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A propos de l'histoire de Ritspa... Doit-on lire tous les textes?

Prédication prononcée le 10 novembre 2019, au temple de l'Étoile à Paris,
par la pasteure Florence Blondon

Il est dans la Bible comme dans la vie des « petits »personnages dont on pourrait croire que l’existence n’a finalement pas beaucoup d’importance. Ils n’occupent que quelques versets et leur histoire intervient souvent au cœur d’un récit d’une ampleur qui les dépasse. Aussi, nous les oublions. Qui d’entre vous a déjà entendu parler de Ritspa ?

Et il est probable que je n’aurais pas fait attention à elle si je n’avais pas visité une petite chapelle au milieu de la montagne. Petite chapelle où se trouve en son centre une Pietà, qui est entourée de deux petites fresques : l’une représentant Hagar et l’autre Ritspa. Donc, au centre de cette chapelle, trois femmes, trois mères meurtries.

Il se peut très bien que les choses se soient passées comme ça en fait, et nous avons là en tout cas un bel exemple de l’importance du partage : quand chacun veut bien partager, il y en a largement assez pour tout le monde. Et puis cela illustre surtout le rôle essentiel des quelques rares qui ont montré l’exemple. Ils auraient pu se décourager en pensant que leurs 5 pains ne serviraient à rien face à l’immensité de la foule. Mais si, parce qu’ils ont montré l’exemple. Or l’exemple d’un petit nombre peut être décisif, par contamination positive, et pour qu’un mouvement se mette en place, il faut qu’il y ait de courageux initiateurs pour servir de déclenchement.

Et il est probable que je n’aurais pas fait attention à elle si je n’avais pas visité une petite chapelle au milieu de la montagne. Petite chapelle où se trouve en son centre une Pietà, qui est entourée de deux petites fresques : l’une représentant Hagar et l’autre Ritspa. Donc, au centre de cette chapelle, trois femmes, trois mères meurtries.

Je m’étais toujours promis de prêcher sur ce texte. Je suis toujours curieuse d’explorer ce que ces histoires oubliées ont encore à nous dire. Car on peut s’interroger : finalement en quoi la veillée mortuaire de cette femme nous concerne-t-elle encore ? Les protestants sont en général assez détachés des cimetières, et le 1e novembre est plus un jour férié qu’un temps de recueillement dans les cimetières. D’ailleurs nous sommes allés jusqu’à fêter la Réformation, c’est-à-dire fêter Luther en lieu et place de la Toussaint. Et nous avons tous en tête cette injonction de Jésus : « Laisser les morts enterrer les morts ».

Alors cette une femme qui va veiller pendant presque six mois (c’est le temps qui sépare la moisson de l’orge en mai et l’époque où la pluie revient) les dépouilles de ses deux fils et de ses cinq petits neveux ne s’inscrit pas tout-à-fait dans notre culture, ni dans notre spiritualité.

Pourtant, il faut nous rappeler l’importance qu’avaient les tombeaux dans l’Israël du temps de David. Cette femme ne pouvait admettre de laisser les corps de ses enfants sans sépulture. Encore aujourd’hui on échange des morts lors de conflits, on rend les cadavres afin de pouvoir les ensevelir.

Je reconnais que devant la barbarie et la complexité de cette histoire j’ai longtemps hésité. Pourtant, aujourd’hui, j’y vais, je me lance. Certes ce récit ne semble pas bien édifiant. Pourtant la douleur de cette femme, comme la douleur des mères n’a en rien disparu de nos sociétés et la violence, le désir de vengeance, est encore bien trop présent. Cette femme qui est prise dans le tourment de la violence masculine, tout se passe entre des hommes, David, les Gabaonites. Bien évidemment personne ne lui demande quoi que ce soit. D’ailleurs elle est muette dans notre récit. Mais son attitude va s’inscrire en rupture totale face à cette attitude guerrière. Elle ne réclame pas vengeance.

Les textes sont aussi là pour nous parler et, pourquoi pas, parler de nous. Il nous invite à essayer de se frayer une voie où l’espérance résiste, et où l’avenir est toujours possible. Est-ce le cas pour Ritspa ? Je le crois. Nous pouvons explorer plusieurs pistes.

Ici s’achève un cycle : celui de Saül. Nous sommes amenés à faire le lien entre cette histoire et le règne de Saül, le premier roi d’Israël, le messie qui a été oint par le prophète Samuel. Et l’histoire se termine là où elle commence à Guibéa, c’est-à-dire le village dont est originaire Saül. Il ne reste alors que huit descendants à Saül, mais la lignée va presque s’éteindre puisque les Gabaonites réclament la mort de sept d’entre ses fils. Seul restera vivant le fils de Jonathan, l’ami de David. Le texte est assez énigmatique puisqu’il nous est dit que Saül a rompu l’alliance qui a été faite par Josué entre les Gabaonites et les Israélites. Pourtant rien de cela ne nous est rapporté dans la Bible. Mais si un cycle s’achève, l’avenir va devenir plus lumineux.

1. Le sacrifice

Les rares spécialistes qui commentent ce texte l’associent à une sorte de rite de « fertilité », le retour à la pluie. C’est d’ailleurs ce qui semble se passer ici puisqu’au début il y a une famine, et c’est la mort des fils de Saül qui permettrait de faire revenir l’opulence.

Cela ne semble pas nous concerner, nous ne sommes plus dans ces cultures, assez sanguinaires où l’on sacrifiait des humains pour apaiser les dieux. Et finalement s’il reste certainement des traces de ces cultures dans notre texte, cela est pertinent sur le plan historique, mais pour nous est-ce encore significatif ? Malgré la distance culturelle, sachons entendre l’écho de ces dérèglements climatiques, ces périodes de sécheresse qui plongent les habitants dans la famine. Car nous vivons également une période de dérèglement climatique. Demandons-nous ce que nous sommes prêts à sacrifier pour prévenir ces dérèglements et ne pas exposer les êtres humains à la violence d’une nature que l’on n’arrive plus à contrôler. Finalement nous pouvons renverser la vision archaïque du sacrifice : que faut-il sacrifier pour que justement des êtres humains, des hommes des femmes, des enfants ne soient pas sacrifiés ? Cela ne signifie pas revenir en arrière, renoncer à tout progrès, sombrer dans un pessimiste mortifère, mais au contraire être responsables, vigilants, inventifs... Affronter les défis de notre monde en gardant la foi et l’espérance.

Ensuite si l’on trouve des traces de ces rites de fécondité dans cette histoire, c’est aussi pour en faire une lecture critique. Car la Bible n’a de cesse justement de nous couper de cette vision archaïque des humains qui seraient des sortes de pions entre les mains des dieux. Le Dieu de la Bible accorde une valeur infinie à la vie humaine, et jamais il ne se sert des humains, jamais il ne souhaite leur mort. Pourtant la violence de notre texte pourrait nous le faire croire. Mais si on lit attentivement, est-ce la mort de ces fils qui ramène les bonnes conditions pour que le pays ne soit plus dans la famine ? Dans ce cas la pluie serait venue rompre la sécheresse au moment de leur mort. Or, ce n’est pas ce qui se déroule. La pluie ne revient qu’après les cinq ou six mois où Ritspa va veiller les corps des garçons morts. Cela advient au bout de la veille de Ritspa. C’est donc bien l’attitude de cette mère qui aime ces fils par-delà la mort qui ramène la pluie. Pour comprendre toute l’importance du geste de Ritspa, pour évaluer tout l’amour de cette mère, il faut comprendre que garder l’intégrité du corps au-delà de la mort est tout à fait essentiel dans la culture vétérotestamentaire. 

 2. La résurrection des os

Cette mère dans sa douleur, va jusqu’à adopter les fils d’une autre puisqu’elle veille sur les enfants de Mikal. Elle veille sur l’intégrité des cadavres, mais les cadavres méritent que l’on prenne soin d’eux, il ne faut surtout pas qu’ils soient dévorés par les oiseux ou les bêtes sauvages. La notion de l’intégrité des corps est essentielle dans sa culture. On peut presque parler de la résurrection des os. Les morts sont reliés au domaine des vivants par les os. Le tombeau est un sarcophage au sens étymologique du mot, un dévoreur de chair qui permet de nettoyer les os. Les ossements restent dans le tombeau ils sont préservés. Il y a une nécessité de préserver les ossements déjà dans tout l’Orient Ancien, et cela est repris par le texte biblique. Le pire est d’être exposé et que les oiseaux et les fauves mangent les ossements. Le lion briseur d’os est redouté. Ainsi dans le Psaume 22 : « Sauve-moi de la gueule du lion ». N’y a-t-il pas trace de cela dans l’Evangile de Jean (19, 33) où les os du Christ sur la croix ne sont pas brisés par les soldats, l’écriture renvoyant ainsi au Psaume 34 ? : « 20De nombreux malheurs atteignent le juste, Mais de tous, l'Éternel le délivre. 21Il garde tous ses os, Aucun d'eux n'est brisé. »

C’est donc l’amour de cette mère qui a su toucher David et déclenche sa réaction qui va réunir les corps pour leur donner une sépulture commune, commune à la descendance de Qish, le père de Saül. Cette réunion des corps au-delà de la mort, si elle est très significative dans la culture de cette époque, nous est bien étrangère. Pourtant je suis interpellée, faut-il attendre d’être mort pour se réunir ? Et si nous profitions de la vie pour nous rapprocher, nous rencontrer, affronter et dépasser nos désaccords ? Saül n’a pas su le faire ni avec son père, ni avec ses fils, ces rendez-vous manqués sont aussi partie prenante de son destin tragique. La Bible est aussi là pour nous faire réfléchir sur les dysfonctionnements, nous inviter à ne pas reproduire certaines fautes. Les tombeaux sont des lieux où l’on fait mémoire des aïeuls, mais ses pauvres garçons sans descendance. Qui fera mémoire d’eux ? C’est la mère. Sa veille va permettre que la mémoire ne périsse pas. Cette mère qui vit dans un monde de mort caractérisé par les guerres la famine, la haine et enfin le massacre de ses enfants innocents. Et dans notre histoire, elle est la seule à croire à la vie, elle s’inscrit dans un cycle qui va permettre de sortir de la famine. Malgré la mort, elle attend quelque chose de la vie.

Il n’y a pas de mots pour nommer les parents qui perdent une enfant (la douleur trop vive pour la nommer ?). Mais ici Ritspa se conduit comme si elle était orpheline de ses propres enfants. Elle leur assure une descendance spirituelle. Une descendance messianique puisqu’ils sont fils et petits-fils du premier oint de l’Eternel, Saül le premier messie. Ritspa va rompre le cycle de la violence et permettre à un autre messie d’advenir. D’abord David, puis le Christ, c’est-à-dire le messie. Car ce n’est certainement pas un hasard si l’on trouve un jeu d’échos de son histoire au moment de la passion et de la mort du Christ dans l’Évangile de Jean.

 3. Echos dans Jean 19

Car il existe un jeu d’échos entre ces deux textes. Les jeux d’échos sont complexes. Parfois ils sont fortuits, mais ils peuvent aussi être signifiants. En premier, Ritspa en hébreu signifie le pavé, or le lieu du procès de Jésus se déroule justement « au lieu-dit le pavé, et en hébreu Gabbatha » (13). Certes une simple association d’idées, à laquelle s’ajoute la proximité sonore entre Guibéa et Gabbatha ne sauraient suffire pour tisser des liens. Mais nous pouvons aller plus loin.

Les os de Jésus ne seront pas brisés après sa mort, avec cette référence au Psaume 34. En effet le supplice de la croix durait très longtemps. Pour abréger les souffrances, ont cassait les jambes des crucifiés. Ainsi leur corps chute et ils meurent plus vite. Donc ici afin d’accélérer la mort on brise les jambes des crucifiés. Jésus était déjà mort, donc son squelette garde son intégrité. Ensuite, Ritspa élargit sa maternité à d’autres que ceux qui viennent de ses entrailles, et c’est ce que demande Jésus à sa mère sur la croix : « Jésus, voyant sa mère et, près d'elle, le disciple qu'il aimait, dit à sa mère : Femme, voici ton fils. Puis il dit au disciple : Voici ta mère ».

Enfin, le corps de Jésus ne sera pas laissé à l’abandon et c’est bien cela qui permet la résurrection. Le tombeau, lieu de la mort, sera vide. Il n’est plus lieu de mort mais il nous tourne vers la vie dès aujourd’hui. Comme une autre femme, Marie-Madeleine, elle aussi présente à la croix, premier témoin de la résurrection justement parce qu’elle est venue au tombeau chercher le corps de son maître. Et c’est à partir de ce lieu qu’elle va découvrir la puissance la résurrection dans son existence. Elle sera relevée. Elle aussi est une petite, un petit personnage, quelques versets dans la Bible et pourtant une telle renommée. Au-delà des pages de nos Bible, Ritspa, une petite, une sans-voix, et tous les autres petits rejetés que nous croisons dans cette bibliothèque, toutes celles et ceux qui ont aimé, espéré nous invitent à nous tourner vers « ces sans-voix » de notre monde pour entendre leur message, à changer notre regard et comprendre combien nous avons besoin d’eux.

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1Or, du temps de David, il y eut une famine qui dura trois années de suite. David rechercha la présence de l'Éternel, et l'Éternel dit : C'est à cause de Saül et de sa famille sanguinaire, c'est parce qu'il a fait périr les Gabaonites. 2Le roi appela les Gabaonites pour leur parler. — Les Gabaonites ne faisaient point partie des Israélites, mais c'était un reste des Amoréens ; les Israélites s'étaient liés envers eux par un serment, et néanmoins Saül avait voulu les frapper, dans son zèle pour les fils d'Israël et de Juda. —

3David dit aux Gabaonites : Que puis-je faire pour vous et avec quoi ferai-je expiation, afin que vous bénissiez l'héritage de l'Éternel ? 4Les Gabaonites lui répondirent : Ce n'est point pour nous une question d'argent et d'or avec Saül et avec sa famille, et ce n'est point à nous qu'il appartient de faire mourir quelqu'un en Israël. Le roi dit : Ce que vous direz, je le ferai pour vous. 5Ils répondirent au roi : Puisque cet homme a voulu nous exterminer et qu'il avait le projet de nous détruire pour nous faire disparaître de tout le territoire d'Israël, 6qu'on nous livre sept hommes d'entre ses fils, et nous exposerons leurs corps devant l'Éternel à Guibea de Saül, l'élu de l'Éternel. Le roi dit : Je les livrerai. 7Le roi épargna Mephibocheth, fils de Jonathan, fils de Saül, à cause du serment devant l'Éternel qu'avaient fait entre eux David et Jonathan, fils de Saül. 8Mais le roi prit les deux fils que Ritspa, fille d'Aya, avait enfantés à Saül, Armoni et Mephibocheth, et les cinq fils que Mikal, fille de Saül, avait enfantés à Adriel de Mehola, fils de Barzillaï. 9Il les livra entre les mains des Gabaonites, qui exposèrent leurs corps sur la montagne devant l'Éternel. Tous les sept périrent ensemble ; ils furent mis à mort dans les premiers jours de la moisson, au commencement de la moisson des orges.

10Ritspa, fille d'Aya, prit le sac et l'étendit sous elle contre le rocher, depuis le commencement de la moisson jusqu'à ce que l'eau du ciel tombe sur eux ; elle empêchait les oiseaux du ciel de se poser sur eux pendant le jour, et les animaux de la campagne pendant la nuit. 11On rapporta à David ce qu'avait fait Ritspa, fille d'Aya, concubine de Saül.

12Alors David alla prendre les os de Saül et les os de son fils Jonathan, chez les habitants de Yabéch en Galaad, qui les avaient enlevés de la place de Beth-Chân, où les Philistins les avaient pendus lorsqu'ils battirent Saül à Guilboa. 13Il emporta de là les os de Saül et les os de Jonathan, son fils ; et l'on recueillit aussi les os de ceux dont les corps avaient été exposés. 14On ensevelit les os de Saül et de son fils Jonathan, dans le pays de Benjamin, à Tséla, dans la tombe de Qich, père de Saül, et l'on fit tout ce que le roi avait ordonné. Après cela, Dieu fut apaisé envers le pays.

II Sam. 21