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Archives-Reflexions

Une vie comme un jardin centré

 

Le Paradis, le « jardin d'Eden » (c'est-à-dire le « jardin des délices ») n'est pas une sorte de récompense post mortem pour ceux qui auraient été bien sages, mais pour dès aujourd'hui le bonheur, la paix et l'accomplissement dans la présence de Dieu.

Que cet idéal de vie soit présenté comme étant à l'image d'un jardin est très intéressant parce que le jardin est un lieu de l'action conjuguée de Dieu et de l'homme, c'est une organisation intelligente du naturel. Et il est vrai que notre vie peut être comme un champ en friches, un champ de batailles, un champ de monoculture s'étendant sans limites dans un ennui infini, une jungle impitoyable dans laquelle se débattent des forces cruelles et contradictoires... ou jardin de délices...

Avec l'image du jardin, le livre de la Genèse nous montre en plus quelques propriétés de cet idéal de vie, particularités qu'un jardin a par rapport au monde purement matériel.

D'abord, il a un centre et à ce centre est planté un arbre, l'arbre de la Vie. C'est là une chose remarquable, parce que le monde matériel n'a pas de centre. La surface de la Terre n'a pas de centre, l'Univers non plus, le monde matériel n'est centré sur rien. Or il est essentiel que notre vie, à l'image du Paradis, ait un centre. C'est ainsi que l'on peut échapper à un certain relativisme prétendant que tout se vaut, ou mettant tout au même niveau. Il faut se poser la question fondamentale : « qu'est-ce qu'il y a dans ma vie qui est différent du reste, qui la définit et qui l'oriente ? » Ou autrement dit : « Quelle est ma foi, le coeur de ma conviction, le centre vital et directeur de mon existence ? »

Oui, l'essentiel est qu'il y ait précisément une foi, un centre informant, une conviction. Le pire serait de n'avoir rien, pas de centre, pas d'organisation.

Mais cela ne veut pas dire non plus que l'on puisse prendre n'importe quoi comme centre pour notre vie. Se tromper de centre représente un danger, c'est le risque de perversion de la foi, parce qu'il peut y avoir des mauvaises fois, des croyances qui empoisonnent la vie et qui peuvent nous conduire au désabusement, au scepticisme ou au désespoir.

C'est pourquoi il est dangereux de dire que tout ce qui compte c'est d'avoir la foi, en ne cherchant pas à expliciter intelligemment cette foi. La foi du charbonnier peut être calamiteuse, pour grande qu'elle soit.

C'est ce que l'on voit dans la discussion entre Eve et le Serpent, image de la perversion.

Dans le texte, un seul arbre est au centre, celui de la Vie, or Eve, en parlant de l'interdiction de manger l'arbre de la Connaissance, prétend qu'il serait aussi au centre, et c'est là qu'elle se trompe. L'arbre de la Connaissance n'est pas l'arbre de Vie, et il n'est pas au centre. C'est elle qui le met au centre.

Et là est le péché originel : mettre comme centre directeur de sa vie son propre désir, son plaisir, sa prétention à l'autonomie. Dire : « le centre de ma vie, c'est de faire ce qui me plait... » est évidemment le plus grand des dangers.

On sait ce qui s'ensuit pour Adam et Eve : pas vraiment des punitions, mais des conséquences fâcheuses : souffrance, obnubilation de la mort, peine, et surtout être exclus des délices, du bonheur, de la paix, et d'être coupés de la Vie.

On peut trouver une illustration de cela dans l'Evangile, lorsque Jésus est présent aux Noces de Cana (Jean 2), il est là comme source de vie et de joie au milieu des hommes. Or il faut pour cela deux conditions : d'abord qu'il soit présent, invité, disponible, ensuite qu'il devienne un principe actif, et pour cela il faut que l'on s'adresse à lui pour lui demander d'agir afin de pouvoir cueillir ses fruits.

Il y a alors la présence extraordinaire de cet Arbre de Vie dans nos existences (le Christ). Présence qui n'apporte en fait rien d'extérieur, mais qui transforme la réalité existante. La force de Dieu comme centre vital est de transformer la survie (eau) en joie de vivre (bon vin). Dans les deux cas, il y a le même acte (boire un verre d'eau fade, ou boire un verre de champagne est bien le même acte), mais il y a une différente radicale dans la façon de vivre cet acte, quelque chose au niveau de la qualité qui change tout.

Pour cela, il faut que le Christ soit là... et qu'il ne soit pas qu'un simple invité dans nos vies, un arbre parmi tant d'autres dans la forêt de nos préoccupations et de nos soucis, mais qu'il soit au centre, que ce soit lui qui oriente, qui donne sens à tout le reste, qu'il soit un arbre à part.

Là est la source du délice éternel.

Louis Pernot