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56, avenue de la Grande-Armée, 75017 Paris

Le baptême des petits enfans

Prédication prononcée le 18 mars 2012, au temple de l'Étoile à Paris,

par le pasteur Louis Pernot

Le baptême d'enfant est un rite extrêmement important dans notre Eglise protestante, même que c'est l'un de nos deux seuls sacrements. Pourtant, on peut penser que le Christ, lui, ne prêtait pas une grande importance aux rites, pas plus qu'aux pratiques religieuses diverses. Il n'a en fait institué précisément aucun sacrement, il n'a pas donné de liturgie, ni de consigne sur la manière d'organiser l'Eglise ou quoi que ce soit qui concerne la pratique religieuse. En fait, il semble bien que pour lui, l'essentiel n'était pas la pratique, ni les pratiques, mais la religion du cœur, le fait d'aimer Dieu et d'aimer son prochain, la façon de vivre en quelque sorte. Il a, au contraire, sans cesse critiqué les spécialistes de la pratique et des œuvres, les professionnels de la religiosité qu'étaient les pharisiens.

Et même la célèbre finale de Matthieu citée habituellement pour fonder le rite du baptême est aujourd'hui considérée par tous les spécialistes comme étant apocryphe. Jésus, en effet, n'a jamais pu dire « baptisez les au nom du Père du Fils et du Saint Esprit » puisque la notion de Trinité n'a été inventée que deux ou trois siècles plus tard, et n'existait pas de son temps. Cette finale de Matthieu 28 a donc été ajoutée tardivement. Quant au Christ, apparemment, il ne s'est jamais préoccupé de baptiser qui que ce soit.

Il faut donc se résoudre à l'idée que le baptême est juste une pratique d'Eglise, et n'est évangélique que par rapport au sens qu'on peut lui donner.

Ce n'est que dans l'Eglise primitive, à partir des Actes des Apôtres que l'on voit apparaître le baptême comme rite chrétien. Or à ce moment, il ne s'agissait pas de baptême d'enfant, mais d'un baptême d'adultes par lequel le candidat recevait un baptême par immersion au nom du Christ pour marquer son entrée dans l'Eglise. Cela fait que certaines Eglises refusent le baptême d'enfants comme étant non biblique. C'est le cas aujourd'hui est Baptistes, et du temps de la Réforme de ceux que l'on appelait « anabaptistes ». Dans ces communautés, on pratique le baptême par immersion des adultes pour marquer leur conversion. Dans l'Eglise Réformée aussi, il se trouve parfois des croyants qui, refusant le baptême des enfants, leur font donner à la place une « présentation » qui est comme un baptême, mais sans eau.

En fait, certains théologiens ne sont pas aussi catégoriques sur le fait que le baptême d'enfants n'ait pas existé dans le Nouveau Testament. Ils s'appuient en particulier pour dire cela sur les récits de baptêmes collectifs comme en Actes 16 où sont baptisés Lydie et toute sa famille. Peut être y avait-il aussi des enfants.

Cela est discutable, mais indique déjà un sens possible au baptême d'enfants. Etre baptisé veut dire que l'on fait partie d'une famille chrétienne, qu'on est incorporé à l'Eglise, même en tant qu'enfant. C'est dans ce sens que Calvin disait que le baptême était comme le pendant de la circoncision chez les juifs : par elle l'enfant était incorporé au peuple élu, mais le geste avait le défaut de mutiler le corps, et de n'être pas égal pour les deux sexes. Pour les chrétiens, c'est donc le baptême qui a été choisi pour dire que l'enfant de parents chrétiens était bienvenu dans l'Eglise et qu'il en faisait partie en tant qu'il était dans une famille chrétienne. Bien sûr, on lui demandera ensuite s'il voudra confirmer son appartenance ou non à l'Eglise plus seulement en tant qu'il est enfant de parents chrétiens, mais par lui-même.

Donc, et c'est le premier sens, par son baptême, l'enfant est accueilli dans l'Eglise, mais ce baptême ne fait pas de lui un chrétien pour autant, parce qu'être chrétien, c'est un choix personnel qui se marque par la confession de sa foi.

Donc a part ça, baptême d'enfant pas très biblique, et de toute façon, il ne s'agit pas du même baptême que dans les Actes des Apôtres, puisqu'il s'agissait alors d'un baptême plutôt d'adultes, par immersion, et non d'un baptême d'enfant par affusion (c'est à dire avec un tout petit peu d'eau). Notre baptême n'est donc pas le baptême des Actes des Apôtres, mais ce n'est pas grave, le geste peut être beau et bon tout de même. Tout dépend en fait de quelle Réforme on se réclame. La Réforme radicale disait : « tout ce qui n'est pas explicitement autorisé par l'Ecriture est interdit », mais Calvin et Luther disaient : « tout ce qui n'est pas contraire à l'Ecriture est autorisé », on peut ainsi très bien baptiser les enfants tant qu'on est bien d'accord sur le sens de ce geste et que ce sens est évangélique.

Ce qui compte donc, c'est le sens de ce geste, que signifie-t-il ? Et là, c'est bien compliqué car au cours des siècles, il a eu plusieurs significations que l'on retrouve encore parfois aujourd'hui dans certaines célébrations.

A l'origine, avant même qu'il soit chrétien, le baptême était un rite juif d'ablution, de purification, comme il l'est encore aujourd'hui dans les synagogues. Il s'agissait de plonger l'individu dans l'eau pour faire comme s'il en ressortait lavé de son péché et tout propre, purifié. C'était le sens du baptême donné par Jean Baptiste et qu'a reçu Jésus, baptême qui n'était évidemment pas chrétien puisqu'avant même le ministère du Christ.

Le baptême dans les débuts du Christianisme ayant gardé cette composante, les croyants ont voulu se faire baptiser le plus tard possible pour effacer le plus grand nombre de péchés d'un coup. L'Eglise s'y est opposée et pour pouvoir remettre le baptême comme rite initial a proposé d'instaurer l'extrême onction permettant cette remise à zéro sans priver les enfants du baptême. Mais alors les croyants ont voulu faire baptiser les enfants le plus tôt possible, pour être sûr qu'ils puissent aller au Paradis s'ils mouraient. On est, là encore, loin de l'Evangile. Ce ne sont pas les actes, les rites ou les sacrements qui sauvent, mais l'amour de Dieu par delà tous les gestes d'Eglise que l'on peut inventer. Et puis quel péché un tout petit bébé aurait-il à se faire pardonner alors qu'il n'a fait encore ni bien ni mal ? On a dit alors que le baptême d'enfant était pour laver le péché originel ! C'est vraiment une conception d'un autre âge ! On peut croire au péché originel sans croire à une sorte de culpabilité héréditaire qui rendrait chaque enfant coupable avant même de vivre d'une faute qu'il n'aurait pas commise.

Alors certains ont voulu dire que le péché originel n'était pas une faute, mais une sorte d'imperfection fondamentale qui est le fait de tout homme. La chose est déjà plus acceptable, mais on ne voit pas en quoi le fait de baptiser un enfant le ferait échapper à cette imperfection.

Le seul moyen de récupérer cette signification du baptême serait de dire que le bébé est plongé dans une sorte de grand bain de pardon a priori, qu'il est pardonné par avance en quelque sorte.

Ensuite pour les premiers chrétiens, le baptême est devenu signe de nouvelle naissance, il s'agissait aussi, bien sûr d'un baptême par immersion. C'est le sens encore du baptême des Baptistes : on meurt à sa vie ancienne, au péché, pour naître à une vie nouvelle. On voit même encore aujourd'hui d'anciens baptistères chrétiens du début de notre ère en Galilée sous forme de tunnel, le candidat (parce que habillé de blanc) devait descendre dans le noir du tunnel pour se plonger entièrement dans l'eau qui était au fond comme s'il mourait au péché pour sortir ensuite comme des eaux du ventre de sa mère et venir à la lumière pour une vie nouvelle. C'était bien sûr une allusion au dialogue de Jésus avec Nicodème disant qu'il faut que l'homme naisse de nouveau.

L'idée est belle, mais comment pourrait-elle être adaptée à un bébé ? Un petit enfant ne naît pas de nouveau par son baptême, il ne renonce à rien, et n'est pas plongé dans la mort de quoi que ce soit.

La seule récupération possible serait de dire qu'il ne suffit pas de naître de chair et de sang pour accomplir son destin d'être humain, il faut aussi accéder à une dimension spirituelle. Baptiser enfant, cela veut dire, pour les parents, qu'ils ont conscience que leur enfant a cette dimension, et que, comme il est né animalement, il faut aussi qu'il naisse spirituellement. Qu'il est non seulement enfant de la chair, mais aussi enfant de Dieu, et donc que prenant en considération cette dimension spirituelle, ils en prendront soin, il la nourriront et veilleront à la faire grandir.

En fait, le sens réel du baptême d'enfant, est à comprendre à partir du fait que c'est un « sacrement ». Ce qui définit un sacrement en théologie, c'est d'être un « signe visible de la grâce invisible de Dieu », donc un geste qui dit l'amour de Dieu pour nous. Or une affirmation fondamentale de l'Evangile est que la grâce de Dieu est offerte à tous, comme son nom l'indique « gratuitement », sans la nécessité du moindre mérite de notre part ou même que l'on en ait conscience. Dieu nous aime parce qu'il a choisi de nous aimer, et non pas parce que nous aurions su nous rendre aimables.

Le baptême, ainsi, n'engage pas l'enfant, il n'est pas à son initiative, c'est le témoignage de la foi des parents qui veulent donner à leur enfant un signe de l'amour de Dieu. Et justement, baptiser un tout petit enfant, c'est insister sur le fait que la grâce ne dépend pas de nous, mais qu'elle est reçue comme un cadeau. Avant même que l'enfant ait pu mériter ou démériter, avant même qu'il ait la foi ou qu'il ne l'ait pas, avant de savoir s'il sera bon ou mauvais, bon pratiquant ou non, nous voulons dire qu'il est aimé par Dieu, que sa vie est précédée par un amour et une grâce qui lui sont offerts. Ainsi la grâce est première dans la vie chrétienne, et celle-ci ne consiste pas à tenter de gagner l'amour de Dieu, mais d'apprendre à y répondre. Le baptême n'engage donc en rien l'enfant, ce n'est pas pour lui un vœu, ni même une responsabilité, c'est un cadeau. Si le baptême devait engager quelqu'un ce serait Dieu lui-même, ou tout au moins les parents, parce que s'ils choisissent de donner ce signe à l'enfant, cela implique que par cohérence ils devront ensuite lui expliquer le sens de ce qu'ils ont fait afin que l'enfant puisse se positionner plus tard par rapport à ce geste. On a le droit de donner un signe à enfant, mais on a le devoir de lui donner les moyens ensuite de le comprendre et de pouvoir le ratifier pour lui ou de s'en distancer, de pouvoir y répondre ou non plus tard.

C'est le sens de la confirmation, ou de la profession de foi, quand on demande au jeune, ensuite, s'il veut répondre ou non à cette grâce qui a été signifiée par son baptême en acceptant pour son père céleste celui qui l'a accepté d'abord pour être son fils.

C'est d'ailleurs aussi pourquoi on baptise les enfants non par « immersion », mais par « affusion », c'est à dire en versant un peu d'eau sur la tête. Dans la Bible, l'eau en grande quantité est signe de mort, c'est l'eau de la mer, celle du Déluge, c'est le milieu dans lequel on ne peut pas vivre. En petite quantité, au contraire, l'eau symbolise ce qui donne la vie, c'est l'eau de la rosée, la source qui sauve le promeneur perdu et mourant de soif, l'eau de la pluie qui transforme le désert stérile en un espace verdoyant et fécond, le puits, qui est la ressource d'un jardin merveilleux. La grâce est symbolisée par cette eau en petite quantité, c'est ce que l'on croit qui est offert par Dieu à l'enfant : une source de vie qui ne changera pas sa nature, mais lui permettra de développer le meilleur qui se trouve déjà en lui même.

Bien sûr, ce n'est qu'un signe, ce n'est pas le baptême qui provoque la grâce, le baptême dit la grâce qui précède le geste. Dieu n'a pas besoin de nos sacrements pour nous donner sa grâce, et pas besoin de nos gestes pour nous aimer. Dieu ne tient pas de registres, et tout enfant, baptisé ou non est aimé par lui et au bénéfice de sa grâce. La seule différence entre un enfant baptisé et un qui ne le serait pas est que dans le premier cas, les parents ont voulu dire solennellement cette grâce dont ils pensent que leur enfant est bénéficiaire, marquer sa vie d'un geste originaire d'amour.

Pour ce geste, même s'il n'est pas directement biblique, les références dans l'Evangile sont, bien sûr, innombrables : « Dieu fait pleuvoir sur les bons comme sur les méchants ». Il est vrai qu'il ne pleut pas plus sur le jardin du juste que sur celui de l'injuste. La source se donne à boire au voyageur et lui redonne la vie, qu'il soit bon au mauvais. La source ne retient pas son eau si un voleur vient boire. La grâce est universelle, il est bon de le dire et d'essayer ensuite d'apprendre à ses enfants de la discerner.

Les protestants poussent même, en général, très loin cette image de la grâce. L'enfant n'est pas plongé dans un bain glacé, il n'est même pas présenté au dessus du baptistère comme pour une sorte de sacrifice qui serait au dessus d'un autel. On ne baptise pas les enfants en les renversant en arrière pour leur verser sur la tête des quantités d'eau glacée, mais on le laisse les bras de quelqu'un qui l'aime, il reçoit quelques gouttes de l'eau tiède que l'officiant a mis dans sa main avant de la poser sur la tête de l'enfant. Pourquoi faudrait-il que le bébé pleure au moment de son baptême ? Le don de la grâce n'est pas présenté comme quelque chose de dramatique, mais comme quelque chose qui est offert en douceur, sans drame, sans douleur, tout en tendresse, et en respect de la personne, si petite soit-elle.

Finalement, le baptême comporte plein de sens possibles, mais depuis la Réforme, on dit que le texte réellement fondateur est celui de l'accueil des petits enfants par Jésus. Contrairement à ce que pensaient les disciples, aucun enfant n'est trop petit pour que Dieu s'intéresse à lui, personne n'est trop modeste pour être au bénéfice de la grâce, ou pour avoir sa place dans l'Eglise. La place auprès du Christ n'est pas réservée aux purs, aux saints, aux intelligents, aux théologiens, aux bons pratiquants ou aux bons croyants, mais chacun est accueilli. Le Christ nous invite à entrer dans une relation de simplicité avec lui, sans jugement, une relation qui est juste faite d'amour, de tendresse, sans question, et sans condition. Cette relation, Dieu lui-même l'initialise en nous aimant en premier, en faisant le premier pas vers nous, en nous offrant sa présence, sa grâce et son amour.

C'est cela le point de départ de toute vie chrétienne, c'est là dessus que l'on peut construire sa vie de chrétien, comme une réponse à la grâce, et c'est là dessus que nous pouvons vivre tout simplement, en sachant qu'un amour nous précède. Ce n'est qu'à partir de là que l'on peut grandir dans la liberté et dans la joie.

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 Marc 10:13-16

Des gens lui amenèrent des petits enfants pour qu'il les touche. Mais les disciples leur firent des reproches.

Jésus, en le voyant, fut indigné et leur dit : Laissez venir à moi les petits enfants, et ne les en empêchez pas ; car le royaume de Dieu est pour leurs pareils. En vérité, je vous le dis, quiconque ne recevra pas le royaume de Dieu comme un petit enfant, n'y entrera point.

Puis il les embrassa et les bénit, en leur imposant les mains.

Matthieu 28:18-20

Jésus s'approcha et leur parla ainsi :

Tout pouvoir m'a été donné dans le ciel et sur la terre. Allez, faites de toutes les nations des disciples, baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et enseignez-leur à garder tout ce que je vous ai prescrit.

Et voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu'à la fin du monde.

Marc 10:13-16, Matt. 28:18-20