Le problème du mal
(Propositions pour une foi contemporaine)
Une objection fréquente à la foi est de dire : « je ne peux pas croire qu’il y ait un Dieu avec tout le mal qu’il y a dans le monde ». Cette question n’est pas neuve et n’est pas vraiment une objection, de très nombreuses réponses ont été trouvées pour y répondre. La science qui traite de cette question est appelée « théodicée », étymologiquement : la justification de Dieu.
Parmi les réponses données habituellement, il y en a de mauvaises.
La première est que le mal serait une punition de Dieu, une conséquence du péché. Il est certain que nos erreurs peuvent produire du mal, mais Dieu, lui, ne punit pas ; et le mal peut atteindre même le juste. Cela est dit explicitement dans l’Ancien Testament avec l’histoire de Job ou dans les Psaumes, et dans bien des passages de l’Evangile (Aveugle né en Jean 9, ou la tour qui s’effondre sur les galiléens en Luc 13).
Une autre idée parfois évoquée est que le mal serait une épreuve envoyée par Dieu pour voir la fidélité du croyant. La chose peut se trouver dans le livre de Job, mais à partir du Nouveau Testament, on ne peut penser que Dieu puisse être source de mal ou de souffrance pour l’homme. Et quant à nous éprouver, Dieu n’en a pas besoin, il sait très bien ce que vaut chacun.
Alors il y a l’idée la plus répandue que le mal serait dû non pas à Dieu, mais à l’homme. Il est vrai que s’il y a des guerres et des massacres, c’est à cause de l’homme qui est mauvais. On peut donc penser que le mal vient du fait que Dieu a choisi de donner une certaine liberté à l’homme et qu’il ne veut pas la reprendre. C’est en partie vrai. Mais il est difficile d’imaginer que Dieu puisse laisser faire des crimes effroyables à l’encontre d’innocents, et refuserait juste d’intervenir au nom d’un principe. Dieu serait-il capable ainsi d’une absence totale de compassion ? C’est douteux. Ensuite, il y a bien du mal dans le monde qui ne dépend pas de l’homme: des maladies dramatiques qui frappent des enfants, des tremblements de terre, des famines. Cette explication ne peut rendre compte des catastrophes naturelles et ne peut en tout cas suffire.
Il y a bien sûr, la solution la plus simple et la plus ancienne qui est celle du dualisme : le monde serait comme un champ de bataille entre deux principes, l’un du bien qui est Dieu, et l’autre du mal qui serait le Diable. Mais fondamentalement, le christianisme est monothéiste et croit qu’il y a un seul principe actif dans le monde : Dieu, et le « diable » n’est qu’un mot commode et générique pour désigner le mal en général.
Alors dans ce dilemme qui consiste à se dire que si Dieu est tout-puissant, alors il manque d’amour, et que s’il est amour alors c’est qu’il n’est pas tout-puissant, on peut préférer cette deuxième hypothèse et renoncer à la toute-puissance. C’est d’ailleurs ce qui est de plus en plus défendu par nombre de théologiens. La « toute-puissance » de Dieu n’est, en fait, pas un concept évangélique. L’expression est même totalement absente des quatre évangiles, des épîtres (sauf une citation de l’Ancien Testament), et ne se trouve que dans l’Apocalypse. Et là, c’est sans doute en reprenant un nom donné à Dieu dans la traduction grecque des Septante de l’Ancien Testament, là où l’hébreu avait mis : le Dieu « Sabbaoth », ce qui voulait dire le Dieu des « armées célestes », le Dieu du Ciel, le Dieu du cosmos, les traducteurs ont cru bien faire en utilisant le mot « pantocrator » ce qui pouvait vouloir dire « qui a puissance sur le tout », mais il a été malheureusement traduit par « tout-puissant ». Il n’y a donc pas de raison biblique majeure pour conserver cette idée que Dieu serait tout-puissant. On peut même au contraire penser que le mal, c’est précisément ce qui n’est pas la volonté de Dieu, par définition, quelque chose qui ne va pas dans le sens de son projet et qu’il ne peut vraiment empêcher. Certains diront que si Dieu n’est pas tout-puissant alors il n’est rien ! C’est faux, il y a une grande marge entre totalement impuissant et tout-puissant. Dieu peut faire infiniment, mais pas n’importe quoi tout de suite. Cela va dans le sens d’une vieille idée des père grecs, de la création continuée : le monde n’est pas comme une œuvre d’art finie sur laquelle on pourrait juger l’artiste, mais il est en train de se faire, donc, oui, il y a encore du mal dans le monde, c’est ce qui n’a pas encore été totalement créé par Dieu. Et précisément, Dieu nous demande de prendre part avec lui à son œuvre et de travailler à faire reculer ce mal qui nous révolte.
Ainsi alors qu’il y avait écrit dans nos anciennes liturgies qu’il fallait commencer un service funèbre par « Dieu a rappelé à lui N... à l’âge de ... » un pasteur a justement commencé un jour un service funèbre particulièrement dramatique pour un enfant mort d’un cancer : « je ne crois pas que Dieu ait voulu la mort d’Olivier à l’âge de 12 ans... » et plus loin dans le service, une collecte a été organisée en disant : « justement, parce ce n’est pas la volonté de Dieu qu’un enfant puisse mourir trop jeune, nous devons travailler pour que ça se passe le moins possible », et venait une incitation à donner pour la recherche sur le cancer. Si la maladie était la volonté de Dieu, alors il n’y aurait qu’à ne pas soigner les gens et à laisser faire la volonté de Dieu !
Mais donc ce Dieu non tout-puissant peut néanmoins faire beaucoup, et c’est ainsi que dans une autre situation, alors qu’un pasteur évangéliste était venu vanter son Dieu infini dans un centre pour enfants « pré-délinquants », un des jeunes était venu voir le directeur qui, tout en n’étant pas théologien, avait eu une réponse très juste. L’enfant lui dit : « comment cet évangéliste peut-il me dire que Dieu m’aime et fait tout bien pour moi, alors que ma mère se prostituait et est morte sous les coups de mon père qui était alcoolique et qui se trouve maintenant en prison, et que moi je suis là sans véritable avenir ? » Et donc le directeur de lui dire : « je ne sais pas comment il se fait que tu aies dû subir plus de mal que d’autres sans doute, mais je crois que ce Dieu certainement, aujourd’hui, il peut t’aider à en sortir, et à te construire comme quelqu’un de libre, responsable et joyeux. ».
C’est ainsi encore qu’un pasteur devant prêcher pour une autre situation dramatique et révoltante d’un enfant très jeune mort d’un accident, devant le petit cercueil de quelques dizaines de centimètres et la famille effondrée dit : « je ne sais pas pourquoi cet enfant est mort, ni pourquoi nous sommes là tous à pleurer, trouvez la solution que vous voulez, mais en aucun cas ne pensez que Dieu aie pu vouloir ou laisser faire ce mal qui vous frappe ». Il peut sembler indispensable de ne pas rendre Dieu responsable du mal, et la théologie enseignée dans les anciens catéchismes ou on disait : « nous nous en remettons à Dieu, que sa volonté soit faite » a engendré trop d’athées, de personnes se révoltant contre Dieu et perdant la foi dans un Dieu qu’elles estimaient responsables de leur souffrance, au moment où leur foi aurait pu au contraire leur être du plus grand secours.
Une autre solution totalement opposée est celle de Calvin. Pour lui, Dieu est absolu, tout-puissant et omniscient. Et donc tout ce qui arrive est la volonté de Dieu. Or comme Dieu est bon, ce qui arrive est forcément bon, et donc en quelque sorte, le mal n’est qu’une apparence. Cette idée était assez générale à cette époque, et c’est contre elle en particulier sous sa version de Leibnitz que se bat Voltaire dans son célèbre Candide. Cela peut sembler curieux, mais il y a certainement quelque chose d’assez juste là dedans. Il est un fait que nous n’avons qu’une vision très partielle des choses, et que nous ne pouvons vraiment savoir ce qui est bien et ce qui ne l’est pas. Il faut donc faire confiance à Dieu que tout ce qu’il fait est bien, et que si cela nous semble mal, c’est que nous n’avons pas le moyen de comprendre. Nous admettons bien, par exemple, qu’un petit enfant dise à sa mère qui le punit : « tu es méchante », mais en fait, c’est pour son bien. Sans doute ne sommes nous pas plus avancés par rapport à Dieu que ne l’est un petit enfant par rapport à un adulte. Ce que demande Calvin, c’est donc un acte de foi : si quelque chose advient, c’est que Dieu l’a voulu, et donc que sa volonté soit faite.
Pour faire comprendre la chose, on peut dire qu’il y a deux théologies : celle du chat et celle du chien. Quand le maître d’un animal doit infliger des soins douloureux à son animal, le chat se révolte, refuse les soins, même quand ils doivent lui sauver la vie, il se bat. Le chien au contraire, se laisse faire et se dit : « je ne sais pas pourquoi mon maître me fait mal, mais si mon maître le fait, c’est que c’est bien, je n’ai pas besoin de comprendre, j’ai confiance dans mon maître », et le chien qui pourrait tuer son maître qui lui charcute la patte d’un coup de dent reste totalement docile. Or là encore, que sommes nous par rapport à Dieu de plus qu’un chien pour son maître ?
La chose est intéressante, parce qu’en fait, en quoi le mal est-il mal ? Par rapport au monde, peu de choses que nous considérons comme « mal » sont vraiment mal. Quand un enfant meurt, ce n’est pas grand chose matériellement, il aurait pu aussi bien ne pas naître, et donc un enfant qui meurt n’est pas un mal, c’est juste la négation d’un bien. C’est la souffrance de la mère qui fait que c’est vraiment mal. Or la souffrance ne vient que de la révolte, du fait de refuser la chose, de penser que tout devrait être autrement. Accepter ce qui arrive avec sagesse, c’est enlever au mal sa capacité de nuire, et finalement supprimer la souffrance. Alors certes, nous pouvons le penser pour de petites choses, et se dire : « après tout, si c’est comme ça, c’est peut être la volonté de Dieu, et peut être est-ce mieux ainsi », et aussi qu’il est plus sage de penser que nous ne pouvons, nous, jamais savoir ce qui est vraiment bien, ou ce qui se révélera le meilleur. Mais dans les cas très graves, cela nous semble impossible à penser. Pourtant, Calvin comme d’autres a pu maintenir cette idée jusqu’au bout, même lui qui a vu mourir sa très chère épouse Idelette, et sous ses yeux son unique enfant, il a dit toujours : « si c’est ainsi, que la volonté de Dieu soit faite ».
Cette théologie calvinienne semble difficile à admettre aujourd’hui, mais ce que l’on peut en conserver, c’est que de toute façon, la chose nous dépasse et que nous ne pourrons jamais totalement tout expliquer, il y a donc certainement, dans le problème du mal, à un moment donné une sorte d’acte de foi de dire : je fais confiance à Dieu, et dans tout les cas ne jamais mettre en doute sa bonté infinie, ni son amour inconditionnel pour nous. Ce qui est commun dans les deux dernière solutions que nous avons exposées, pourtant apparemment opposées, c’est que de toute façon, Dieu n’est que source de bien et ne peut en aucun cas vouloir le mal.
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