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Comment aimer Dieu et son prochain
Prédication prononcée le 3 novembre 2024, au temple de l'Étoile à Paris,
par le pasteur Louis Pernot
Notre religion chrétienne est fondée sur cette double parole qu'on appelle le sommaire de la loi : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée, et tu aimeras ton prochain comme toi-même. » (Luc 10:25-28, Marc 12:28-34). Cela est dit de différentes manières dans nos évangiles et nous rappelle que l’essentiel de notre foi, ce sur quoi toute notre religion est construite, c’est : l'amour. On aime bien ça, l'amour c'est très agréable et tout le monde est pour. Mais néanmoins, ce double commandement pose un certain nombre de questions : d'abord, qu’entend-on par « aimer », ensuite qui est ce prochain que je dois aimer comme moi-même, et enfin comment je dois aimer. Et puis encore, est-ce que vraiment évident que l'on puisse utiliser le même mot pour aimer son prochain et pour aimer Dieu. N’y a-t-il pas là deux amours de nature différente ? Ou pourrait-on donc aimer Dieu comme on aime son ennemi ? On le voit, tout cela est loin d’être évident. Il faut donc repenser un peu tout cela.
Que veut dire « aimer » dans la Bible ?
La première chose à faire est de chercher ce que signifie le mot « aimer » dans la Bible. Et c’est loin d’être clair ou univoque. « Aimer » en hébreu se dit « ahav » et ce verbe est utilisé pour désigner beaucoup de choses différentes. Il peut signifier l'amour humain comme le fait d'aimer quelque chose, il peut exprimer l'affection que l’on ressent, voire même l'attirance sexuelle pour quelqu'un d'autre. Et donc c'est assez flou. Le terme est néanmoins certainement moins sentimental qu’il ne peut l’être dans notre français courant. Pour désigner l’amour affectif, l’hébreu a un autre verbe : « racham » qui est l’amour des entrailles, le mot vient de « rehem » désignant le ventre maternel, c’est l’amour profond de la mère pour l’enfant qu’elle porte.
Dans la langue du Nouveau Testament, dans la prédication de Jésus, l’amour est tout sauf un sentiment. C’est une démarche volontaire. La preuve, c’est ce commandement d’aimer son ennemi (Matt. 5:44). Or la sympathie ne se commande pas. On ne peut pas se forcer avoir de la sympathie ou de l’affection pour quelqu’un que l’on n’aime pas. Et quand il nous commande d’aimer Dieu, c'est pareil, on ne peut pas se forcer à avoir la foi. Celui qui est totalement indifférent à la chose spirituelle, comment pourrait-on lui dire « d'aimer Dieu » ? L’amour du Nouveau Testament n’est pas un sentiment, mais plutôt une attitude relationnelle, c’est la préoccupation de l'autre, le souci de l'autre, c'est essayer de le comprendre, se mettre à sa place, s'approcher, s'ouvrir lui. En fait c’est tout une démarche qui consiste à vouloir du bien à l'autre, enlever les obstacles entre soi et lui, être capable de donner et de recevoir, et finalement avoir une sorte d'attention à l'autre comme une personne précieuse.
Cela je peux faire même pour mon ennemi. C'est une démarche volontaire.
Qui est le prochain à aimer ?
Mais alors vient la deuxième question, qui dois-je ainsi aimer ? Si je dois aimer mon prochain, qui est mon prochain ? La question est posée dans l'évangile de Luc et Jésus répond par la parabole du bon Samaritain, où il bouleverse la version des pharisiens sur la question. Pour eux, le prochain à aimer, c’était, comme on dirait aujourd’hui, mon proche, celui de ma famille, de ma religion, de ma tribu. L'étranger, ce n’est pas un prochain, c'est un lointain. Dans la parabole du bon Samaritain, Jésus modifie cette vision des choses en montrant que pour celui qui est blessé, le Samaritain, considéré comme un ennemi héréditaire, celui-ci qui vient l'aider, peut devenir son prochain. Le prochain, pour Jésus n’est donc plus celui dont je suis génétiquement ou organiquement proche, mais c'est celui qui vient vers moi, celui qui s'approche de moi. Celui-là, je dois le considérer comme mon prochain et l’aimer comme mon frère.
C'est absolument révolutionnaire et ça change complétement l'ordre des choses. Cela va en particulier à l’encontre de ce que disait il y a quelque temps un homme politique, qui pour essayer de justifier une forme de xénophobie, disait, qu’évidemment, comme tout le monde, j'aime mon frère plus que mon cousin, mon cousin plus que mon voisin, mon voisin plus que mon compatriote et mon compatriote plus que l'étranger. Cela semble de bon sens, mais c’est faux, Jésus bouleverse cette hiérarchie de l’amour en disant ce n'est pas une question de sang, mais l'étranger qui est venu vers moi et qui s'est rendu proche, peut d'une certaine manière être plus mon prochain que mon cousin avec qui je n'ai aucune interaction ou que mon compatriote qui se fiche de moi.
Mais il semble que Jésus aille plus loin encore, parce qu’il dit aussi « aimez vos ennemis ». Or mon ennemi ne s’est pas rendu proche en venant m’aider comme le bon Samaritain. Il faut donc encore élargir la notion de prochain en disant que le prochain que je dois aimer ce n'est pas seulement celui qui est venu vers moi pour m'apporter quelque chose, mais ça peut-être aussi mon ennemi, c’est donc celui qui se trouve proche de moi, celui qui a interagit avec moi en bien ou en mal, celui qui s'est trouvé sur mon chemin.
Mais donc ce prochain à aimer, dans l’Evangile, ce n’est tout de même pas tout le monde. Et il est important de le dire, parce qu'à force de prétendre vouloir aimer tout le monde, on n'aime plus personne, et à rendre le commandement d’amour universel, on le rend totalement inefficient. Certes, il faut être solidaire avec ceux qui sont en difficulté, même à l’autre bout de la Terre, mais ce n’est pas directement l'amour. L'amour, c'est beaucoup plus fort que ça, plus engageant.
Ainsi, le prochain, c'est celui qui est sur ma route, celui qui se trouve être proche, celui qui interagit avec moi, que ce soit positivement ou négativement.. Et celui-là, Jésus nous commande de l’aimer ! Mais comment ?
Comment aimer son prochain ?
La clé se trouve dans le commandement lui-même qui précise qu’il faut aimer son prochain « comme soi-même ». Naturellement on aurait tendance à le comprendre comme disant d’aimer, comme on s’aime soi-même. Mais c’est une fausse piste. D’abord, je ne suis pas sûr de bien m’aimer moi-même. Et est-ce que celui qui se déteste lui-même aurait le droit de haïr et de violenter tous ceux autour de lui sous prétexte qu'il ne s'aime pas lui-même ? Non, bien-sûr. Il ne s'agit pas d'aimer son prochain autant que soi-même, c’est autre chose.
Aimer son prochain comme un autre « moi-même »
On peut d’abord le comprendre en ce qu’il s’agit d’aimer son prochain comme un autre soi-même. Dans la relation, il y a moi et il y a l'autre, et il faut comprendre et accepter que l’autre est aussi un sujet, qu’il a le droit aussi de dire « je » et « moi ». Ce n’est pas si simple, parce que la tendance naturelle, c'est de voir l'autre comme un objet, soit un objet de haine, soit un objet d'amour.
Même dans l’entraide, quand on rencontre un sans domicile fixe dans la rue et qu'on lui jette une pièce, ce SDF n’est pas sujet, il est objet de notre bonne action. Quand on envoie un don à Médecins du Monde, c’est bien... mais il n’y a pas de destinataire personnel, c’est une bonne action, mais pas, en soi, de l’amour d’un prochain. L’amour du prochain, c’est d’accueillir l’autre comme une personne dans son altérité.
C’est là d’ailleurs le danger du mot « amour » en français qui est un faux ami. Quand, dans les mariages, les jeunes mariés choisissent de lire le chapitre de I Corinthiens 13 sur l’amour, ils pensent que cela parle d’eux parce qu’ils sont amoureux. Mais l’amour adolescent n’est qu’une projection sur l’autre de son propre désir. L’autre ne compte que pour sa propre satisfaction. Ce dont parle Paul est autre chose, et pour un couple, il y a tout un travail depuis l'amour qui permet la rencontre, jusqu'à construire un autre type d'amour qui est non pas de profiter de l'autre pour se faire plaisir, mais de se dire « l'autre je l'accueille comme il est, je le reçois comme une personne, cette personne n'est pas moi, et n'est même pas semblable à la projection de mon propre désir, mais je l'accueille comme un autre moi-même, vis-à-vis de moi-même ».
Aimer son prochain comme soi-même, c’est accueillir un autre sujet hors de soi-même, sujet qui peut dire aussi « moi-même ». C’est recevoir un « je » qui n’est pas moi, c’est donc accueillir une personne en tant que personne autonome, la respecter, essayer de la comprendre, et de se mettre à sa place. Et, bien sûr, l’amour étant une chose positive, c’est s’ouvrir à l’autre pour lui vouloir du bien.
Ainsi même, quand on dit qu'il faut aimer son ennemi, cela ne veut dire de le trouver sympathique, mais d’essayer de le comprendre, de voir son point de vue et de chercher à réagir plus pour son bien que par rapport à soi-même.
Aimer son prochain et aussi soi-même
Une autre solution pour rendre compte de ce « tu aimeras ton prochain comme toi-même », est d’y voir un double commandement, il faut aimer son prochain et aussi s’aimer soi-même. Cela est justifié, de la même manière que dans la demande du Notre Père : « pardonne-nous nous offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés », l’idée est que les deux sont indissociables, pour pardonner, il faut se savoir pardonné, et on ne peut penser être pardonné sans vouloir à son tour pardonner. Le pardon est une logique qui ne peut être à sens unique, et pour l’adopter, nous avons besoin de l’aide de Dieu. De même, on ne peut dissocier le fait d'aimer son prochain et de s'aimer soi-même.
Cela est tout à fait vrai, celui qui se déteste lui-même, aura toujours du mal à aimer les autres, il ne pourra qu’être triste, aigri et désagréable avec tout le monde. Pour être bien avec les autres, il faut déjà être bien avec soi-même. Il faut être quelqu'un d'heureux peut rendre heureux, et pour aimer, il faut savoir ce que c’est que l’amour. Il y a donc un double travail, et pour aimer, il faut d’abord accepter de s'aimer soi-même. Quand on se sent aimé, quand on se sait pardonné, qu'on est joyeux, libéré, on a une disponibilité totale pour aimer et pour donner de la joie et pour pardonner.
Qu’il faille se savoir aimé pour pouvoir aimer est un des fondements même de notre pratique chrétienne. C’est pour cela que le geste fondateur de notre religion est le baptême, signe de la grâce et de l’amour inconditionnel de Dieu. Nous le disons sur nos enfants, même tout petits pour exprimer que la plus belle chose possible de la vie est de la construire sur l’amour, sur le fait que chacun est aimé inconditionnellement. Si je suis aimé, alors je peux être en confort avec moi-même, j’ai le droit d’exister, je me sens libre, heureux et reconnaissant, alors je peux aimer.
L’amour est une logique d’existence à laquelle l’Evangile nous appelle : s’accepter soi-même, accepter le monde, accepter l’autre, accueillir toute la vie qui est en nous et autour de nous, être dans cette logique positive et constructive est simplement dire « oui » à la vie et l’on peut construire toute sa vie sur le fait qu'on est aimé et que l'on aime.
Aimer Dieu ou aimer son prochain, on a le choix
Tout cela on peut le comprendre, mais alors quel est le lien entre cet amour du prochain et l’autre commandement qui est d'aimer Dieu, de tout son cœur, de toute sa pensée et de toute sa force. Le fait de lier ces deux commandements, de l'amour du prochain et de l'amour de Dieu est une trouvaille du Christ. On sait en effet que chacun de ces deux commandements se trouve déjà dans l’Ancien Testament. Mais ils ne sont pas au même endroit : Aimer Dieu... c’est en Deutéronome 6 :5 et aimer son prochain, en Lévitique 19 :18. Ils sont donc dans deux livres différents. Le génie de Jésus a été de les rassembler pour les coller ensemble. Et d’après l’évangile de Matthieu, Jésus précise que ces deux commandements sont « semblables ».
Cette affirmation peut être entendue de différentes manières.
La première, c’est d’affirmer que les deux sont interchangeables. Aimer Dieu et aimer son prochain, c’est la même chose, et donc on a le choix. Cela peut vouloir dire que si vous n’avez pas la foi, si vous n’êtes pas religieux, si pour vous « aimer Dieu » ne veut rien dire, ce n’est pas grave vous pouvez prendre pour commandement d’aimer votre prochain et ce sera très bien.
Tout le monde, en effet, n’est pas mystique certains sont spirituels, d'autres ne le sont pas. Et, d’une certaine manière, on peut lire l'Évangile comme une sorte de traité humaniste, y trouver un programme d'humanité, de relation à l'autre, d'engagement dans la société. Cela dans le même sens que la conclusion des paroles de Jésus dans l’évangile de Matthieu, avec le texte dit du « jugement des nations » (Matt. 25). Sont présentés comme les élus ceux qui ne connaissaient même pas le Christ, mais qui ont aidé leur prochain : « J'étais nu, vous m'avez vêtu, j'avais faim, vous m'avez donné à manger et soif, vous m'avez donné à boire »... et ils disent : « mais nous ne te connaissons même pas », et jésus conclue en disant : « chaque fois que vous l’avez fait au plus petit de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ». Donc voilà, il semble dire que l’essentiel de l’Evangile, après tout, c’est simplement d’aimer son prochain.
Aimer Dieu pour aimer son bien aimer son prochain
Mais on peut aller plus loin quand même, et sans doute le faut-il, et penser qu’en fait, les deux commandements d’aimer Dieu et d’aimer son prochain sont juste inséparables.
D'abord, dans le fait qu’on ne peut pas prétendre aimer Dieu si l’on n'aime pas les hommes. On trouve cela explicitement dans la première épître de Jean. L’apôtre dit : « celui qui n'aime pas les hommes qu'il voit, comment aimerait-il Dieu qu’il ne voit pas ? » (I Jean 4:20). On peut douter de l’argument : il me semble en effet plus facile d’aimer un Dieu sur lequel je projette toute sorte de choses positives et qui est un Dieu qui m’aime, me pardonne et ne me fait que du bien, que d’aimer mon prochain qui est très imparfait et me contrarie sans cesse. Mais Jean conclue par « que celui qui aime Dieu aime aussi les hommes », oui, évidemment. Et cela a été une constante dans la prédication de Jésus que de lutter contre l'hypocrisie des pharisiens qui étaient plein de pratique, de sacrifices, de prières, de religiosité et qui n'avaient aucune attention pour les autres. Jésus dit en substance que non, la religion, ce n'est pas de faire des rites ou de se complaire dans une forme de religiosité, mais c’est avant tout de se préoccuper du prochain qui est là. Et nous devons sans cesse nous le rappeler : même notre Eglise ne doit jamais oublier que ce ne doit pas être les dogmes, la doctrine, la morale ou des principes qui doivent nous diriger, mais nous sommes là pour aimer, accompagner, accueillir, donner, faire grandir, recevoir, consoler et donner de l'espérance.
Ensuite, certainement que nos deux commandements se complètent.
D’abord en ce que l’amour de Dieu corrige le commandement d’aimer son prochain comme soi-même. En effet, nous avons dit que pour aimer son prochain, il fallait apprendre à s’aimer soi-même. Cela est juste. Mais il y a des limites, et cet amour de soi qui ne doit pas aller jusqu’à l’auto-adoration. Celui qui se met au centre de tout, qui se considérerait comme parfait, le narcissique est au moins aussi pénible et délétère dans le monde que celui qui se détesterait, se sentant minable et coupable. Et donc il y a un ajustement à faire, il faut s’aimer soi-même pour aimer son prochain, mais en même temps se rappeler que l'on n'est pas Dieu, que l'on n'est pas le centre du monde, ni la perfection incarnée.
Cette idée se trouvait d’ailleurs déjà dans le Lévitique où la conclusion de la parole de Dieu commandant « tu aimeras ton prochain comme toi-même »,est : « Je suis l’Eternel ». Donc oui, « tu aimeras ton prochain comme toi-même », mais n’oublie pas pour autant que c’est l’Eternel qui est Dieu, et pas toi ! C’est absolument essentiel.
Ensuite, on peut penser que ces deux commandements, d'aimer Dieu et son prochain, sont dans le fond indissociables pour d’autres raison, et en particulier parce qu’aimer Dieu peut aider à aimer les hommes. En effet, il faut bien dire que mon prochain n'est pas toujours aimable. Et en cela l’humanisme non spirituel a ses limites. Pourquoi en fait devrais-je aimer celui qui n’est pas aimable ? Pourquoi devrais-je aider celui qui ne fait rien et ne se prend pas en main, pourquoi donnerais-je à celui qui ne me donne rien en retour. Pourquoi même aimerais-je alors que cet amour que je donne semble si souvent inutile ou piétiné ? Et donc, si j'aime l'autre, c'est par une sorte de choix qui dépasse mon prochain, parce que je crois dans l'amour et qu’en fait j'aime l'amour plus que mon prochain. L'amour devient un principe directeur, c’est un choix, c’est ma foi ! « Dieu est amour » nous dit encore Jean dans sa première épître. Et donc pour moi croire en Dieu, c’est croire dans l’amour !
Et puis il faut dire que ma relation à Dieu me fait du bien, et m’aide à aimer. Dieu n’est pas qu’un principe idéologique, mais la foi, c'est aussi l’amour de Dieu, la prière, et ce sentiment dans lequel je me sens aimé, compris, accompagné par Dieu. Ainsi suis-je, dans ma foi, nourri d’amour. Si mon prochain ne me comprends pas, ne m’aime pas comme je voudrais, ce n’est pas si grave, parce que je n’attends pas nécessairement de lui qu’il me donne ceci ou cela. J’ai en Dieu tout ce qu’il me faut pour être heureux et comblé.
Aimer a-t-il le même sens pour Dieu que pour son prochain ?
On peut enfin se demander de quelle manière nous sommes invités à aimer Dieu. En effet, il n’est pas évident que l’on puisse utiliser le même mot pour parler de l'amour du prochain et de l'amour de Dieu. L'amour de Dieu est-il de même nature que l'amour du prochain ? Sans doute que si Jésus fait le choix de coller ensemble ces deux commandements hétérogènes, ce n’est pas un hasard, et cela doit nous inciter à essayer de comprendre l’un par rapport à l’autre.
Nous avions dit que pour le prochain, l’aimer consistait à s'ouvrir à lui, enlever les obstacles qu'il y a entre lui et nous, l'accueillir pour pouvoir donner et recevoir. On peut dire la même chose pour Dieu, aimer Dieu, c’est vouloir l’accueillir sans crainte et sans réserve, et par rapport à lui savoir recevoir et savoir donner. Aimer Dieu, c'est s'ouvrir à cette réalité qui nous dépasse, d'enlever les obstacles qu'il peut y avoir entre lui et nous, obstacles qui peuvent être d'incompréhension, de dogmes enfantins mal vécus, de critiques vis-à-vis de l'Église, de choses aberrantes que l'on s'efforcerait à croire. Et ainsi se construire une foi qui soit un lien avec Dieu sans réserve, sans crainte et sans difficulté.
Ensuite, il est question par rapport à lui de de savoir recevoir et de donner. D’abord recevoir de Dieu, c'est le fonds de la démarche spirituelle. Tout le monde n’est pas aussi doué pour cela, mais on peut y travailler et apprendre. Ensuite donner...voilà une bonne question pour celui qui veut aimer Dieu : « qu’est-ce que vous lui donnez ? ». Aimer Dieu, c’est aussi agir pour lui, œuvrer pour son œuvre, travailler à l’avancement du son règne, se faire son serviteur. L’amour sans geste d’amour n’est pas de l’amour.
Ensuite le commandement d’amour concernant Dieu donne la précision sur quatre manières de l’aimer. Il ne dit pas qu’il faudrait aimer Dieu comme soi-même, mais « de tout son cœur, de toute son âme, de toute sa force, et de toute sa pensée ».
Pour ce qui est du cœur, il faut savoir qu’il ne s’agit pas, dans la Bible, de l’organe du sentiment comme en français, mais le cœur, c’est le centre décisionnel de la vie. C’est pour moi le fondement de mon être à partir duquel viennent toutes mes décisions, mes convictions, mon action, ma façon d'être. Et donc, aimer Dieu de tout son cœur, c’est mettre Dieu dans le centre décisionnel de sa vie, au fondement de son être. Et ça c'est plus un choix qu'un sentiment : je choisis de mettre Dieu et ce en quoi je crois au centre de tout ce qui m'anime, de ce que je fais, de mes choix, de mes directions, de mes options, de mes décisions.
L’âme, dans la Bible, c’est le principe vital. Tout ce qui vit a une âme, les animaux ont une âme pour la Bible, l’homme a une âme éternelle, et un corps sans âme n’est que de la matière inerte. L’âme est la source de la vie, et aimer Dieu de toute son âme, c’est chercher en Dieu la source de ce qui me fait vivre, la respiration, ce qui me maintient en vie. Cela aussi c’est un travail à faire, que ce soit dans la dimension mystique d’avoir une discipline spirituelle, ou dans une dimension plus active, de dire ce qui me maintient en vie, c'est d'aimer, tout simplement.
Et enfin, aimer Dieu de toute sa force, signifie que l'amour de Dieu n'est pas juste de recevoir de lui du pardon, de la décision, de la force de vie, mais aussi d’agir concrètement pour lui, d’utiliser ma force d’action pour lui. Oui, aimer Dieu, c’est aussi l’aimer dans l’action concrète, et faire le bien autant que l’on peut.
Et voilà que Jésus rajoute un quatrième point qui n’est pas explicitement dans le commandement du Deutéronome qui n’en a que trois, Jésus ajoute « de toute ta pensée », ou « de toute ton intelligence », comme le précise le scribe en Marc. Et cela est aussi essentiel. La foi ne dispense pas de réfléchir, et croire ne dispense pas d’être intelligent. La raison n’est pas un obstacle à la foi, au contraire, elle est le meilleur allié pour pouvoir aimer Dieu sans réserve.
Le triple amour
Et c’est ainsi que Jésus nous invite à un triple amour : aimer Dieu, son prochain, et aussi soi-même. C’est le trépied le plus stable sur lequel nous pouvons construire notre vie. Et il se décline dans ses trois dimensions vers Dieu, soi et les autres. Parfois on peut être plus dans une direction que dans l’autre, mais aucune ne doit être oubliée. Et le lien, le ciment entre Dieu, soi et les autres, c’est l’amour. L'amour est la chose la plus positive, la plus créatrice de notre existence.
Saint Augustin a dit cette parole bien connue en commentant cette épître de Jean : « Aime et fais ce que tu veux ». Il a évidemment raison, l’amour est le fondement de tout. Mais ce qui est remarquable, c’est que saint Augustin ne précise pas. Il ne dit pas aime Dieu, ou ton prochain, ou ton ennemi... non, mais simplement « aime » tout court. « Aime », c’est le sommaire du sommaire de la loi. Finalement, tout tient dans ce seul mot : « aime ». C'est cela l'essentiel. Aime comme tu es aimé, c'est-à-dire sans limite, et tu seras pour toi et pour les autres source de vie.
Louis Pernot
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Luc 10:25-28
25Et voici qu’un docteur de la loi se leva et lui dit, pour le mettre à l’épreuve : Maître, que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ? 26Jésus lui dit : Qu’est-il écrit dans la loi ? Qu’y lis-tu ? 27Il répondit : Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée ; et ton prochain comme toi-même. 28Tu as bien répondu, lui dit Jésus ; fais cela, et tu vivras
Marc 12:28-34
28Un des scribes, qui les avait entendus discuter et voyait que Jésus avait bien répondu, s’approcha et lui demanda : Quel est le premier de tous les commandements ? 29Jésus répondit : Voici le premier : Écoute Israël, le Seigneur, notre Dieu, le Seigneur est un, 30et tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force. 31Voici le second : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n’y a pas d’autre commandement plus grand que ceux-là. 32Le scribe lui dit : Bien, maître, tu as dit avec vérité que Dieu est unique et qu’il n’y en a pas d’autre que lui, 33et que l’aimer de tout son cœur, de toute son intelligence et de toute sa force, ainsi qu’aimer son prochain comme soi-même, c’est plus que tous les holocaustes et tous les sacrifices. 34Jésus, voyant qu’il avait répondu avec intelligence, lui dit : Tu n’es pas loin du royaume de Dieu. Et personne n’osa plus lui poser de questions.
I Jean 4:17-21
17Voici comment l’amour est parfait en nous, afin que nous ayons de l’assurance au jour du jugement : tel il est lui, tels nous sommes aussi dans ce monde. 18Il n’y a pas de crainte dans l’amour, mais l’amour parfait bannit la crainte, car la crainte implique un châtiment, et celui qui craint n’est point parfait dans l’amour. 19Pour nous, nous aimons, parce que lui nous a aimés le premier.
20Si quelqu’un dit : J’aime Dieu, et qu’il haïsse son frère, c’est un menteur, car celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, ne peut aimer Dieu qu’il ne voit pas. 21Et nous avons de lui ce commandement : Que celui qui aime Dieu aime aussi son frère.