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Devenir un enfant de Marie?

Prédication prononcée le 6 octobre 2019, au temple de l'Étoile à Paris,
par le pasteur Louis Pernot 

Il y a dans l’évangile de Jean et seulement dans cet évangile un épisode curieux où Jésus sur la croix remet sa mère au « disciple qu’il aimait » et réciproquement.

Ce disciple bien-aimé dans Jean est un mystère. Il se dit lui-même l’auteur de l’évangile, mais qui est-il ? La tradition a dit que c’était Jean, (fils de Zébédée). Aujourd’hui tout le monde pratiquement est d’accord pour dire que ce ne peut être lui. Alors qui ? De multiples hypothèses fleurissent : un des douze apôtre ? Un autre disciple ? Nicodème (puisqu’il vient voir Jésus la nuit donc en se cachant) ? Le jeune homme riche (puisque les autres évangiles disent de lui « Jésus l’aima ») ? Joseph d’Arimathée ?...

Certains pensent que ce pouvait être un des frères de Jésus, et d’autres un prêtre du Temple de Jérusalem (Il y a ses entrées d’après le texte de Jean). Ces deux hypothèses sont sérieuses et peuvent être réunies par l’information d’un historien du début du IIe siècle relayée par Eusèbe de Césarée dans son Histoire ecclésiastique affirmant Jacques dit « le frère du Seigneur » était précisément prêtre au temple de Jérusalem. Cela expliquerait tout. D’abord la proximité particulière entre Jésus et lui, ensuite le ton particulièrement théologique de l’évangile de Jean, et surtout que Jésus lui confie sa mère. Jésus ayant des frères, cela n’aurait eu aucun sens qu’il demande à un étranger de s’occuper de sa mère. Si Jacques est ce disciple particulièrement aimé, il lui dit évidemment de prendre soin de leur mère.

D’autant que toujours d’après notre texte, on est en famille. Marie n’est pas seule, elle se trouve avec sa sœur, avec « Marie de Clopas » et Marie-Madeleine, une amie très proche. Ce dénommé Clopas est aussi un mystère. Ce nom n’apparaît nulle part ailleurs dans la Bible (à ne pas confondre avec Cléopas), on ne sait pas qui il est. Hégésippe au début du IIe siècle, (encore relayé par Eusèbe de Césarée) affirme savoir qui il est : un frère de Joseph. Or l’expression utilisée dans notre texte : « Marie de Clopas » peut signifier tant que cette Marie est la femme, ou la fille de Clopas. Peu importe en fait, elle est de la famille. Et Jésus se retrouve avec au pied de la croix avec sa mère, sa tante, sa cousine germaine et sa meilleure amie... et en plus le disciple bien aimé. Ni lui ni sa mère ne sont seuls. Il ne s’agit donc certainement pas juste d’une question de savoir qui va prendre soin de qui.

Et puis si l’on comprend que ce disciple, s’il est Jacques ait voulu préservé son anonymat étant donné ses hautes fonctions exposées et les persécutions qu’ont mené les juifs à l’égard des premiers chrétiens, on ne voit pas pourquoi cet anonymat n’a pas été levé lorsque la situation avait changé, et qu’on a conservé cet anonymat curieux dans les rédactions successives de notre évangile.

Une explication de cela est qu’en fait l’évangile de Jean garde à dessein cet anonymat du « disciple que Jésus aimait » pour que chacun puisse s’identifier à lui. Ce disciple n’a pas d’identité, parce que son identité est celle du lecteur qui peut s’identifier à lui en tant, précisément, que nous sommes tous des disciples bien-aimés de notre Seigneur. Comme au musée de la Réforme à Genève où un panneau représentant Calvin laisse un trou à la place du visage pour que chacun puisse se faire prendre en photo en y mettant sa propre tête, et se prendre ainsi pour Calvin.

Cela nous mène évidemment à chercher à comprendre cet épisode du Stabat mater autrement qu’historiquement, mais comme nous concernant directement. C’est ainsi que nous avons l’interprétation habituelle des théologiens catholiques romains : lors de cet événement : le disciple bien aimé représente l’Eglise, et donc Jésus confie l’Eglise à la Vierge Marie et réciproquement.
Les théologiens protestants ont proposé d’autres interprétations, bien-sûr, et en particulier Bultmann, célèbre exégète du XXe siècle considérant que l’évangile de Jean avait été écrit tardivement (à la fin du premier siècle), pense que Marie représentait les chrétiens de première génération encore attachés au Judaïsme, et le disciple, ceux issus du paganisme qui ne respectaient pas la Loi juive. On sait que ces deux communautés ont eu du mal à coexister. Jean ferait alors dire à Jésus aux deux groupes de vivre en harmonie, demandant aux judéo-chrétiens d’accueillir favorablement les pagano-chrétiens et aux pagano-chrétiens de recevoir leurs aînés. Cette interprétation est intéressante, mais d’abord discutable par son a priori que ce passage serait inauthentique et tardif, ensuite parce que dans ce cas, il ne nous concernerait pas, puisque nous ne sommes pas dans la même situation aujourd’hui.

Or on peut reprendre l’interprétation catholique, mais la comprendre un peu différemment par rapport à l’Ecriture. D’abord en évitant de collectiviser l’image du disciple aimé. Le nouveau Testament, contrairement à l’ancien n’est pas collectiviste, mais individuel. Ce n’est pas le peuple, ou l’Eglise qui sont élus et sauvés, mais l’individu qui est appelé à se convertir et à entrer dans une relation personnelle au Christ. C’est donc personnellement vous, moi, chacun que Jésus confie à Marie, c’est à chacun qu’il demande de recevoir Marie dans sa propre maison.

Or il faut aussi là travailler rigoureusement, et ne pas se laisser entraîner à projeter sur Marie des images de piété ou de douceur supposées, mais voir le rôle qu’elle joue précisément dans notre évangile de Jean. Or dans ce quatrième évangile, Marie n’est citée que deux fois : tout au début, et tout à la fin : lors des noces de Cana et là au pied de la croix. Et dans les deux textes, Jésus l’interpelle en l’appelant de la même manière : « femme ». Cela n’est pas un hasard. Chaque texte renvoie évidemment à l’autre.

Et l’épisode du stabat mater, permet de répondre à la question de savoir que faire quand Christ meurt. Ou pour nous plus concrètement, comment pouvons nous prendre notre vie en main sans la présence physique de Jésus à nos côtés, comment vivre notre foi avec un Christ ressuscité qui n’est que présence et action spirituelles et ne peut pas faire les choses à notre place.

Une partie de la réponse est que nous devons prendre la place de Jésus, et faire dans le monde et pour les autres ce qu’il aurait fait. Ainsi chaque fois que nous pensons que Dieu devrait faire ceci ou cela... commençons par essayer de le faire nous-mêmes avec nos maigres moyens. La tradition catholique a dit que le prêtre était un alter Christus : un autre Christ, le peuple, lui devant écouter et obéir en quelque sorte. Ici c’est chacun qui est appelé à se considérer comme un alter Christus. C’est le sacerdoce universel, chacun a cette dignité de pouvoir agir, parler comme le Christ, prendre le soin du monde, et travailler à transmettre une parole qui puisse transformer les individus en en faisant de nouvelles créatures pour un monde meilleur.

D’ailleurs, on dit habituellement qu’à Cana, c’est précisément là que Marie fait passer Jésus à sa vocation de Christ, c’est-à-dire de Messie. Jean ne parle pas de la naissance biologique de Jésus, cette question ne l’intéresse pas. Mais Marie est présente tout à début de son ministère, c’est elle qui va pousser Jésus à le débuter, et par elle qu’il fera son premier geste, son premier miracle. C’est grâce à elle qu’il va devenir celui qui apporte le vin nouveau d’une parole divine nouvelle, et qu’il donne une joie renouvelée. On dit donc que pour Jean, Marie enfante non pas Jésus, l’humain, mais elle enfante le Christ à partir de l’homme Jésus de Nazareth.

Marie a su faire cela pour Jésus. Et sur la croix, Jésus nous invite à passer par le même processus, passer par Marie, pour que nous puissions devenir nous aussi des alter Christus. Apportant au monde une parole créatrice, un Esprit nouveau, une joie nouvelle, et que nous puissions faire de grandes choses, des miracles.

Encore que Jean ne parle pas précisément de premier « miracle » à Cana, mais littéralement de premier « signe ». Or un signe, c’est un geste qui indique quelque chose, un geste qui a du sens. Voilà ce que nous pouvons obtenir si nous passons par cette Marie de Cana, faire en sorte que nos gestes deviennent des signes, que notre vie ait un sens. Cela peut nous libérer de l’absurde qui nous guette, et de la menace que fait peser sur nous le monde moderne d’une vie qui n’est qu’agitation matérielle, moulin qui tourne à vide, et tout ça pour quoi ? Si comme Jésus nous passons par Cana et Marie, alors notre vie peut avoir du sens. C’est d’ailleurs le propre de la foi. La foi est avant tout une conviction, une visée qui fait que quoi que l’on fasse, on sait pourquoi on le fait et dans quelle direction nous voulons nous diriger. Sans la foi, la vie ne serait qu’un papillonnement vain ne menant nulle part. Christ sauve notre vie parce qu’il nous donne un sens, nos actes ne sont plus vains, mais peuvent signifier ce qui leur donne leur sens.

Pour cela, il faut passer, comme Jésus par l’action de Marie telle qu’elle nous est relatée lors des noces de Cana. Pour cela, il faut que nous nous laissions enfanter par Marie pour devenir de nouvelles créatures à l’image du Christ. C’est pour cela que Jésus appelle sa mère « femme ». Ce n’est pas péjoratif, mais pour éviter d’en faire sa propre maman réservée. Elle est la femme en soi qui donne la vie, elle est celle qui enfante, et qui peut nous enfanter en nous donnant cette dimension christique comme elle l’a fait pour Jésus à Cana.


Comment donc Marie a-t-elle enfantée le Christ en Jésus de Nazareth lors des noces à Cana ? Il y a là tout un processus qui nous est indiqué dans la relation entre Marie et Jésus, processus que nous devons suivre en nous identifiant à Jésus pour être, à notre tour, enfantés à l’image du Christ.

La première chose que fait Marie, est de faire voir à Jésus le manque des autres : « Ils n’ont plus de vin ! » dit-elle. C’est le déclencheur essentiel, fondamental, à la base de tout : apprendre à voir ce que les autres n’ont pas et qu’on pourrait leur apporter. Marie ne parle pas pour elle-même, elle invite à se tourner vers les autres, à s’oublier soi-même, sans se préoccuper de ce qui nous manque à nous, mais à sortir de soi pour s’ouvrir aux autres et à ce qui leur manque. Rien que cela est pratiquement le résumé de tout l’Evangile, c’est tout simplement l’amour du prochain ! Et quand on apprend à devenir attentif aux autres, à compatir avec leurs soifs, leurs aspirations, leur manques, alors tout ce que nous faisons peut prendre du sens. Il y a là l’enjeu fondamental du sens de toute vie et de toute action : que puis-je apporter à ceux là qui me sont donnés autour de moi ? Chacun peut répondre à cette question, et chacun peut apporter quelque chose aux autres. Ne serait-ce qu’un peu de joie, de consolation, d’attention, puisque le vin dans la Bible représente la joie ! Donc oui, si je me demande pour chaque personne que je suis appelé à côtoyer ce que je peux lui apporter, tout ce que je ferai aura un sens et comblera de joie les autres, et moi-même !

Ensuite Jésus répond : « Quoi entre toi et moi ? ». Ce n’est pas forcément négatif et peut vouloir dire qu’il n’y a rien qui puisse s’opposer à la requête de sa mère. Mais surtout on peut voir cette question comme une question existentielle fondamentale cherchant à comprendre le lien qu’il peut y avoir entre soi et les autres. Sans doute y a-t-il là une interrogation essentielle qui peut nous aider à trouver ce que nous pouvons faire pour les uns ou les autres. Il faut d’abord soigner précisément ce lien, ce qu’il y a entre nous et l’autre, c’est là que se joue notre relation à l’autre, et ce que nous pourrons lui apporter et comment nous pourrons le faire. Dans toute action, dans toute notre vie, il faut, avant d’agir, réfléchir sur ce lien qui me relie à l’autre. C’est la question fondatrice de tout, de l’amour pour nos plus proches, de notre lien avec la nature pour penser l’écologie, de ce qui nous relie aux plus pauvres pour l’entraide, aux étrangers pour l’accueil, et à ce prochain qui se trouve devant moi pour toute possibilité de compassion. Et sans doute aussi devons nous veiller à ce lien fondamental avec le tout-autre qui est Dieu. C’est dans notre foi que se joue aussi, et peut-être le plus fondamentalement le sens de notre vie. Et ce lien avec Dieu, si ténu ou fort soit-il demande toujours la plus grande attention, et doit être l’objet de soins volontaires, réels et constants, faute de quoi nous risquons de nous enfermer dans le non-sens et un matérialisme égoïste et stérile.

Jésus dit alors « mon heure n’est pas encore venue ». On comprend donc qu’il ne veut pas agir. Mais c’est curieux, parce qu’en fait il va agir quand même ! Et donc son heure est bien venue tout de même. Il a essayé de temporiser, mais à cause de l’appel de Marie, il comprend que c’est tout de suite et pas plus tard. C’est en ce sens que Marie sera comme son déclencheur, c’est elle qui le pousse à se révéler comme Christ et Messie, et à se mettre à l’œuvre pour sa mission. Marie fait advenir son heure !

Pour nous il en est souvent de même, nous nous disons que nous pourrions faire des choses, mais en fait, nous remettons toujours au lendemain, à plus tard. Marie nous dit qu’il faut faire maintenant ce que nous pouvons faire. L’heure juste, le bon moment, ce n’est pas celui qui m’arrange, mais c’est celui qu’impose l’autre qui est là devant moi et qui a faim ou soif aujourd’hui, c’est celui qui est là et qui a besoin de moi.

Les théologiens aiment parler du terme grec de kairos : le temps de la moisson, le temps favorable où les choses peuvent se faire. Pour Marie, le débat sur le kairos est simple : le temps opportun, c’est tout de suite. C’est le temps du besoin de l’autre qui s’impose à moi, même si, pour moi cela semble à contretemps (et c’est souvent le cas !). Marie bouscule un peu Jésus, et elle a raison, sinon il aurait eu le temps de vieillir et de mourir avant de devenir le Christ !

D’ailleurs, Marie feint de ne même pas entendre la rebiffade de Jésus. Elle n’en tient pas compte, et elle a raison. Elle sait que Jésus va agir, alors elle dit aux serviteurs : « faites ce qu’il vous dira » ! Autrement dit, certes, elle bouscule un peu Jésus, mais surtout, elle a confiance en lui ! Elle croit qu’il peut le faire et qu’il va le faire. Cela est aussi essentiel pour nous. Dieu croit en nous, il a confiance en nous. Nous n’avons donc pas à nous abriter derrière des excuses du genre que nous n’y arriverons pas, que nous n’en sommes pas capables, ou que nous n’avons rien à apporter. Nous pouvons y arriver. Aucun de nous n’est trop petit ou trop humble pour le service, et chacun peut toujours apporter à un prochain un peu de joie ou de consolation, ou de présence, ou simplement un mot, un geste, un sourire. Il faut croire en soi pour y arriver, et la grâce de Dieu nous permet justement de dépasser cette fausse modestie qui risque toujours de nous paralyser.

C’est ainsi que Jésus nous invite à prendre chez nous cette présence maternelle de Marie. Présence exprimant la confiance que Dieu a en nous et qui nous dit : « tu peux le faire, tu vaux quelque chose », et qui alors nous montre que les autres ont besoin de tant de choses que nous pourrions leur donner, et enfin nous pousse à agir maintenant. Bref, elle nous met en relation aux autres, nous ouvre aux autres.

Et c’est dans cette double adoption que Jésus nous invite à entrer avec Marie : D’abord savoir que Marie nous prend pour son fils, c’est la bonne nouvelle de la confiance qu’elle nous fait ; et ensuite à nous de prendre activement Marie pour notre mère, afin d’accepter ce processus de Cana qui peut nous enfanter à l’image du Christ, pour pouvoir donner au monde un vin nouveau, joie nouvelle, parole nouvelle, ou le vin de la sainte Cène que Jésus nous a offert à la fin de sa vie, le meilleur qui soit, et que nous devons pouvoir donner de nous mêmes aussi en mémoire de lui.

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Jean 19:25-27

Près de la croix de Jésus, se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie femme de Clopas et Marie-Madeleine. Jésus, voyant sa mère, et debout auprès d’elle le disciple qu’il aimait dit à sa mère : Femme, voici ton fils. Puis il dit au disciple : Voici ta mère. Et dès cette heure-là, le disciple la prit chez lui.

Jean 2:1-11

1Trois jours après, il y eut des noces à Cana en Galilée. La mère de Jésus était là. 2Jésus fut aussi invité aux noces, ainsi que ses disciples. 3Comme le vin venait à manquer, la mère de Jésus lui dit : Ils n’ont pas de vin. 4Jésus lui dit : Femme, qu’y-a-t-il entre toi et moi ? Mon heure n’est pas encore venue. 5Sa mère dit aux serviteurs : Faites tout ce qu’il vous dira. 6Il y avait là six jarres de pierre, destinées aux purifications des Juifs et contenant chacune deux ou trois mesures. 7Jésus leur dit : Remplissez d’eau ces jarres. Et ils les remplirent jusqu’en haut. 8Puisez maintenant, leur dit-il, et portez-en à l’organisateur du repas. Et ils lui en portèrent. 9L’organisateur du repas goûta l’eau changée en vin ; il ne savait pas d’où venait ce vin, tandis que les serviteurs qui avaient puisé l’eau le savaient ; 10il appela l’époux et lui dit : Tout homme sert d’abord le bon vin, puis le moins bon après qu’on s’est enivré ; toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à présent.
11Tel fut à Cana en Galilée, le commencement des miracles que fit Jésus. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui.

Jean 2:1-11, Jean 19:25-27