Le Magnificat
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Prédication prononcée le 18 décembre 2016, au Temple de l'Étoile à Paris,
par le pasteur Louis Pernot
Ce que l’on appelle « Magnificat » est la prière de louange que Marie, d’après Luc, prononça chez Elisabeth peu après qu’il lui ait été annoncé que l’Esprit de Dieu viendrait sur elle, et qu’elle serait à l’origine d’une fécondité extraordinaire, surnaturelle et donc spirituelle. Marie accepte cette grâce en disant : « Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole ». (1:38)
Marie prononcera ensuite une superbe prière exprimant sa joie et sa confiance en Dieu. Cette prière est un peu austère, et il est difficile aujourd’hui de se l’approprier, pourtant on y retrouve presque tous les thèmes essentiels de l’Evangile : la miséricorde, le salut, le bonheur et la joie, l’action de grâce, le renversement des valeurs, et l’humilité, et puis aussi un Dieu grand, mais qui s’abaisse par amour pour sa création. Certes, cette prière est belle, et l’on peut se réjouir que Marie ait eu cette grâce et qu’elle en ait été heureuse, mais cela a pour nous plus de sens, parce que Marie peut être considérée comme l’exemple du croyant. Et en effet, l’aventure de Marie n’est pas une chose passée, mais un événement que nous sommes tous invités à vivre : accepter la grâce de Dieu, accepter qu’il fasse sa demeure en nous, accepter qu’il féconde notre vie pour que notre existence physique donne naissance à une dimension d’amour, de pardon, de paix, d’esprit et d’éternité. Ce Magnificat n’est donc pas seulement celui de Marie, il peut être le nôtre. Il est un exemple de louange.
La première chose remarquable concernant cette prière, concerne la forme : elle est, en fait, un patchwork de citations de l’Ancien Testament. Certainement est-ce là un enseignement : Marie prie finalement assez peu avec ses propres mots, mais les empruntes aux textes de cette Bible qu’elle connaissait bien. Nous de même, quand nous ne savons pas comment prier, les textes mêmes de la Bible peuvent nous y aider. La Bible est un réservoir de versets, de passages, de phrases que nous pouvons faire nôtres à certaines circonstances. Et ainsi, plus on lit la Bible, plus on la connaît, et plus notre prière peut être nourrie et forte. Et ces passages que Marie cite, elle ne les a pas cherchés au moment même avec une concordance, ces passages sont venus spontanément dans sa tête parce qu’elle les connaissait. La Bible est le carburant de notre prière, elle nous donne les briques avec lesquelles nous pouvons construire notre foi, lui donner corps et c’est un point essentiel.
Mais par ailleurs, pour en arriver à cette joie profonde de Marie, encore faut-il avoir été en mesure de rencontrer Dieu, de l’avoir accepté en soi, et d’avoir voulu le servir. Et l’on peut se demander ce qu’il y avait de particulier en Marie, dans sa pensée, sa théologie, sa psychologie qui a fait qu’elle ait pu jouer ce rôle extraordinaire. Et sur ce point encore, on peut croire que le Magnificat peut nous aider. En effet, Marie n’a certainement pas tout découvert ce qu’elle dit dans sa prière après l’Annonciation. Le Magnificat est fondamentalement révélateur de l’état d’esprit de Marie et de sa théologie. Marie ne dit là que ce qu’elle a toujours pensé, et qui lui a permis précisément de rencontrer et d’accueillir Dieu en elle. C’est pour cela que le Magnificat est essentiel, parce qu’il n’est pas qu’une prière, mais est en fait une confession de foi. Il dit la foi positive qui permet de s’ouvrir à la fécondité spirituelle avec Dieu.
Ainsi peut-on reprendre tout le texte dans ce sens, et essayer d’y voir l’enjeu théologique, la juste compréhension de Dieu et de soi qui permet d’avancer vers la Vie et la joie éternelle.
Le premier point important se trouve dans ce mot latin qui a donné son nom à la prière : « Magnificat » : « Mon âme magnifie le Seigneur ». C’est le point de départ fondamental : donner à Dieu une place suffisamment élevée dans sa vie, que Dieu ne soit pas un accessoire, une sorte d’option, mais la chose la plus haute la plus essentielle de notre vie. Cela ne veut pas dire que l’on doive y penser toujours à tout moment, mais qu’il soit le cœur, le centre organisateur et régulateur de toute notre existence. Donner à Dieu cette place centrale, c’est lui donner l’importance qui lui permettra d’agir en nous. Dieu peut faire de grandes choses en nous si nous lui laissons une grande place dans nos vies. S’il n’est qu’un accessoire, son action ne sera elle aussi qu’accessoire. C’est pourquoi nous demandons de même chaque jour à dieu : « que ton nom soit sanctifié » : rendre saint le nom de Dieu, c’est donner une place exceptionnelle à ce que Dieu représente pour nous. Si ce n’est pas le cas, notre Dieu ne peut pas être actif dans notre vie, s’il n’y a pas de différence de potentiel entre lui et nous, il ne peut rien nous donner et n’être source d’aucune transformation ou révolution dans notre vie.
Et pourtant, Marie n’en reste pas là. Sa conception de Dieu n’est pas pour autant celle d’un Dieu lointain et tout-puissant comme un monarque autosuffisant, un juge terrifiant ou étranger, mais celle d’un Dieu élevé qui baisse ses yeux vers sa créature, un Dieu qui s’intéresse à nous, qui peut et veut nous sauver, qui nous prend en considération, qui nous appelle à le servir, à l’aider : « Dieu mon sauveur qui a jeté les yeux sur la bassesse de sa servante ». Il est essentiel avant toute chose d’avoir ainsi une conception de Dieu équilibrée, ni trop lointain, ni trop copain : un Dieu fort grand et puissant, et pourtant proche et aimant : il est « le puissant », mais « sa miséricorde s’étend d’âge en âge », et la miséricorde, c’est la tendresse, l’amour de ce Dieu justement, tout en étant fort et différent de nous s’approche pour venir à nous et nous aider.
Parallèlement à cette juste conception de Dieu, Marie a aussi une juste vision du rôle de l’homme. Elle se considère comme servante. On peut le lire comme une sorte d’humilité : Dieu peut faire de grandes choses pour l’homme tant que celui-ci ne se prend pas lui-même pour Dieu. L’humain doit laisser de la place pour cet autre que Dieu s’il veut que Dieu puisse faire quelque chose en lui, et pour ça ne pas se croire lui-même devoir être tout, tout maîtriser et tout faire. Mais cela ne veut pas dire que l’homme soit rien par rapport à Dieu, s’il est «serviteur», c’est qu’il a un rôle à jouer pour Dieu. Il n’y a pas de passivité dans l’attitude de Marie. Le serviteur n’attend pas que le maître fasse tout pour lui et à sa place, c’est lui au contraire qui agit. Dieu est celui qui conseille, qui ordonne, qui a un certain plan pour le monde et l’humanité et l’homme est celui qui met en œuvre. C’est ce qu’a montre le philosophe Hegel dans sa célèbre dialectique du maître et de l’esclave : l’esclave est loin d’être rien, au contraire il est d’un certain sens plus que le maître puisque le serviteur peut très bien se passer de son maître, alors que le maître ne peut pas se dispenser de son serviteur, il en a besoin. Dire que l’homme est serviteur de Dieu, c’est dire qu’il n’est pas rien mais au contraire bon à quelque chose, qu’il peut être utile et que son action dans le monde est essentielle pour un Dieu qui a besoin de lui. La meilleure chose que nous puissions faire de notre vie est de la mettre au service d’un idéal, d’une réalité qui nous dépasse et qui est plus importante que nous. Notre vie peut servir ce monde, elle peut servir la paix, la joie, le partage, la vie dans ce monde, pour un monde meilleur, même si c’est très humblement et à notre échelle.
Marie comprend par ailleurs que le bonheur ultime et la plus grande des grâces, c’est d’enfanter le Messie. Et cela encore n’est pas réservé à Marie. Tous nous pouvons donner naissance dans nos vies à quelque chose de christique. Les juifs attendaient le Messie qui viendrait leur donner la paix, la plénitude de la présence de Dieu, la liberté et la joie. Chaque fois que nous enfantons dans nos vies des parcelles de choses de ce type, c’est le Christ que nous enfantons et que nous faisons venir sur Terre. Et c’est ça le seul et le vrai bonheur, c’est ça le sens de toute vie.
Et Mariea compris en fin cque les Réformateurs ont redécouvert mille cinq cents ans plus tard, c’est que , en fin de compte, tout cela n’est possible que parce que « sa miséricorde s’étend d’âge en âge », c’est-à-dire que son amour est premier. C’est parce que nous sommes aimés de Dieu, que nous pouvons puiser dans cette force que nous donne le fait d’être aimé et accepté que nous pouvons agir pour lui, et à notre tour aimer et pardonner. Ainsi nous ne faisons pas de bonnes œuvres pour être sauvés, mais c’est parce que nous sommes sauvés par grâce que nous pouvons faire de bonnes œuvres en reconnaissance pour ce salut qui nous est offert. « Pour nous, nous aimons parce qu’il nous a aimé en premier ». (1 Jean 4:19)
Les exemples que donne Marie de l’action de Dieu dans le monde sont très curieux : « il fait descendre les puissants de leur trône, il élève les humbles, il rassasie de bien les affamés et renvoit les riches à vide ». Il ne faudrait évidemment pas croire que Dieu s’occuperait de détrôner les tyrans politiques, ou de donner de l’argent aux pauvres ou « sans domiciles fixe », mais plutôt qu’il est le Dieu des renversements, des bouleversements. D’abord parce qu’en Dieu les valeurs humaines sont parfois inversées, le plus grand n’est pas forcément le plus puissant d’un point de vue terrestre, et le plus pauvre en argent peut être le plus riche dans un autre domaine. Et puis avec Dieu, tout est possible, il n’y a pas de déterminisme, pas de fatalité, pas de situation désespérée, tout peut changer, du nouveau peut à tout moment survenir, la vie peut changer c’est pourquoi il faut toujours espérer. En général, nous avons plutôt peur des changements, mais en fait, il ne faut pas les redouter, la vie n’est que cela. Et la créativité de la vie vient du fait que le même ne fait pas que se répéter. Certes, il peut y avoir de mauvais bouleversements, mais ce n’est pas si grave que cela, puisque Dieu, lui demeure éternellement, il est le point fixe de toute vie ce qui reste inébranlable. Et les bons changements sont des aubaines. Il faut être à l’affût, disponibles, prêts à partir dans une autre direction accepter de naître à une vie nouvelle, au moins partiellement. La disponibilité de Marie est certainement aussi une de ses grandes qualités. A quatorze ou quinze ans, elle n’était pas du tout prête à accueillir un enfant qui changerait sa vie, et pourtant, après quelque hésitation, elle dit « oui », « qu’il soit fait selon ta parole ». Elle accepte ce bouleversement pour le faire sien. Ce sont de ces événements inattendus de notre vie que peuvent survenir les plus grandes choses, pour peu que nous sachions les accepter, il faut que nous sachions voir ces chances, changer nos projets, nous adapter. La vie est en cela. Et Dieu est une puissance de renversement positive dans notre vie qui peut, pourvu que nous sachions l’écouter et le suivre nous mener aux choses les plus extraordinaires.
Et Marie conclue enfin en mentionnant les promesses faites à Abraham et à ses pères. Cela non plus n’est pas anodin. Parce que nous voyons que Marie reprend à son compte toute l’attente du peuple d’Israël. D’une part, comme nous l’avons vu, elle ne tire pas sa foi de rien, elle continue la foi de ses parents, de ses ancêtres, et c’est cette foi qui jusqu’à lors ne lui avait peut être pas apporté grand chose qui tout à coup va changer sa vie. Il faut bien avoir un enracinement, et la religion de nos pères, celle de notre catéchisme, même si à un moment donné elle semble inactive, peut être, si elle est entretenue, le foyer de grâces exceptionnelles. C’est cette religion plus ou moins héritée qui peut à un moment donné être le nid d’où éclot notre propre foi active et vivante… Il faut pour cela que le nid existe… et que nous sachions nous l’approprier à notre manière. Ainsi les catéchumènes qui acceptent de confirmer au temple parce que cela fait plaisir à leurs parents ne font pas mal, ils s’inscrivent dans une continuité. Même si à ce moment cette foi ne leur sert pas à grand chose, il est bon qu’elle soit là quelque part dans un coin de leur vie, prête à être activée au moment où elle pourra leur être utile.
Ainsi Marie partageait avec le peuple juif d’alors l’idée d’une attente. Ce premier point est essentiel. Attendre, c’est désirer, c’est se rendre disponible, c’est être prêt à recevoir. Celui qui n’attend rien, qui n’a pas de désir d’autre chose, a peu de chance de recevoir, il ne voit même pas la possibilité de lumière qui lui est proposée.
Et puis Marie a sur réinterpréter cette foi juive traditionnelle, la faire sienne en l’adaptant à sa manière. Elle n’est pas vraiment sortie de la foi juive, mais l’a adpatée en interprétant autrement la possibilité que Dieu réalise ses promesses. Elle ne les attend plus pour un avenir lointain, mais elle les comprend comme devant être réalisées en elle et par elle dans sa propre vie ici et maintenant. Ainsi ces promesses des Béatitudes que son fils dira un peu plus tard : « heureux ceux qui pleurent car ils seront consolés, heureux ceux qui ont faim et soif (de justice) car ils seront rassasiés, heureux les pauvres (en esprit) car le Royaume des Cieux est à eux », ne sont pas des promesses pour l’au delà et pour d’autres, mais pour elle aujourd’hui et maintenant. C’est ça le bouleversement que la foi peut opérer en nous, quand nourris de la Parole Biblique, de la religion de nos Pères, nous attendons de Dieu en qui nous croyons et espérons de tout notre cœur, et que nous comprenons que c’est en nous, aujourd’hui que peut s’accomplir cette promesse messianique cette promesse de joie, de bonheur, de paix et de vie qui se trouve dans toute la Bible.
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Luc 1:46-55
46Et Marie dit :
Mon âme exalte le Seigneur
47Et mon esprit a de l’allégresse en Dieu, mon Sauveur,
48Parce qu’il a jeté les yeux sur la bassesse de sa servante.
Car voici : désormais toutes les générations me diront bienheureuse.
49Parce que le Puissant a fait pour moi de grandes choses.
Son nom est saint,
50Et sa miséricorde s’étend d’âge en âge
Sur ceux qui le craignent.
51Il a déployé la force de son bras ;
Il a dispersé ceux qui avaient dans le cœur des pensées orgueilleuses,
52Il a fait descendre les puissants de leurs trônes,
Élevé les humbles,
53Rassasié de biens les affamés,
Renvoyé à vide les riches.
54Il a secouru Israël, son serviteur,
Et s’est souvenu de sa miséricorde,
55– comme il l’avait dit à nos pères –,
envers Abraham et sa descendance pour toujours.