Jette ton pain à la surface des eaux...
Prédication prononcée le 12 février 2012, au temple de l'Étoile à Paris,
par le pasteur Louis Pernot
« Jette ton pain à la surface des eaux... » Voilà un commandement curieux, sorte d'invitation au gaspillage, à jeter son nécessaire pour le retrouver. C'est étrange.
En fait, on peut comprendre ce commandement de se déposséder dans le sens d'une célèbre dialectique entre l'être et l'avoir : l'important, ce n'est pas de posséder, mais d'être, et sans doute que pour être, pour grandir dans son être il faut accepter de perdre des possessions, de posséder mois.
Mais ce n'est pas une valorisation du pur gaspillage, il ne s'agit pas de négligence, mais du don volontaire de la part de celui qui sait très bien ce qu'il donne, ce dont il se sépare. Et certainement que se séparer de quelque chose que l'on possède a de grands mérites, et ce pour plusieurs raisons.
D'abord par la valeur du don. Donner, c'est posséder moins matériellement, mais s'est s'enrichir d'un acte d'amour. On est vraiment riche que de ce que l'on a donné. Ce que l'on possède, on ne le possède pas vraiment, on peut le perdre, et on le laissera sur Terre. Ce que l'on a donné, personne ne peut plus nous le reprendre, on ne peut plus le perdre, pas plus que le fait d'avoir donné qui devient une partie de notre être. C'est dans le même sens que Jésus parlera des vrais trésors : Ne vous amassez pas des trésors sur la terre, où la teigne et la rouille détruisent, et où les voleurs percent et dérobent, mais amassez-vous des trésors dans le ciel, où la teigne et la rouille ne détruisent point, et où les voleurs ne percent ni ne dérobent. (Matt. 6:19-20)
Ensuite, se déposséder a une valeur intrinsèque, par le fait d'aller dans le sens d'une dé-préoccupation du matériel. Le texte ne dit pas forcément de « donner », mais de « jeter », simplement ne plus posséder. Il est vrai que nous sommes trop matérialistes, trop attachés à la possession, nous avons tendance à croire que notre être dépend de ce que nous avons. Or, imaginons que nous puissions tout perdre, comme les juifs pendant la guerre, et partir à l'autre bout du monde avec une simple valise, que resterait-t-il de nous ? Et en serions nous capables ? Pour ça, il faut chercher les vraies valeurs, celles qui sont au delà de la possession matérielle, il faut apprendre à se détacher du matériel, il faut donner avant que la vie ne nous arrache, soit par les événements, soit par le vieillissement et la mort. Et pour cela, le meilleur moyen, c'est de donner.
C'est d'ailleurs ce que dira Jésus au Jeune homme riche : Vends tout ce que tu as, donne le... et tu auras un trésor dans le Ciel. Tout donner est sans doute exagéré, mais il est vrai qu'en donnant on gagne un trésor spirituel, et on peut commencer maintenant sur des petites choses.
Jeter son pain, oser donner, c'est vouloir ne pas faire de sa vie un conservatoire, mais donner, prêter, dépenser, ne pas accumuler. La vie chrétienne, c'est le contraire de l'accumulation, ce n'est pas vouloir être en agglutinant le plus de choses autour de soi, mais être en se dépouillant progressivement. Il ne s'agit pas non plus d'accumuler des bonnes œuvres, mais se dépenser, faire gratuitement, pour rien, sans rien attendre en retour, et finalement, on en est d'autant plus riches.
Ensuite, se déposséder, c'est nécessairement apprendre à vire dans la confiance en Dieu. Le pain, pour l'Ecclésiaste, c'est la source de la vie. Ce n'est pas le superflu qu'il demande de jeter, mais l'essentiel. Il n'est pas naturel de jeter son pain, la source de sa vie dans le ruisseau. Et c'est donc un geste de confiance, de courage, c'est affirmer que l'essentiel, il n'est même pas dans la pain, mais dans autre chose. Ainsi le Christ dira : L'homme ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. (Matt. 4:4) Le pain, c'est bien, mais il y a plus important en fait, parce que l'essentiel est invisible pour les yeux, c'est l'amitié, l'amour, le don, la gratuité... C'est là dessus que je veux compter, pas sur les biens matériels.
Or si j'enlève mes assurances, mes protections, mes sécurités, que sera ma vie demain ? Je n'en sais rien, mais je dois faire confiance. De toute façon, vous pouvez tout prévoir... sauf l'avenir. Même avec les meilleures assurances, les meilleurs placements, nul ne peut savoir ce que sera la vie demain. Donc nous n'avons pas à nous en préoccuper plus qu'il ne le faut, il faut faire confiance et demain prendra soin de lui même. C'est le sens du sermon du Christ sur les soucis (Matt 6:24ss) : A chaque jour suffit sa peine.... Dieu pourvoira. Certainement qu'il ne donnera pas forcément la subsistance matérielle, mais on peut avoir la conviction que quelle que soit la situation matérielle, il y aura toujours une vie possible, un bonheur possible, parce qu'il sera toujours possible d'aimer, d'espérer et de partager.
C'est quelque chose que l'on peut ressentir devant un tout petit enfant qui commence son existence : quelle sera sa vie ? Bonne mauvaise ? Il faut un sacré acte de foi pour vouloir donner la vie à un enfant : avec trous d'ozone, la crise, le tiers monde à notre porte, l'Islamisme et le réchauffement climatique, toutes ces menaces. Le monde d'aujourd'hui, veut nous faire peur : et pour cela nous donne des recettes qui ne nous rassurent guère : économisez l'eau quand vous vous lavez les dents, ne prenez pas votre voiture, remplacez les centrales nucléaires par des éoliennes etc... Mais c'est un mensonge, cela n'enlève pas la peur, au contraire. Certes, il est bien de tout faire au mieux, et de ne pas prendre de risques inutiles, mais ce serait un danger de faire croire que notre vie dépendrait de ça, que le sens de notre vie en découlerait, que notre bonheur, notre accomplissement se trouverait dans des actes matériels.
Tout cela n'a qu'une importance relative. Faites au mieux, et après, on verra bien. Et quoi qu'il arrive, faites confiance, Dieu pourvoira, c'est-à-dire qu'il vous permettra toujours de vivre et de trouver du sens à votre vie.
N'ayez pas peur !.. (Jean 6:20) Cette injonction se trouve, paraît-il, 365 fois dans la Bible, une fois par jour de l'année. Et c'est un bon conseil, ne pas vivre dans la crainte, mais dans la confiance, libérés de toute peur. Il faut avoir conscience des difficultés, mais pas peur. La peur ne fait faire que des bêtises, elle paralyse, fait perdre confiance en soi, fait fuir, ou donne le vertige qui fait précisément tomber dans ce qu'on craignait. La peur, c'est une anticipation négative. Pour avancer, il faut avoir le regard porté au delà de l'obstacle, et y aller avec confiance, il faut « y croire ». C'est ça la foi : penser : « J'y arriverai... je ne sais pas encore très bien comment, mais je sais que quoi qu'il arrive, En christ, je suis plus que vainqueur ». Partir gagnant, et gagner, et c'est possible, parce que j'ai avec moi Dieu qui a vaincu le monde.
Et même au delà de la peur à vaincre, il faut aller plus loin encore et oser sortir vivre avec audace, sans être dans les petits calculs ou se poser trop de questions. Il faut être audacieux et courageux. C'est ainsi que l'Aveugle de Jéricho dans l'Evangile de Marc retrouvera l'autonomie : en abandonnant son manteau qui était sa seule richesse et sa protection. Il quitte tout pour se lever tout nu à la suite du Christ.
Kierkegaard dira que la foi est « un saut qualitatif » dans l'irrationnel. Ce n'est pas faux. La foi, c'est accepter de se lancer dans une sorte de folie, de déraison, non pas de faire n'importe quoi, mais quelque chose qui n'est pas dans la logique petit-bourgeoise de l'économie, du principe de précaution, du risque zéro, mais dans l'audace d'un projet généreux, de sauter pour aller vers l'autre. Comme l'a dit le Rabbin Haïm Korsia, mon collègue à l'Ecole Polytechnique, « Si Moïse avait appliqué le principe de précaution, il n'aurait pas traversé la Mer Rouge ! »
Le Chrétien est comme un parachutiste qui quitte la sécurité provisoire de son avion pour aller dans le vide vers sa mission. Ce n'est pas naturel... mais exaltant, et permet de réaliser de grandes choses.
On rencontre ce genre d'attitude ponctuellement dans la vie de beaucoup, et on peut se réjouir que ce soit célébré dans les églises comme des événements sacrés : il s'agit du mariage et de la naissance d'un enfant. Le mariage est un saut incroyable dans l'inconnu, cela peut donner grandes joies, aussi de grandes difficultés, mais c'est bien, et refuser volontairement ce risque serait se condamner soi même. Et c'est de même pour le fait d'avoir un enfant que l'on marque par le baptême. C'est un saut incroyable, absurde, un mauvais calcul au yeux de la raison humaine, cela condamne son compte en banque, sa santé, son sommeil, son temps libre, même son couple parfois, et sa réussite professionnelle, cela peut donner le plus grand des bonheurs et les plus grandes peines... mais c'est merveilleux et c'est la vie.
Il en est de même chaque fois que l'on va vers l'autre, c'est prendre un risque, et aussi chaque fois qu'on donne sa confiance, son amitié, son temps, ou quoi que ce soit de matériel. Jette ton pain, donne tes trésors, donne toi toi-même, sans avoir peur de quoi que ce soit sans te poser trop de questions, ni même de savoir ce que les autres en feront.
C'est en effet aussi là un danger qu'il faut éviter : vouloir avoir une vision utilitariste du don, ou avoir des considérations d'efficacité. Il ne faut pas calculer si ce que l'on fait pour l'autre sera utile ou non, si cela réussira ou non, sinon on ne ferait jamais rien. L'Ecclésiaste le dit bien : Celui qui regarde le ciel ne sèmera jamais...Le bon sens populaire dit la même chose dans ce célèbre dicton de marin breton : « Qui trop écoute la météo passe sa vie au bistrot »
Il faut faire ce que l'on a à faire sans se demander si cela servira à quelque chose, si cela rapportera quelque chose. Mais faire les choses par conviction, par idéal, pas par calcul, ni que cela rapporte à soi-même, ni même que ce soit efficace, sinon, on ne ferait jamais rien.
Déjà, Dieu agit comme ça pour nous. C'est ce que nous apprend la parabole du Semeur : Dieu sème partout, même sur les endroits pierreux, sans réserver sa semence de grâce pour la bonne terre. Il donne son amour à tous, même aux ingrats, il ne calcule pas, ne retient pas sa main. Et même, Christ est mort pour tous, il n'a pas calculé non plus, il a offert et c'est tout. Dieu a accepté le risque, ce n'est pas une négligence, mais un choix.
Nous devons faire ce que nous avons à faire, parce que nous pensons que c'est ça qu'il faut faire, et puis c'est tout. C'est ça la grâce : agir gratuitement, pour donner, pour rien, sans rien attendre, et c'est la plus belle des choses.
Nous voyons cela aussi dans l'épisode de la Multiplication des pains. Devant la foule qui a faim, Jésus dit à ses disciples : donnez leur vous mêmes à manger. Les disciples répondent : Mais Seigneur, nous n'avons que 5 pains et deux poissons. C'est-à-dire pas grand chose pour 5000 hommes. Et bien, faites le quand même ! Et ils le font, a priori, ça ne sert à rien, mais il le font... et miracle, cela fera infiniment au delà de ce qu'ils pouvaient penser, et finalement nourrit tout le monde.
Selon la célèbre devise de Guillaume d'Orange : « Point n'est besoin d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer », et autrement dit : « ceux qui ne croient pas en l'impossible sont priés de ne pas décourager ceux qui sont en train de le faire ».
En bref, il ne faut pas calculer, et aussi ne pas avoir peur. La peur, c'est la peur de l'avenir, il n'y a pas à avoir peur de l'avenir. L'avenir on le construit, on le modèle, on s'adapte, ceux qui ont peur ne font rien, il faut se lancer. Et puis il n'y a pas à avoir peur de mal faire, de se tromper, que ce soit inefficace ou autre, il faut simplement avoir confiance.
Là est le mot essentiel : « confiance ». C'est ça la foi. Il n'y a pas besoin d'attendre ceci ou cela... mais il faut avoir confiance, c'est ce que recouvre l'espérance et la foi.
C'est la foi qui donne du sens à ce que l'on fait, le faire, en lui même n'a de sens que par la foi qui l'anime.
Vous pouvez aussi aller lire la très belle réflexion du pasteur Houziaux sur le même verset:
http://www.eretoile.org/elements/reflexions/reflex0807AH.html
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Ecclesiaste 11:1-6
Jette ton pain à la surface des eaux, car avec le temps tu le retrouveras ; donne une part à sept et même à huit, car tu ne sais pas quel malheur peut arriver sur la terre.
Quand les nuages sont gonflés de pluie, ils la déversent sur la terre ; et si un arbre tombe, vers le sud ou vers le nord, c'est à la place où l'arbre tombera, qu'il restera.
Qui observe le vent ne sèmera point, qui fixe les regards sur les nuages ne moissonnera pas.
Comme tu ne connais point le mouvement du vent, ni de l'embryon dans le ventre de la femme enceinte, tu ne connais pas non plus l'œuvre de Dieu qui fait tout.
Dès le matin sème ta semence, et le soir ne laisse pas reposer ta main ; car tu ne sais point ce qui réussira, ceci ou cela, ou si l'un et l'autre sont également bons.
Marc 10:17-31
Comme Jésus se mettait en chemin, un homme accourut et, se jetant à genoux devant lui, il lui demanda : Bon Maître, que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ? Jésus lui dit: Pourquoi m'appelles-tu bon ? Personne n'est bon, si ce n'est Dieu seul. Tu connais les commandements : Ne commets pas de meurtre ; ne commets pas d'adultère ; ne commets pas de vol ; ne dis pas de faux témoignage ; ne fais de tort à personne ; honore ton père et ta mère. Il lui répondit : Maître, j'ai gardé tout cela dès ma jeunesse. Jésus l'ayant regardé l'aima ; puis il lui dit : Il te manque une chose ; va, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel. Puis viens et suis-moi....
Pierre se mit à lui dire : Voici que nous avons tout quitté et que nous t'avons suivi. Jésus répondit : En vérité, je vous le dis, il n'est personne qui ait quitté, à cause de moi et de l'Évangile, maison, frères, sœurs, mère, père, enfants ou terres, et qui ne reçoive au centuple, présentement dans ce temps-ci, des maisons, des frères, des sœurs, des mères, des enfants et des terres, avec des persécutions et, dans le siècle à venir, la vie éternelle.
Marc 6:34-43
Quand il sortit de la barque, Jésus vit une grande foule et en eut compassion, parce qu'ils étaient comme des brebis qui n'ont pas de berger ; et il se mit à les enseigner longuement.
Comme l'heure était déjà avancée, ses disciples s'approchèrent de lui et dirent : Ce lieu est désert et l'heure est déjà avancée ; renvoie-les, afin qu'ils aillent dans les campagnes et dans les villages des environs pour s'acheter de quoi manger. Jésus leur répondit : Donnez-leur vous-mêmes à manger. Mais ils lui dirent : Irons-nous acheter des pains pour deux cents deniers et leur donnerons-nous à manger ? Et il leur répondit : Combien avez-vous de pains ? Allez voir. Ils s'en informèrent et répondirent : Cinq, et deux poissons. Alors il leur commanda de les faire tous asseoir en groupes sur l'herbe verte, et ils s'assirent par rangées de cent et de cinquante. Il prit les cinq pains et les deux poissons, leva les yeux vers le ciel et dit la bénédiction. Puis il rompit les pains et les donna aux disciples, pour les distribuer à la foule. Il partagea aussi les deux poissons entre tous.
Tous mangèrent et furent rassasiés,3et l'on emporta douze paniers pleins de morceaux de pain et de poissons.