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56, avenue de la Grande-Armée, 75017 Paris

Archives-Reflexions

Le goût de la vie

 

Lorsqu'il arrive à Jérusalem, le jour des Rameaux, Jésus se rend au Temple. Et il voit là les marchands qui appellent leurs clients: "Achetez mes colombes, achetez mes mou-tons, achetez les gris-gris du bonheur et de la religion".

Aujourd'hui, qui sont les marchands du temple ? Ce sont les marchands d'illusions, de consolations, de bonheur et de miracles ; ce sont ceux qui nous proposent des remèdes plus ou moins magiques pour tromper notre peur ; peur du vide, peur de l'avenir.

Oui, c'est vrai, devant nous, il y a le vide, l'incertitude. Que sera le monde de demain ? L'Occident s'englue dans la pollution, le chômage et la crainte du terrorisme. La mort des idéaux politiques débouche sur les fanatismes, les rivalités ethniques et les slogans démagogiques et into-lérants. Et il y a aussi, la peur dans notre vie personnelle. Le vide de la solitude. Le vide de la vie de couple. Le vide de notre foyer après le départ des enfants. Le vide de notre retraite. Le vide de notre coeur. Le vide de notre foi.

Mais, Dieu merci, il y a les marchands du Temple. Il y a le retour de la religion du bonheur. Il y a le cocooning, la diminution des divorces, le retour de la morale. Il y a les sectes et les églises qui se remplissent à l'Est comme à l'Ouest. Oui, mesdames et messieurs, moi, marchand du temple, j'ai la solution à tous vos problèmes. Un doigt de religion, une cuillerée de retour aux traditions, ajoutez un zeste de miracle et de parapsychologie. Secouez le tout, et gobez-moi tout cela. Votre vie retrouvera son sens. Vos enfants feront Polytechnique. Et Dieu sera content...

Mais il ne faut pas avoir peur du vide. La nature a peur du vide, mais la dignité de l'homme est de savoir l'affronter, lucidement, sereinement. La lumière de la présence de Dieu ne peut venir que dans un coeur vide de toute illusion et de toute consolation mensongère. Le Temple de Jérusalem était construit autour d'une pièce vide. Et c'est cette pièce vide qui symbolisait la présence de Dieu dans la cité des hommes. Oui, il nous faut décaper notre vie des illusions qui la recouvrent de plâtre. Ce n'est pas en cachant sous le plâtre les failles et les fissures de notre vie que nous apprendrons à la construire sur le roc de la vérité.

 

La vérité des enfants

Et cette vérité, c'est la vérité des enfants, c'est la vérité d'être enfant. De fait Jésus entre sur le parvis du temple, et les enfants l'acclament. Et Jésus les approuve. Pourquoi ?

Ce sont les enfants qui ont raison. Ceux qui ont raison, ce sont ceux qui se savent inutiles. Ce sont ceux qui ne cherchent pas à justifier leur vie. Ceux qui reçoivent leur vie comme une grâce gratuite. Ceux qui ne cherchent pas à mériter leur vie. Ceux qui reçoivent leur vie comme une vie pour rien. " Regardez les oiseaux du ciel. Ils ne sèment ni ne moissonnent. Ils n'amassent rien dans leur grenier, et votre Père céleste les nourrit. Regardez les lys des champs. Ils ne travaillent ni ne filent. Et pourtant Salomon dans toute sa gloire n'était pas vêtu comme l'un deux " (Matthieu 6:26-29). À tous ceux qui cherchent une raison d'être et une utilité pour leur existence, il est fait cette réponse déconcertante mais vraie : la vie n'a pas d'autre justification que la vie elle-même. La vie est un chant gratuit à la gloire de Dieu et à la gloire de la vie.

La raison d'être de notre vie, nous n'avons pas à l'inventer. La grâce de notre vie, nous n'avons pas à la mériter. La vie est sans raison, sans justification. La vie est louange de l'amour de Dieu qui donne la vie. Et Dieu la donne sans raison, sans justification, pour rien, sans que nous ayons à fournir de justificatif.

Le vrai pain de la vie, ce n'est pas de s'accrocher aux gad-gets de la réussite ni aux médecines du bonheur. Le vrai pain pour la vie, c'est de vivre la vie qui nous est donnée, encore et encore ce jour. Je l'avoue, ces mots peuvent paraître insolents. Je pense à certains que je connais et qui souffrent de vivre leur vie. Je pense aux personnes âgées et malades. Je pense aussi aux jeunes qui sont tentés de mettre fin à leurs jours. Mais je veux poursuivre. Si vous avez peu de goût pour la vie, si votre vie est faible, frêle, handicapée ou usée, mangez doucement le pain de votre vie, en le goûtant bien, en savourant ce qu'il a toujours et encore de saveur.

Souvenons-nous, lorsque les enfants d'Israël célèbrent la Pâque, ils mangent du pain, du bon pain de vie, ils boivent du vin, le bon vin de la sève de la vie. Mais ils prennent aussi des herbes amères. Et elles aussi font partie du repas. Car même les herbes amères ont une saveur incomparable. Elles ont encore la saveur de la vie.

Je le sais, certains d'entre nous sont devenus aveugles devant les couleurs et la lumière de la vie. Certains d'entre nous sont devenus sourds devant le message du sens de la vie. Mais Beethoven était sourd lorsqu'il composa l'Hymne à la joie. Même pour ceux qui sont sourds et aveugles à la vie, la vie a toujours le goût de la vie, le parfum de la vie, le sel de la vie, la chaleur de la vie, la vie de la vie.

Les enfants du Temple nous montrent le chemin, celui de la sérénité, de l'humilité et de la louange. La sérénité, pour vivre, au quotidien, les imprévus, les accrocs et le temps qui dure. Car la sérénité nous apprend à dire : amen, ainsi soit-il. L'humilité pour accepter que la vie nous soit donnée chaque jour sans que nous ayons à choisir. La louange pour que tout geste de notre vie, aussi minime soit-il, soit accompli avec reconnaissance. Oui, la louange, c'est une manière d'entendre battre son coeur et son sang. C'est une manière de manger le pain du matin. C'est une manière de regarder le ciel, et aussi la nuit. C'est une manière de regarder les enfants. Et c'est aussi une manière d'essuyer ses larmes. La louange nous apprend à dire chaque jour : merci, et à demain, car demain je te dirai encore merci.

L'homme qui se sait enfant de Dieu est délivré de tout souci de lui-même, de toute crainte devant la vie, de toute angoisse devant la mort, de tout besoin de justifier son existence. Il se sent partout chez lui, parce qu'il est partout chez Dieu, dans le Temple de Dieu. Il lui reste à poursuivre son bonhomme de chemin, avec un peu d'humour, un faible pour l'amour et une indignité tranquille.

Alain Houziaux