Skip to main content
56, avenue de la Grande-Armée, 75017 Paris

Archives-Reflexions

Les ouvriers de la 11e heure

 

Cette parabole semble injuste, mais elle n'est pas là pour donner un modèle social, elle dit la logique du Royaume de Dieu, logique qui n'est pas forcément celle d'ici-bas. Or le Royaume de Dieu, ce n'est pas une réalité terrestre, ni le paradis récompensant les justes, mais tout ce qui en nous reconnaît Dieu pour Roi, c'est donc en nous-mêmes la foi, il s'agit de notre relation à Dieu.

La première chose est simple mais primordiale : Dieu appelle des ouvriers pour travailler dans sa vigne. Dieu a besoin de nous dans le monde afin de le rendre fertile et fécond, pour qu'il donne des grappes constituant le vin source de joie éternelle (Ps. 104:15).

Un autre enseignement de cette parabole est que Dieu vient chercher ses ouvriers à plusieurs reprises. Son appel n'est pas une chance unique à prendre ou à laisser, il n'est jamais trop tard pour répondre à son appel. Quant-à la récompense, elle est unique, ce n'est pas celui qui aurait été fidèle à Dieu le plus longtemps qui aurait le plus, mais à celui qui dit oui, quel que soit le moment de sa vie où il répond, Dieu lui donne tout ce dont il a besoin pour vivre et être spirituellement heureux (un denier était ce dont un ouvrier avait besoin pour vivre chaque jour).

Cela contredit l'idée que Dieu sauve tout le monde. C'est une idée très sympathique et rassurante, mais l'Evangile ne semble pas aller dans le sens d'un salut inconditionnel. En particulier, il y a ici une condition pour avoir le salaire : être là pour écouter le maître au moment où il vient et répondre à son appel. Cela d'ailleurs n'est pas contre la Grâce car Dieu d'abord va de lui-même s'approcher des ouvriers sans attendre qu'ils viennent, et finalement donne souvent beaucoup plus que ne le mérite l'ouvrier. Ce n'est donc pas une théologie des mérites, mais si le salut est immérité, il n'est pas inconditionnel. Ce texte illustre la pensée de Paul: nous sommes sauvés par Grâce, au moyen de la foi (Eph. 2:8). La foi est la réponse à cette Grâce première.

Comment faire alors pour être appelé ? La réponse est dans la parabole : il faut être sur la place. Le maître appelle ceux qui ont un désir de travailler, une attente, une aspiration. Dieu ne va pas chercher les gens qui restent enfermés dans leur maison. Celui qui reste enfermé en lui-même, n'attendant rien, n'ayant aucun projet pour sa vie, a peu de chance d'avoir la foi un jour. Quand le maître demande aux derniers ouvriers inoccupés pourquoi ils ne font rien, ils répondent que personne ne les a embauchés, et non qu'ils ne voulaient rien faire. Tous les ouvriers qui recevront la récompense ont en commun d'avoir attendu quelque chose.

Comme récompense, ils ont tous le même salaire. Il n'y a pas de comptabilité des oeuvres. Le salut n'est pas semblable aux points de retraite que l'on accumule, celui qui a travaillé plus longtemps recevant plus. Dieu regarde le présent : on travaille pour lui, ou non, c'est cela le jugement final, et cela n'a rien à voir avec un jugement humain. Au moment de rétribuer, Dieu regarde qui est là à travailler dans sa vigne, qui a bien voulu venir travailler pour lui. Dieu juge ce que l'on a voulu être : l'homme qui accepte de travailler pour le Seigneur, qui reconnaît qu'il n'a pas fait grand-chose, mais que de tout son coeur il veut le faire, à celui-là, Dieu donne pleinement tout son salut.

On peut même regarder de plus près cette parabole, et voir qu'elle n'est pas si injuste que cela. En effet, si les trois ouvriers ont tous la même récompense, il apparaît qu'ils n'ont pas eu la même motivation. Les premiers ont beaucoup travaillé, ils ont fait beaucoup de bonnes oeuvres, mais ils savaient le salaire qu'ils auraient, et ils ont donc travaillé en connaissant leur récompense. Les seconds ont travaillé un peu moins, mais le maître leur avait juste dit : je vous donnerai ce qui est juste ; ils ne savaient pas exactement ce qu'ils allaient avoir. Quant-aux derniers, le maître les a envoyés travailler sans rien leur promettre, et ils y ont été uniquement pour travailler, gratuitement.

Le maître n'a donc pas été si injuste qu'il y parait : certains ont beaucoup travaillé, mais c'était intéressé, et d'autres ont peu travaillé, mais gratuitement. Beaucoup de bonnes oeuvres en pensant : « Dieu me les rendra » finalement valent moins que peu de bonnes oeuvres faites pour rien. Et voilà l'explication de ce verset difficile au point que certains commentateurs disent idiotement qu'il n'a rien à faire là : les premiers seront les derniers, et les derniers seront les premiers. Ceux qui se croyaient les plus justes finalement ne l'étaient pas tant.

Mais en fait, ces catégories différentes sont présentes toutes en nous-mêmes : il y a en nous une part de chrétien intéressé et l'Evangile comporte des promesses en ce sens, « si vous êtes fidèles, Dieu vous le rendra... vous aurez son aide dans l'épreuve, le bonheur, la vie éternelle... ». Et ça n'est pas mauvais en soi, Dieu ne rejette pas les premiers ouvriers. Simplement, ils auront leur salaire, à condition d'avoir beaucoup travaillé, sans manquer une heure, c'est une logique de récompense, de justice humaine, qui n'est plus celle de la Grâce. Et il est mieux encore de servir Dieu, d'agir pour lui, sans rien attendre, sans penser à soi, mais aux autres, servir Dieu parce que Dieu nous le demande, parce qu'on est reconnaissant qu'il nous ait appelé, gratuitement, par amour. C'est alors un acte de foi. S'il y a quelque chose à faire sur Terre, et que je sache le faire, je dois agir, même si je n'ai rien à y gagner. Serai-je sauvé ? Serai-je récompensé ? Je n'en sais rien, et peu m'importe. J'aurai la satisfaction d'avoir essayé d'oeuvrer dans ce monde, d'apporter la parole de Dieu, un peu d'amour, d'espérance, de confiance, et rien que pour cela, cela vaut la peine.

Et si en plus j'ai une récompense, merci mon Dieu. Mais puissions-nous être comme le serviteur de l'Evangile qui, lorsqu'il a fait tout ce qu'il avait à faire, ne demande pas en plus d'être félicité, mais se propose de faire encore plus (Luc 17:10).

Louis Pernot