novembre 2010, au Temple de l'Étoile à Paris,

par le pasteur Louis Pernot

(Galates 5 :13-22 Rom 8 :5-13 Matt 15 :17-20)

Il y a un phénomène curieux : on dit que le Christianisme n'est pas dualiste, qu'il considère que le monde matériel est créé par Dieu, et donc, ainsi, bon a priori, et que par là même notre corps avec ses fonction n'est pas mauvais, or il se trouve dans les lettres de Paul de curieux passages montrant une forte antinomie entre la « chair » et l'« esprit ». Il parle ainsi des désirs de la chair qui conduisent à la mort et à ceux de l'esprit qui mènent à la vie.

Or automatiquement lecteur moderne, quand il entend parler des « désirs de la chair », pense à quelque chose de vaguement sexuel, ou tout au moins relatif au corps. Or il semble curieux de trouver dans les Nouveau Testament une telle idée qui opposerait le corps mauvais à l'âme bonne, d'autant que Jésus n'étais pas vraiment un ascète, il nous est même montré dans l'Evangile comme s'opposant à Jean Baptiste, qui lui menait une vie ascétique dans le désert, et nous le voyons bien manger et bien boire, aller aux fêtes de mariages, tant qu'on disait de lui : « c'est un mangeur et un buveur ! » (Matt 11:18-19). L'idée qu'il faudrait sacrifier le corps pour élever l'âme est fortement étrangère à l'Evangile.

Cela nécessite une enquête complémentaire pour comprendre de quoi il en retourne. Quels sont donc ces désirs de la chair qui, pour Paul, s'opposent aux désirs de l'Esprit

Pour ça il faut d'abord savoir ce que veut dire la « chair ». Or dans Bible, la « chair » ce n'est pas ce que nous entendons nous aujourd'hui par « chair », mais c'est l'homme complet dans la totalité de ses dimensions psychiques et somatiques. Ainsi la formule courante dans l'Ancien Testament, et aussi dans le Nouveau : « toute chair » est utilisée pour dire « tout homme », ou plus largement : « tout être vivant ». La chair ne représente donc pas seulement la dimension bestiale de l'homme, pas plus que ce qui est lié à sa sexualité, mais tout l'homme dans sa totalité psychosomatique.

Ce qui nous induit dans l'erreur, c'est la philosophie grecque antique qui oppose le corps et l'âme.

Dans la pensée dite orphique professée par les philosophes grecs, puis après eux par les gnostiques et encore par des penseurs comme Descartes, ou même de bons pères oratoriens comme Malebranche, on trouve l'idée de la séparation du corps et de l'âme. L'âme est vue comme un principe divin et éternel, s'opposant au corps qui appartient à matière mauvaise. La vie terrestre est comprise comme une âme qui tombe dans un corps, ce qui est pour elle une catastrophe et une cause de souffrance. L'ame pure se trouve ainsi exilée dans la matière mauvaise. Le but de la vie est alors de se libérer de ce corps qui est comme une prison de l'âme, afin que celle-ci puisse retourner à son principe divin. Tant que l'âme n'en est pas capable, elle subit des réincarnations successives qui sont autant de souffrances jusqu'à ce qu'elle puisse enfin se libérer de la matière et retourner à sa divine origine.

Cette pensée est totalement étrangère à la théologie biblique. Pourtant elle est restée dans la pensée occidentale laissant croire que le corps et l'âme seraient deux choses séparées et même antagonistes.

Or pour la pensée biblique, le corps n'est pas pensable sans âme. Le corps, c'est de la matière inerte, organisée par un principe vital que l'on appelle l'âme. Le corps sans âme, ce n'est rien, rien qu'un amas de cellule sans unité, et qui se détruit très vite. Donc l'âme ne se superpose pas au corps, elle le constitue. L'âme est ce qui informe la matière pour lui donner une cohérence, une unité dans l'espace et dans le temps. C'est ce qui fait qu'une personne reste bien la même personne alors qu'en quelques années toutes les cellules de son corps se sont renouvelées. C'est ce qui fait qu'une grand-mère de 90 ans dit en montrant la photo d'une petite fille de 5 ans jouant à la marelle et n'ayant physiquement rien de commun avec elle : « c'est moi ».

Une vie, c'est une âme qui informe une matière. Un corps sans âme, ça n'existe pas, ce n'est que de la poussière.

Cela est vrai aussi pour les animaux d'ailleurs, et des théologiens comme Thomas d'Aquin disent que les animaux, bien sûr, ont une âme, puisque l'âme, c'est la vie, mais que la seule différence, c'est que leur âme à eux n'est pas éternelle.

Là est d'ailleurs une question : peut-on envisager une âme sans le corps. La pensée biblique est formelle sur le fait qu'il n'y a pas de préexistence des âmes, chaque âme est crée avec la conception du corps qu'elle anime. Quant à savoir ce que devient cette âme lorsqu'elle cesse d'informer un corps, lors de la mort physique, c'est une autre question. On peut penser, en effet qu'il n'y a aucune raison pour qu'elle disparaisse...

C'est cet ensemble psycho-somatique, corps-âme que la Bible appelle « chair » ou « âme » puisque les deux sont liés, et dans les deux cas il s'agit de l'ensemble de ce qu'est l'homme dans sa vie terrestre.

Ce point est essentiel d'abord pour comprendre la théorie de l'Incarnation s'appuyant sur le célèbre verset de Jean 1:14 : « et le verbe s'est fait chair ». Cette affirmation risque en effet d'entraîner de graves contresens. Certains imaginent qu'il s'agit du Verbe de Dieu qui s'enrobe de chair, comme s'il prenait un corps sans âme. Comme si Jésus, c'était un corps vide dont l'âme serait Dieu. C'est un grave contresens qui a d'ailleurs été rejeté formellement par l'Eglise. Ce que veut dire ce verset, c'est que le Verbe éternel se trouve être présent dans un être complet, un homme véritable qui a bien sûr son âme créée, sa liberté, son intelligence et sa propre volonté, et cet homme, c'est Jésus de Nazareth.

Et la preuve que la « chair » dans la Bible ne désigne pas seulement ce que nous appelons « corps », ce sont les passages de Paul où, comme en Galates 5:21, il parle des « œuvres de la chair », il cite : « les fornications, l'impureté, le libertinage, l'ivresse, les orgies... ». Cela, on le comprend bien et peut correspondre à ce que nous entendons aujourd'hui par « péchés de chair », mais curieusement, il ajoute aussi : « l'idolâtrie, la magie, les haines, la discorde, la jalousie, les emportements, les disputes, les dissensions, les envies. » Or aujourd'hui, on appellerait ça plutôt des péchés de l'homme en général, les tendances naturelles de l'humain.

Et cela correspond d'ailleurs au pur et à l'impur dont il est question dans Matthieu : (Mt 15:17-20). Le Christ parle des « œuvres impures » qui sont : l'adultère et la prostitution, donc les « péchés de la chair » au sens moderne du terme, mais il y met aussi « les propositions mauvaises..., les vols, les faux témoignages, les blasphèmes ».

Donc dans la pensée biblique, il n'y a pas d'opposition entre corps et âme, ou chair et âme.

Ce qui fait la différence, c'est l'esprit. C'est une autre notion qui n'a rien à voir avec le corps ou l'âme. Il y a d'ailleurs un seul mot : Rouah, en hébreu, pneuma en grec pour désigner l'Esprit (de Dieu) et l'esprit (de l'homme).

L'Esprit de Dieu, c'est ce souffle créateur qui se trouve en Dieu, c'est sa puissance créatrice, c'est Dieu lui-même qui se donne au monde comme une information qui organise et mène le monde vers le plus-être. Et dans l'homme, l'esprit, c'est cette capacité qui se trouve en lui d'accéder à l'Esprit de Dieu. C'est ce par quoi nous sommes capables de recevoir en nous l'Esprit même de Dieu, et d'entendre ce qu'il nous dit, ce qu'il nous fait savoir pour avancer au delà de ce que nous sommes. L'esprit, dans langue Bible, c'est donc ce par quoi nous pouvons entrer en relation avec Dieu qui est le créateur monde et de nos âmes.

Or c'est ça que les animaux n'ont pas. Parce que c'est lié à l'intelligence, à la sensibilité et à la liberté. La différence essentielle entre l'homme et l'animal, c'est la liberté et la conscience de soi. L'animal est programmé génétiquement pour certains comportements par rapport auxquels il n'a pas de liberté, ni de possibilité de réflexion ou de recul. L'esprit, c'est ce qui en l'homme lui permet d'accéder à une autre dimension, d'accéder directement par sa sensibilité spirituelle à l'Esprit qui est la puissance créatrice de Dieu, et de recevoir un autre message, par son intelligence lui permettant d'orienter de telle ou telle manière son existence.

Ce qui est la clé de tout ça, c'est la liberté. Liberté de l'homme par rapport aux anciennes programmations animales, et la capacité d'accéder à autre dimension qui est celle de l'Esprit. C'est dans ce qui en lui est libre que l'homme peut accéder à l'Esprit, ainsi que l'affirme Paul : (2Co 3:17) « Or, le Seigneur c'est l'Esprit; et là où est l'Esprit du Seigneur, là est la liberté ».

L'animal, lui, est lié par des anciennes programmation transmises génétiquement qui sont le plus souvent celles de la défense du territoire, de la loi du plus fort, de la reproduction, ou de la survie. Par l'Esprit, homme peut accéder à autre dimension, et adhérer à une nouvelle programmation de son comportement. Celui qui nous fait connaître cette nouvelle programmation spirituelle, dans la Bible, c'est le prophète qui est appelé « isch ha rouah » c'est à dire : « l'homme de l'Esprit ». Le Christ, lui, nous a révélé plus parfaitement cette nouvelle programmation, présentant à notre liberté et à notre intelligence un nouveau mode de vie, une nouvelle manière d'être en relation avec les autres et de comprendre notre propre existence.

C'est ainsi que l'animal est programmé pour la défense du territoire, mais que le Christ dira : « les renards ont des tanières, let oiseaux du Ciel ont des nids, mais le Fils de l'homme n'a pas un endroit où reposer sa tête. » Contre le désir de possession il dira : « Heureux les pauvres » et montrera la valeur du don. Et alors que l'homme hérite de l'animal la tendance de croire dans la loi du plus fort, le Christ dira : « Qui s'abaisse sera élevé... » et « le plus grand parmi vous sera votre serviteur ». Et au lieu de la volonté naturelle et égoïste de survie physique, il enseignera : « Qui veut sauver sa vie la perdra... ».

L'Evangile est donc une reprogrammation complète de la vie de l'homme. Etre chrétien, c'est prendre l'Evangile comme nouvelle programmation pour vivre autrement et accéder à une autre dimension qui ne soit pas celle du terrestre, mais celle de l'amour, du don, de la compassion et du service.

Or les anciennes programmations animales sont, bien sûr, encore présentes naturellement en nous, c'est ce que Paul appelle « la chair » : c'est l'attachement aux choses terrestres, l'égoïsme, la jalousie, les luttes de pouvoir. C'est ce que Jean appelle dans son vocabulaire « le monde » et qui est étranger à l'esprit.

La loi de l'Esprit, elle, donne accès à une autre dimension qui est celle de l'Esprit, et qui est éternelle.

Alors Paul devient limpide, il ne parle pas des désirs sexuels, mais de l'ancien homme qui est « chair » s'opposant au nouvel homme qui vit « selon l'esprit » Ainsi dira-t-il : (Ga 5:17) « La chair ... a des désirs contraires à l'Esprit et l'Esprit des désirs contraires à la chair » Ainsi parlera-t-il (Rm 8:23) de la « Rédemption du corps » C'est à dire la libération du Corps de ces anciennes programmations, et dira-t-il : (Romains 8:12-13) Ainsi donc, mes frères, nous sommes débiteurs, non point envers la chair pour devoir vivre selon la chair. Car, si vous vivez selon la chair, vous mourrez. Mais si par l'Esprit vous faites mourir les œuvres du corps, vous vivrez » ou encore : (Rm 8:13) « Si vous vivez selon la chair, vous mourrez ». Ce n'est pas qu'il y ait une quelconque culpabilité ou punition possible de vivre « selon la chair », mais c'est que la nature même de la « chair », c'est-à-dire de notre homme terrestre, c'est de mourir, alors que la dimension spirituelle, elle, touche à l'éternel, précisément parce qu'elle est au delà du naturel et du physique. Car dit-il : « le désir de la chair, c'est la mort, tandis que le désir de l'esprit, c'est la vie et la paix puisque le désir de la chair est inimitié contre Dieu » (Rom 8 :6-7) ou enfin : (Rm 7:18) « Je sais que nul bien n'habite en moi, je veux dire dans ma chair »

Mais il n'y a pas d'antinomie entre la chair et l'esprit, au contraire, c'est la première qui permet d'accéder à la seconde. La chair, c'est notre existence terrestre qui est, bien sûr première chronologiquement, et indispensable pour pouvoir découvrir progressivement la dimension de l'esprit. L'esprit, c'est une dimension nouvelle qui s'appuie sur notre chair et qui permet d'aller au delà, plus loin. La chair, c'est notre vie physique et à partir d'elle nous pouvons accéder à l'esprit.

En ce sens, on pourrait dire que la chair est comme le lanceur de notre dimension spirituelle. Comme une fusée à plusieurs étages pour mettre sur orbite un satellite. La partie du lanceur est indispensable, sinon, le satellite resterait à Terre. Au départ, c'est le lanceur qui est actif et petit à petit son énergie s'épuise, comme notre vie terrestre va à sa fin, c'est alors le satellite qui est la dimension spirituelle qui prend son indépendance et continue sa course dans l'éternité alors que le lanceur retombe dans la mort. C'est aussi ce qu'enseigne Paul en 1 Corinthiens 15 : ce n'est pas l'esprit qui est premier, c'est la chair, l'esprit vient ensuite, (1 Cor 15:46) mais la chair est appelée à mourir, alors que la dimension de l'esprit demeure.

C'est encore ce qu'enseigne le Christ lors de son entretient avec Nicodème (Jean 3) : Il ne suffit pas à l'homme de naître de chair, il faut aussi qu'il naisse de l'esprit, parce que c'est ainsi qu'il accède à cette nouvelle dimension qui est celle de l'éternité.

La « vie éternelle », ce n'est donc pas une réalité future, mais une réalité qui s'enracine dans notre existence terrestre, qui commence déjà, une dimension nouvelle que notre vie acquiert, qui est au delà du physique et qui traverse la mort.

Certes, cette conception est un peu différente de celle que l'on enseigne parfois d'une idée de mort, puis de résurrection, mais c'est pourtant ce que l'on trouve dans l'Evangile de Jean qui dit : « celui qui croit en moi vivra éternellement, il ne mourra pas, il est passé de la mort à la vie », ou dans Paul qui parle de la « résurrection » non pas au futur, mais au passé : « si donc vous êtes ressuscités avec Christ ».

Mais cela n'a rien à voir avec la doctrine grecque de l'immortalité de l'âme. Pour la pensée grecque, l'âme est immortelle par nature. Pour la pensée biblique, l'âme acquiert l'immortalité si elle sait accueillir cette parole créatrice de l'Esprit qui lui permet d'accéder à cette nouvelle dimension.

« Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l'Esprit est esprit. Ne t'étonne pas que je t'aie dit: Il faut que vous naissiez de nouveau. » (jean 3 :6-7). Et comme le dit Paul : « le fruit de l'Esprit c'est : l'amour, la joie, la paix, la patience, la bonté, la bienveillance, la fidélité, la douceur et la maîtrise de soi » (Gal 5 :22), et puis surtout l'éternité qui ne vient pas de nous, mais qui nous est offert par Dieu qui est Esprit, et que nous recevons dans notre esprit.

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Gal. 5:13-22, Rom.8:5-13, Matt. 15:17-20