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La foi exemplaire du centenier romain

Prédication prononcée le 19 mai 2019, au temple de l'Étoile à Paris,
par le pasteur Louis Pernot 

Dans ce curieux récit, Jésus nous dit qu’il a trouvé chez ce centenier un exemple de la plus grande foi qui soit. La question est donc de savoir quelle est la nature de cette foi qu’admire le Christ?

Traditionnellement, et le plus souvent, il est dit que la foi de ce soldat a été de croire que Jésus pouvait opérer un miracle. Il se présente en effet en disant que lui a du pouvoir, mais qu’il ne peut pas tout faire, mais qu’il ne doute pas que le Christ puisse faire ce qui lui est même impossible à lui. Mais cette lecture peut apparaître comme une impasse. D’abord parce que cela n’est pas ce que nous attendons aujourd’hui de Dieu ou du Christ. Quand quelqu’un est malade, nous allons plus naturellement voir un médecin qu’un pasteur, et nous n’attendons pas tellement de notre foi qu’elle opère des guérisons miraculeuses, des résurrections de morts etc. Certes, il y a des chrétiens qui le font, comme dans certains sectes américaines où les fidèles refusent de payer la sécurité sociale en pensant que toute maladie est dans la main de Dieu, mais dans notre Eglise en général, nous n’attendons pas de Dieu qu’il intervienne brutalement dans le cours des événements matériels.

Et puis cette lecture simpliste ne semble pas du tout rendre justice au texte. D’abord, il semble que le centenier romain ne connaissait pas Jésus. Ce n’est pas lui qui a fait appel au Chrsit, mais les juifs. Il ne le voyait donc sans doute pas comme le fils de Dieu bénéficiant d’une puissance surnaturelle. Et puis, si le seul sens du texte était de faire croire que Jésus pouvait faire un miracle matériel, pourquoi tous ces détails, cette histoire complexe avant d’arriver à la guérison? On ne peut penser que l’Evangile dépense des mots juste pour dépeindre un contexte ou dire des choses qui n’auraient pas d’importance. Il faut donc prendre le texte plus globalement, et plus en détails aussi.

Or ce qui apparaît alors, c’est qu’il y a eu un vrai miracle en effet, celui-ci n’étant pas la guérison du malheureux, il y a sans cesse des tas de gens qui guérissent de leurs maladies, parfois par la médecine, parfois avec l’aide de la prière, ou par des causes inconnues, cela ne fait pas un Evangile. Non, le miracle, c’est que là le serviteur sera finalement guéri, mais par un enchainement d’événements tout à fait improbalbles. Et c’est ça un miracle, non pas quelque chose d’impossible mais quelque chose d’improbable qui se produit. Là, le serviteur n’aurait jamais dû avoir la chance de guérir.

Lui-même d’abord, dans une situation extrême n’avait aucun recours, aucun moyen pour se soigner, sa situation pouvait tout à fait sembler désespérée. Le centenier ensuite n’avait aucune raison de se préoccuper de son esclave. Il en avait certainement autant qu’il voulait et pour lui, la vie d’un esclave devait être peu de choses. S’il en perdait un, on le lui aurait aussitôt remplacé. C’était un homme important et puissant, certainement qu’il avait mieux à faire que de se préoccuper d’un esclave.

Le fait qu’il s’adresse aux juifs était aussi une chose tout à fait incongrue. Et le fait que les juifs veuillent bien l’écouter encore plus. Il ne faut pas oublier que la situation politique était alors celle d’un pays occupé par les romains, les Juifs et les romains étaient ennemis, et ne partagaient aucune valeur, aucune foi. Pour les juifs, les romains étaient des envahisseurs, des païens, des hommes impurs adorant leur empereur. Il n’y avait ensuite que peu de raison que les juifs s’abaissent à faire appel à Jésus, ce fauteur de trouble qui ne faisait que les contrarier et les remettre en cause, au point qu’ils le tueront.

Le fait que Jésus soit dans le coin était aussi improbable, et le fait qu’il accepte de faire quelque chose pour ce romain n’était pas non plus une évidence. Dans l’Evangile, on voit Jésus refuser de faire des miracles pour des païens qui risquent de ne prendre Jésus que pour un taumaturge, un faiseur de miracle. Ses guérisons ne sont faites qu’intégrées dans un système d’interprétation, qu’en lien avec une foi qu’il n’est pas facile d’avoir en dehors du systèmre interprétatif juif. Sa mission n’est pas d’accumuler les guérisons matérielles, mais d’annoncer une bonne nouvelle à ceux qui peuvent la comprendre. Et puis pour lui aussi, guérir un représentant de l’autorité romaine était se compromettre d’une façon délicate. A un autre endroit de l’Evangile il est dit d’ailleurs que Jésus quitte sa patrie parce qu’il ne parvenait pas à y faire des miracles à cause du manque de foi qu’il y trouvait. Il n’est donc pas du tout évident que Jésus aie pu faire cette guérison pour un homme dont la foi était tout à fait douteuse a priori.

Mais voilà que le miracle va être, et ce pour la raison que toutes ces libertés vont converger vers un but unique qui sera la guérison du serviteur. Aucun des acteurs, même le Christ ne sera suffisant, il aura fallu une synergie entre tous. Cela peut, peut-être nous donner l’explication de ce que Jésus dira en Jean 14 à propos des miracles: « vous ferez même de plus grandes œuvres que moi ». Or cette annonce est curieuse, parce que nous, nous ne guérissons pas tant que Jésus, et nous ne ressuscitons pas les morts, et même les plus charismatiques ou évangéliques, ceux qui veulent croire aux miracles de l’Evangile, ne multiplient pas les pains ni ne marchent sur l’eau. Donc Jésus se serait-il trompé, ou nous aurait-il menti ? Non, car si individuellement nous sommes incapables de faire des grandes choses, collectivement, nous pouvons faire beaucoup. Si nous nous y mettons tous, si nous allons dans le même sens, alors nous pouvons, nous, faire de vrais miracles et accomplir des choses extraordinaires, c’est collectivement que nous sommes comme un corps dont le Christ est la tête (Col 1:18).
Et pour cela, il faut un fil directeur, quelque chose qui unisse les libertés de chacun dans un sens particulier, ce fil, c’est celui de la foi, la visée partagée par tous. Ici, dans cette histoire, il semble que le point commun, ce qui circule dans tout le texte, c’est la gratuité et la générosité. Rien n'était évident, rien n'était probable dans leur attitude vis-à-vis des autres. Au contraire. C'est librement que le centenier décide d'aider son esclave, c'est par estime pour lui, par amitié. C'est librement qu'il a aimé ce peuple dont il occupe le pays, c'est librement qu'il leur a construit une synagogue, à ce moment-là il n'avait rien à attendre de ces pauvres vaincus, lui le puissant chef de guerre, et il n'avait aucun usage personnel de cette salle de culte pour un dieu qui n'était pas le sien. Les juifs non plus n'avaient rien à attendre de ce centenier, ils avaient déjà reçu de lui ce dont ils avaient besoin, quand il leur demande un service, ils auraient pu le rejeter comme une écorce de citron pressé. S'ils lui obéissent ce n'est pas parce qu'il est leur chef et qu'il l'exigerait, mais par reconnaissance. Et cette gratuité leur coûte très cher, elle leur demande un gros effort pour surmonter de fortes barrières morales et religieuses. Jésus n'avait non plus rien à attendre de ce centenier, bien entendu. Il l'aide gratuitement, librement. À lui aussi, ce service coûte du temps, qui lui est compté, des efforts, et cela perturbe un peu sa mission personnelle.

Cette gratuité, cette liberté, c'est ce que l'on appelle parfois la grâce dans notre patois théologique. Cette attitude positive qui va au-delà des simples règles des droits et des devoirs, au-delà de l'intérêt personnel, au-delà de la simple logique, pour choisir de donner et de rendre service.

Pour nous chrétiens, nous disons que la grâce est le propre de Dieu. C'est-à-dire que c'est la chose la plus essentielle, la plus fondamentale, le cœur de tout notre système de valeur, c’est la grâce, et la grâce est, comme Dieu la source de toute chose, et de la vie en particulier.

L'Evangile de Jean nous dit au chapitre 1 qu’au début, nous étions dans la loi et l’obéissance, et il est vrai que les religions ont souvent été dans les règles, les morales, les exigences et les jugements. Et Jean nous dit que des lois il y en a toujours eu dans la religion, en particulier dans la religion des pharisiens, mais que Jésus nous a ouvert à une chose nouvelle et extraordinaire, c’est la grâce : “la loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ” (Jean 1:17) Sans doute est-ce là une véritable originalité du christianisme, ce n’est pas une religion de morale et Dieu n’est pas un Dieu de jugement rendant à chacun ce qu’il mérite, mais un Dieu d’amour qui nous aime et nous accueille qui que nous soyons. Et c’est là quelque chose de particulièrement précieux, parce que nous sommes dans un monde qui nous écrase d’exigences, de devoirs, un monde dur où sans cesse nous sommes jugés ce que que nous faisons. Et nous n’avons pas besoin d’une religion qui en rajoute aux exigences et à la culpabilité. Dans le fond, nous savons très bien ce qui est le bien, ce que nous devrions faire, nous connaissons nos faiblesses. Ce dont nous avons besoin pour vivre, pour avoir envie de vivre, c’est de la grâce, de la bonté, du don, de la gratuité.

Une idée qui est chère à nos contemporains est celles des “droits de l’homme” aux quels on attribue la source de tout bienfait. Certains contestent cela en disant que l’essentiel, ce ne sont pas les droits, mais les devoirs de l’homme. Mais il faut les renvoyer dos à dos, la source de la vie, ce ne sont ni les droits, ni les devoirs, mais la grâce. Les droits et les devoirs, peuvent permettre de vivre ensemble dans la société, mais ne donnent pas la vie. De même les lois ne sont pas mauvaises, et elles peuvent permettre d’éviter que les gens se nuisent les uns aux autres, mais aucune loi ne donne la vie, ni envie de vivre. Et la définition de la grâce, de ce qui est gratuit, c’est que ce n’est jamais fait par devoir, et que ce ne peut jamais être reçu comme un droit.

Or cela, c’est rare, dans notre monde, tout s’achète et tout se vend, tout se paye un jour ou l’autre, mais cela ne fait pas vivre. Et c’est ça que le centenier a compris: il dit bien que lui il a du pouvoir, qu’il dit à son serviteur, va et il va etc... mais que malgré tout son pouvoir, il ne peut pas donner la vie, que tout son pouvoir sous ses droits ne peuvent rien faire pour ce serviteur qu’il aime. Et en effet ce qui le sauvera, c’est toute une histoire d’humains qui agissent sans aucun devoir, par générosité, par reconnaissance, par gratuité, par amitié. Là est la vraie valeur, la vraie richesse, la chose essentielle et la source de toute vie. C’est là la foi exemplaire du centenier.

Jésus présente précisément ce centenier comme l’exemple même de la foi, et c’est curieux, quelle était la “foi” au sens moderne de cet homme? Nous n’en savons rien. Sans doute qu’il ne croyait pas tout bien comme il faut la bonne doctrine, croyait-il à la Trinité? Au Dieu créateur du Ciel et de la Terre, croyait-il que Jésus soit Dieu? Certainement pas. Etait-il alors un grand mystique? On n’en sait rien, mais peut être pas, on ne dit pas qu’il priait avec ferveur, ni qu’il avait une élévation d’âme extraordinaire, il n’était même certainement pas un bon pratiquant, et connaissait-il la Bible, l’avait il lue? Sans doute pas non plus... Il n’avait rien de ce que nous assimilons nous à la foi aujourd’hui. Et c’est là une grande leçon. La foi, l’essentiel, ce n’est pas l’appartenance à une religion, ni la pratique, ni la doctrine, ni le sentiment religieux. La foi qu’admire Jésus, la foi plus importante que toute celle d’Israël, c’est de croire dans la gratuité, de vivre de générosité, et mettre au dessus de toute chose l’amitié, l’empathie, la don et la bonté et dans l’humilité savoir avoir besoin des autres et servir. Tout le reste est secondaire.
C’est sans doute cela qu’avait compris le centenier et qu’a admiré le Christ: il lui dit: “ tu vois, moi je suis un homme qui a beaucoup de pouvoir, je peux tout obtenir, mais donner la vie, ça je ne le peux pas, parce que la vie, elle ne s’ordonne pas, elle ne s’achète pas, elle s’obtient dans l’humilité, elle se reçoit comme une grâce, dans la relation ouverte à l’autre, dans la tendresse, la confiance et l’amour”.

Oui, la grâce est vraiment la seule chose vraiment créatrice dans ce monde, c'est elle qui donne la vie. Mais cette grâce ne peut être à sens unique, c'est une logique d'existence à double sens dans nos relations entre nous et avec Dieu. C'est ainsi quand la grâce s'accomplit dans la fidélité que tout est possible et que la vie peut être donnée et reçue.

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Luc 7:2-10

Un centenier avait un serviteur malade qui était sur le point de mourir et qui lui était très cher. Il entendit parler de Jésus et lui envoya quelques anciens des Juifs, pour lui demander de venir sauver son serviteur. Ils arrivèrent auprès de Jésus et le supplièrent d’une manière pressante en disant : Il est digne que tu lui accordes cela, car il aime notre nation, et c’est lui qui a bâti notre synagogue. Jésus s’en allait avec eux et n’était guère éloigné de la maison, quand le centenier envoya des amis pour lui dire : Seigneur, ne prends pas tant de peine, car je ne mérite pas que tu entres sous mon toit. C’est aussi pour cela que je ne me suis pas (cru) digne d’aller en personne vers toi. Mais dis un mot, et mon serviteur sera guéri. Car, moi qui suis soumis à une autorité (supérieure), j’ai des soldats sous mes ordres ; et je dis à l’un : Va ! et il va ; à l’autre : Viens ! et il vient ; et à mon serviteur : Fais cela ! et il le fait. Lorsque Jésus entendit ces paroles, il admira le centenier, se tourna vers la foule qui le suivait et dit : Je vous le dis, même en Israël je n’ai pas trouvé une aussi grande foi. De retour à la maison, les envoyés trouvèrent en bonne santé le serviteur.

Luc 2-10