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La pêche miraculeuse
Prédication prononcée le 7 mai 2017, au Temple de l'Étoile à Paris,
par le pasteur Louis Pernot
Ce récit de la pêche miraculeuse est bien sympathique, il fait penser à une bonne partie de pêche de vacance sur la mer avec un barbecue sur la plage, et pourtant les choses sont plus compliquées que ça, car par delà la question oiseuse de savoir ce qu’il en est de la véracité ou non de ce miracle, se pose la question, pour nous aujourd’hui de savoir où est la bonne nouvelle, et en quoi cela nous concerne-t-il ? La lecture, littérale de ce texte est pour nous totalement stérile. Pense-t-on vraiment que celui qui croit dans le Christ pourra faire matériellement des pêches miraculeuses, croit-on vraiment qu’aujourd’hui les marins pêcheurs chrétiens fassent des pêches plus abondantes que ceux qui ne le sont pas, croit-on qu’il suffirait de prier pour pouvoir pêcher plus de poissons qu’un autre, certainement pas. Les choses sont d’un autre ordre, et il faut faire un petit travail de transposition.
On sait que dans la Bible, la mer représente le mal, l’épreuve, l’obscurité, la mort, et l’on voit ces disciples dans la nuit, la nuit du doute, de l’épreuve de la crainte, on voit ces disciples dans la nuit, menacés par cette mer profonde, avoir essayé dans tout ce mal de pêcher, de trouver des éléments de vie, des particules d’espérance et de joie. Car en effet ils le savent, et on nous le répète à loisir : dans toute épreuve on peut trouver du bien, dans toute épreuve on peut trouver quelque chose de positif. Et on nous dit dans les difficultés : « cherchez, vous verrez, vous pourrez en tirer quelque chose ». Or s’il est vrai que nous pouvons tirer des leçons de certaines épreuves, il y a parfois des moments, où comme les disciples, nous nous sentons face à un noir obscur, compact, menaçant, et nous pouvons chercher, gratter, et toute la nuit être en quête et jeter nos filets, et nous dire: « là, vraiment, je ne trouve rien, je ne trouve rien, pas une trace de vie, et dans cette épreuve, je ne trouve rien qui me fasse grandir, rien qui puisse être pour mon propre bénéfice », nous avons l’impression parfois d’être face à un mur compact, obscur, solide, inébranlable dont nous ne parvenons à rien tirer.
Et c’est ainsi que les disciples reviennent à la fin de la nuit, après avoir quêté requêté, cherché, scruté, ils reviennent tout tristes jusqu’au rivage. Le matin se lève, et là ils voient sur le bord du lac, ils voient : Jésus lui-même, ici présent devant eux. Pour l’instant, ce Jésus ne fait rien, on pourrait là encore imaginer que pour le croyant, Dieu fasse un miracle, que pour le croyant, Dieu lui offre à manger, mais non, il est là, il est là simplement là, et je crois que juste cette présence du Christ est déjà une bonne nouvelle en soi.
C’est une bonne nouvelle pour deux raisons. D’abord parce que les disciples eux-mêmes ne cherchaient pas le Christ, et pourtant, il va se trouver présent devant eux. Bien sûr, nous disons « qui cherche trouve », et certainement que celui qui a une quête spirituelle, trouvera-t-il en Dieu le soutien, le réconfort, l’espérance, la force dont il a besoin. Mais parfois, nous n’avons même pas la force de cette quête, parfois nous ne savons même pas chercher. Et bien, même celui qui ne sait pas chercher, le Christ ne l’abandonne pas, il est là, à ses côtés. Et quand nous nous demandons : « que fait- Dieu pour moi ?» quand quelqu’un dit: « dans ce mal, dans cette épreuve, dans cette mort, où est Dieu ? Que fait-il ? Pourquoi ne fait-il rien ? » Je dirais, Dieu est là, il est là, il est présent à vos côtés, et à côté de celui qui pleure, le Christ est présent et il est là, et savoir que l’on n’est pas seul, savoir que l’on a un ami inconditionnel avec soi, quelqu’un qui est là à nos côtés pour nous recevoir, pour nous écouter pour nous comprendre et nous parler, c’est déjà beaucoup.
Ensuite, ce Jésus qui est présent là sur le bord, c’est lui qui va débloquer la situation, c’est grâce à lui que les disciples, vont, tout à coup, basculer des ténèbres à la lumière, de l’absence à la présence, du manque à l’abondance. C’est lui qui va, par une parole, les aider à sortir de leur marasme. Il va leur dire : « n’avez vous rien à manger ? »
Je peux comprendre cette question de deux manières.
La première, c’est qu’elle les aide à verbaliser la situation dans laquelle ils se trouvent. Et déjà admettre que l’on soit triste, admettre que l’on soit dans le deuil, prendre conscience et accepter sa situation c’est le premier pas, certainement, pour pouvoir en sortir. Et donc ils vont dire, « oui en effet, Seigneur, nous n’avons rien à manger ». « Oui je pleure, oui je suis triste, oui je suis déprimé, oui je suis dans l’épreuve !». A partir de là, il est possible de reconstruire.
Et en même temps, ils vont comprendre cette question aussi comme une requête, et c’est cette requête qui va les tirer d’affaire. Ce « n’avez vous rien à manger ? », ils l’entendent comme « qu’avez vous à me donner ? ». Voilà une question incongrue ! Comment peut on demander à celui qui n’a pas de pain quelque chose à manger ? Mais les disciples vont donc repartir, repartir à la pêche, ils vont repartir, rechercher, refouiller, re-sonder les profondeurs de cette mer noire qui ne leur avait rien livré, ils vont repartir à la quête pour rechercher autre chose, mais cette fois d’une autre manière, en s’y prenant d’une autre façon qui va tout changer. Le Christ leur dit : « jetez vos filets du côté droit », c’est-à-dire du bon côté. Oui, c’est vrai, on peut toujours voir les choses sous un autre aspect. Et puis la droite, pour les juifs, c’est le sud, puisque les cartes étaient tournées vers l’Orient, la droite, c’est le côté de la pleine lumière. Quand les choses sont éclairées, éclairées par l’amour du Christ, par l’amour de Dieu, nous pouvons y trouver du bien que nous n’y trouvions pas avant.
Et surtout, la différence essentielle, c’est qu’ils ne chercheront plus pour eux seuls, mais pour un autre. Et quand on cherche pour quelqu’un d’autre, on trouve, parce que l’on sort d’une démarche purement égocentrique, égoïste qui, nous faisant nous retourner sur nous-mêmes nous empêche de nous tourner vers la vie. Et quand on va chercher dans sa vie, dans sa vie, et même dans l’ombre de sa vie, dans ses épreuves, quand on va, là, chercher des parcelles de vie, de bonheur pour les donner aux autres, quand on se dit non pas « comment pourrais-je trouver dans ma vie du bonheur », mais « comment pourrais-je trouver dans ma vie quelque bonheur à donner aux autres », et bien on en trouve, et on en trouve à foison, on en trouve jusqu’à faire déborder les barques et faire craquer les filets, et tout devient en surabondance, et même le miracle il est là, c’est que finalement, en cherchant ainsi pour un autre, et bien, ils en ont plein assez pour eux-mêmes.
Mais cet autre, me direz vous c’est le Christ. En tant qu’homme d’Eglise, j’aimerais dire qu’il faut chercher pour Dieu, pour donner au Christ, mais ça n’est même pas ça, parce que cet autre, ils ne l’ont pas reconnu, cet autre, c’était pour eux un quidam, un inconnu. Ce quelqu’un, là, je ne sais pas qui, c’est n’importe qui, n’importe qui, celui qui est là simplement et qui me demande, celui qui est là et qui a besoin de moi, celui qui est en face de moi, quelque soit son nom, quelque soit son lien, son rapport avec moi, sera-ce mon fils, mon conjoint, un étranger, un collègue ? Je ne sais, n’importe qui, mais il est là devant moi et il a faim lui aussi, et il me dit : « n’as-tu rien à manger ? » Alors pour lui, pour cet inconnu, pour cet inconnu mystère dont chacun de nous peut mette un nom sur le visage, et bien je retournerai dans la mer, je chercherai, je fouillerai, et je trouverai autant de poissons de bonheur qu’il faut pour offrir, et je vous le promets, il en restera en surabondance pour vous et jamais vous ne manquerez de rien.
On nous dit donc que les disciples reviennent vers le rivage, et que le Christ était là déjà, les attendant avec un feu allumé, du pain et des poissons en train de griller. Et ces poissons, ce ne sont pas ceux qu’ils ont pêchés, cela veut dire que même par delà ce que nous parvenons à trouver, Christ a déjà préparé pour nous une moisson de joie et de bonheur. Je le crois, et c’est là que nous sortons d’une démarche purement volontariste qui se contenterait de dire : « cherchez du bon côté, voyez, tournez vous vers les autres et vous trouverez du bonheur », il y a directement en Christ une source de joie et de bonheur, et directement en lui une nourriture pour notre âme, et même si nous étions incapables de pêcher, en lui nous trouverions toujours ce feu allumé avec cette nourriture abondante qui nous est offerte, il n’y a qu’à s’approcher, venez, prenez servez vous, cela est vous est offert gratuitement.
Et ce n’est pas tout, cette démarche féconde de non égoïsme, d’ouverture, peut même être développée d’une façon considérable par une autre lecture possible de ce texte. On peut, en effet non seulement vouloir chercher des poissons pour nourrir les autres, mais plus que cela les tirer eux-mêmes vers la lumière et les tirer vers la vie, les sortir du mal pour leur permettre d’accéder à l’espérance et à la vie, tirer ceux qui sont au fond de l’eau, du désespoir, du découragement, arriver à les sortir de là pour les amener à la vie, les amener à la lumière. Ca c’est ce que Jésus promettra à Pierre dans le parallèle de ce texte que l’on trouve dans les autres Evangiles quand il lui dit : « c’est bien, tu es pêcheur, et tu as pêché, c’est parfait, mais suis moi et je te ferai pêcheur d’homme ». Ca c’est la mission fondamentale du Chrétien, non seulement d’aller chercher dans la mer des parcelles de vie, mais aussi d’aller chercher dans la mer des êtres humains eux-mêmes pour les ramener à la vie.
Oh certes Dieu sauve tout le monde, et Dieu accueille chacun, mais la question, c’est, en attendant d’être sauvé, qu’en est-il de notre vie. Et tout en étant sauvés, certains aujourd’hui, sur cette terre, dans ce monde sont dans la mort, dans le noir, dans le fond du gouffre, et nous pouvons, et nous devons, en tant que chrétiens, aider tous ces hommes, ces femmes qui souffrent, à voir la lumière, à ouvrir leur cœur à l’espérance. Et bien cela n’est pas facile, et nous pouvons devant cette tache immense, cette mission que nous confie le Christ, nous sentir parfois un peu démunis et nous pouvons dire : « mais Seigneur, comment parviendrais-je moi à aider mon frère, comment parviendrais-je à permettre à celui-là qui est mon voisin et qui souffre à lui faire voir la lumière ? Et toute la nuit je cherche et je n’y parviens pas ». Alors le Christ nous dit, allons revisitons cela ensemble, jetons notre filet d’une autre manière, autrement, et vous y arriverez.
Pierre lui-même va montrer la façon de s’y prendre, et ce, d’une manière surprenante : il se revêt, car il était nu, puis il se jette à la mer. Il faut savoir d’abord que la nudité, dans la Bible, représente l’imperfection, en effet, nous sommes tous imparfaits, et la nudité ne fait que mettre au grand jour, et imposer aux autres notre imperfection, c’est-à-dire notre péché, et accepter de se vêtir, c’est accepter, par pudeur de dire : « je reconnais que je suis imparfait, et que je n’ai pas à imposer aux autres mes imperfections et mon péché », et donc déjà se reconnaître imparfait est la première condition pour pouvoir aider les autres. Quand on arrive vers les autres en disant « je suis bon, je suis le meilleur et je vais vous sauver », on n’aide personne. Pour aider les autres, la première chose, c’est de se savoir imparfait, et de se savoir faible, sans prétendre être meilleur que tout le monde.
Ensuite il met sa ceinture, façon de montrer qu’il se tient prêt, prêt à agir, prêt à travailler, à se mettre au boulot : « et oui j’y vais Seigneur », et ensuite il se jette à l’eau. Se jeter à l’eau, c’est peut-être aller justement dans le bain avec les autres, là où sont ceux que je veux sauver, j’y vais aussi, on ne peux vraiment aider et sauver que ceux que l’on comprend, et dont on partage la souffrance.
Ce passage par l’eau pourrait être aussi compris comme le passage par le baptême, Pierre se jette dans la grâce de Dieu, cette grâce qui le pardonne, il ne suffit pas de reconnaître son péché, il faut aussi vivre de cette espèce de liberté joyeuse de celui qui se sait pardonné, de celui qui se sait pécheur et pardonné, cette liberté joyeuse de celui qui sait qu’il est accepté, et que malgré sa faute, il a le droit de vivre heureux et joyeux.
Pierre se jette dans cette grâce qui nous sauve, et se jeter dans la grâce, c’est faire confiance dans la grâce, c’est se plonger dans l’amour de Dieu, se plonger dans sa bonté, et d’être tout entier là dedans en ayant cette espèce de confiance extraordinaire de quitter ses prétendues certitudes, de quitter ses prétendues sauvegardes que l’on dresse autour de soi en se disant : « je dois me ménager», et bien moi, avec l’aide du Seigneur, je ne crains rien, et je me jette à l’eau, je me jette à l’eau en totale confiance parce que je sais qu’il est mon sauveur et qu’il me sauvera. Et ainsi Pierre se jette à l’eau, il pourra aider et pourra trouver le salut. Il ramènera une foule de poissons de toute sorte, chacun pouvant accéder à la vie et à la lumière que Dieu nous propose tout le monde est accueilli.
Et une fois accueillis, nous sommes invités à aller sur la berge, sur place pour partager ce banquet communautaire, ce moment extraordinaire d’une joie partagée dans l’amitié et dans la fraternité où chacun mange ce qu’il a apporté avec en plus les denrées merveilleuses qui sont celles que Jésus lui-même nous a offertes.
Amen
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Jean 21:1-14
Simon Pierre, Thomas, appelé Didyme, Nathanaël de Cana en Galilée, les fils de Zébédée, et deux autres de ses disciples étaient ensemble. Simon Pierre leur dit : Je vais pêcher. Ils lui dirent : Nous allons, nous aussi, avec toi. Ils sortirent et montèrent dans la barque ; cette nuit-là, ils ne prirent rien. Le matin venu, Jésus se trouvait sur le rivage, mais les disciples ne savaient pas que c'était Jésus. Jésus leur dit : Enfants, n'avez-vous rien à manger ? Ils lui répondirent : Non. Il leur dit : Jetez le filet du côté droit de la barque, et vous trouverez. Ils le jetèrent donc ; et ils n'étaient même plus capables de le retirer, à cause de la grande quantité de poissons. Alors le disciple que Jésus aimait dit à Pierre : C'est le Seigneur ! Dès que Simon Pierre eut entendu que c'était le Seigneur, il mit son vêtement, car il était nu, et se jeta dans la mer. Les autres disciples vinrent avec la barque en traînant le filet plein de poissons, car ils n'étaient éloignés de terre que d'environ deux cents coudées.
Lorsqu'ils furent descendus à terre, ils virent là un brasier, du poisson posé dessus, et du pain. Jésus leur dit : Apportez les poissons que vous venez de prendre. Simon Pierre monta et tira à terre le filet plein de 153 gros poissons ; et quoiqu'il y en eût tant, le filet ne se déchirait pas. Jésus leur dit : Venez manger. Et aucun des disciples n'osait lui demander : Qui es-tu ? car ils savaient que c'était le Seigneur. Jésus s'approcha, prit le pain et le leur donna, ainsi que le poisson.